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Le maire EELV de Bordeaux, Pierre Hurmic.
Le maire EELV de Bordeaux, Pierre Hurmic.
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Elus locaux

Un sondage Ifop publié en septembre 2020 révélait que de nombreux maires écologistes étaient déjà désavoués par leurs électeurs sur de nombreux sujets, notamment suite à la multiplication des polémiques. Ces élus écologistes ont-ils mal compris les attentes de leur électorat ? La réalité du terrain complique la mission des maires EELV et les empêche de tenir leurs promesses.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans le XIIe arrondissement de Paris, dirigé par une maire EELV, des riverains s’opposent à 6 projets immobiliers d’envergure, dénonçant la « bétonisation » de leur quartier. Face à des électeurs écolos en demande d'espaces verts, les élus EELV de grandes villes, contraints à la surdensification urbaine pour éviter de rogner sur la campagne, sont-ils voués à les décevoir ?

Vincent Tournier : Les écologistes sont face à une difficulté : la transition écologique implique de densifier considérablement l’habitat urbain, ce qui rend difficile l’idée de faire la campagne dans la ville. Leur monde idéal, ce serait plutôt une séparation stricte entre la nature (qui devrait rester vierge de toute présence humaine) et les villes hyper-concentrées et hyper-urbanisées. Or, non seulement ce genre de projet ne fait pas toujours rêver, mais en plus cela revient à réhabiliter les grands ensembles, alors que les écologistes n’ont cessé de dénoncer les « ghettos urbains » qu’ils accusent d’être responsables de tous les maux (délinquance, radicalisation). Cette explication par l’urbanisme était certes une facilité mais ils l’ont tellement martelée qu’ils risquent d’avoir du mal à convaincre que les grands ensembles sont l’avenir de l’humanité.

Cela dit, la colère des électeurs du 12ème arrondissement de Paris doit aussi être resituée dans son contexte local. Lors des dernières élections municipales (en 2020), les écologistes ont fait un mauvais score puisque la liste EELV dirigée par Emmanuelle Pierre-Marie n’a obtenu que 12% des suffrages, contre 33% pour la liste PS. Donc, logiquement, le PS aurait dû prendre la mairie. Mais un accord parisien entre les écologistes et les socialistes a conduit à attribuer une mairie d’arrondissement aux écologistes, et le sort a voulu que ce soit celle du 12ème arrondissement. C’est pour cette raison, et uniquement pour cette raison, que madame Emmanuelle Pierre-Marie se retrouve aujourd’hui à la tête de la mairie, le poste de premier adjoint étant attribué à un socialiste. Voilà donc une personne qui est à la tête de la mairie alors qu’elle ne pèse que 12% des voix. Ce petit arrangement entre appareils n’est pas très glorieux, surtout de la part de gens qui se targuent de renouveler les pratiques politiques. Il reste qu’Emmanuelle Pierre-Marie souffre de plusieurs problèmes : elle manque de légitimité et elle ne peut guère compter sur son expérience politique puisqu’elle a été élue conseillère municipale en 2014, chargée d’une mission relativement symbolique (l’égalité hommes-femmes et la lutte contre les discriminations). Si on ajoute à cela que c’est quelqu’un qui a un doctorat de sociologie, qui a suivi l’école de Pierre Bourdieu, qui se vante de circuler à bicyclette et d’avoir fourni un vélo aux employés municipaux (appelés les « agent.e.s municipaux.les » puisque l’écriture inclusive est de rigueur à la mairie), on se doute que les électeurs risquent d’avoir du mal à engager un dialogue rationnel. A sa décharge, il faut cependant souligner que les projets immobiliers contestés ont été lancés par l’équipe précédente. En toute objectivité, sa marge de manœuvre est donc étroite pour un ensemble de raisons.

D’une manière générale, la réalité du terrain empêche-t-elle les élus écologistes de tenir leurs promesses ?

Vincent Tournier : Pas vraiment parce que les élus locaux ont un pouvoir très limité. Donc, ce n’est pas à ce niveau-là que les écologistes peuvent mettre en œuvre leur projet de transformation de la société. C’est d’ailleurs leur grand défi lorsqu’ils se présentent devant les électeurs : comme leur projet ne manque pas d’ambition puisqu’il s’agit de changer la vie du pays, voire du monde, il leur faut convaincre qu’ils ont malgré tout un rôle à jouer dans les conseils locaux, ce qui n’est pas évident.

A titre illustratif, voici par exemple comment Emmanuelle Pierre-Marie, le maire du 12ème arrondissement de Paris, conçoit le projet écologiste et sa déclinaison au niveau local :

« Cette crise [du Covid] émane directement et indirectement de la maltraitance que nous infligeons à notre planète. Nous subissons aujourd’hui les conséquences du non-respect des écosystèmes, qui contribue à la disparition des espèces, au dérèglement climatique, à l’émergence de nouveaux risques sanitaires et à l’aggravation des inégalités. Il nous faut donc réfléchir et agir en faveur d’une réponse globale et vertueuse, profitable à toutes les catégories de la population. Par exemple, la piétonisation des abords des écoles, décidée avec Anne Hidalgo à l’échelle de tout Paris et que nous avons commencée à mettre en œuvre dans le 12e , permet de répondre à l’impératif de distanciation physique nécessaire dans le contexte de la crise sanitaire tout en contribuant à améliorer la santé des Parisien·nes, grâce à la diminution de la pollution atmosphérique et à la végétalisation de la ville ».

Comme on peut le voir, le contraste est immense entre d’un côté une analyse terriblement ambitieuse, dramatisée à l’extrême, et de l’autre une proposition qui apparaît bien terne : la piétonisation des rues aux abords des écoles. C’est plus qu’un décalage, c’est un abîme.

Cela étant, la vraie difficulté des écologistes ne se situe pas là car les électeurs peuvent très bien comprendre que ce n’est pas le maire qui va sauver la planète. Le principal problème se trouve plutôt dans la contradiction entre une culture politique hérité des années 1970, qui s’est structurée autour d’une philosophie libertaire et anti-étatiste, et un projet politique de transformation de la société qui nécessite de recourir à des mesures contraignantes, voire autoritaires. Or, les écologistes sont toujours très marqués par cette culture libertaire, comme on peut le voir à travers leur défense du cannabis ou de la GPA, mais aussi par leur valorisation de la désobéissance civile ou par leur hostilité envers la police.

Sur certains aspects, leur culture libertaire a évolué. Par exemple, dans le domaine des mœurs, ils ont abandonné le modèle de l’amour libre et de la pédophilie au profit d’une rigueur morale qui relève désormais quasiment d’un néo-puritanisme. Mais abandonner l’intégralité de leur culture libertaire reste difficile pour eux. Ils ont du mal à assumer leur passage vers un modèle beaucoup plus contraignant, tout en concevant que la contrainte est le seul moyen de réaliser la transition écologique. Leur réticence ne vient pas forcément de leur attachement à la démocratie mais plutôt du fait qu’ils savent que le coût d’un basculement vers un programme autoritaire n’est pas sans risque, d’une part parce que la société française est très attachée aux libertés individuelles, et d’autre part parce que les écologistes eux-mêmes se veulent viscéralement anti-autoritaires, donc restent donc attachés à leur identité libertaire, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à défendre l’ouverture des frontières et les minorités religieuses (comme on l’a vu à Strasbourg avec le financement d’une mosquée d’obédience turque). Telle est d’ailleurs une autre contradiction qu’ils ont du mal à affronter : ils soutiennent la libre circulation des personnes sans voir qu’ils entretiennent un système libre-échangiste qui a des coûts environnementaux, et ils veulent accueillir des populations qui sont très peu concernées par les problématiques environnementales.

Un sondage Ifop publié en septembre 2020 rapportait qu’un certain nombre de maires écologistes étaient déjà désavoués par leurs électeurs sur de nombreux sujets, notamment concernant diverses polémiques. 55% des électeurs verts condamnent les propos du maire de Bordeaux Pierre Hurmic qui souhaitait voir les sapins de Noël disparaître de nos villes. 82% des électeurs écolos condamnent ceux du maire de Lyon Eric Piolle sur la 5G : « La 5G, c'est pour regarder du porno sur votre téléphone, même quand vous êtes dans l'ascenseur, en HD ». Ces maires ont-ils mal compris les attentes de leur électorat ?

Vincent Tournier : Ce sondage est très intéressant car il repose sur un concept original : faire réagir les sondés non par sur des idées générales mais sur des citations réellement prononcées par des responsables politiques, en l’occurrence des maires ou des élus écologistes : Grégory Doucet à Lyon, Eric Piolle à Grenoble, Pierre Hurmic à Bordeaux, Patrick Chalmovicth à Colombes ou Alice Coffin à Paris. Evidemment, on peut regretter que le sondage ait limité ce test aux seuls écologistes, mais après tout, c’est le commanditaire qui décide (en l’occurrence le site comparateur lemon.fr). On peut aussi regretter, sur le plan méthodologique, que l’on ne sache pas si, lors de l’administration des questionnaires, les citations ont été présentées avec le nom de leur auteur, ce qui peut avoir une incidence sur les réponses.

Toujours est-il que le résultat s’avère catastrophique pour les élus en question. Le désaveu qu’ils reçoivent est massif. Une seule citation fait exception : la critique sur le Tour de France puisque la phrase de Grégory Doucet (« Le Tour de France [en vélo] continue à véhiculer une image machiste du sport. (...) et n’est pas écoresponsable ») est quand même approuvée par 35% des répondants, ce qui n’est pas négligeable, bien loin en tout cas des 11% qui approuvent les propos anti-hommes d’Alice Coffin (« Ne pas avoir de mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée »). Même chez les sympathisants de La France Insoumise et d’Europe Ecologie-Les Verts, les citations n’ont guère de succès et sont majoritairement rejetées, à l’exception là encore de la critique du Tour de France, qui recueillent 41% d’approbation à LFI et 46% à EELV. On aimerait d’ailleurs savoir pourquoi les écologistes sont à ce point hostiles au Tour de France, qui a longtemps été l’incarnation du sport populaire par excellence : s’agit-il d’une hostilité de principe ou d’une critique sur la façon dont le Tour fonctionne aujourd’hui ?

Ce manque de succès des maires écologistes n’est pas totalement surprenant. Ce n’est pas que ces maires ont mal compris les attentes de leur électorat, c’est simplement qu’ils incarnent une vision qui est très minoritaire dans l’opinion. Tel est le principal résultat du sondage : l’électorat authentiquement écologiste est très limité. Il convient donc de distinguer la sympathie de l’opinion pour la cause écologiste, qui est assez large, et l’adhésion au projet écologiste, qui est nettement plus réduite, ce qui est logique car il s’agit d’un projet révolutionnaire qui ambitionne de transformer le système économique. C’est du reste ce qu’explique très bien Sandrine Rousseau, une militante d’EELV qui vient de se lancer dans la course à la primaire.

Bien sûr, tous les écologistes ne partagent pas ce point de vue, mais le noyau dur du mouvement, celui qui correspond aux élites du parti, est quand même sur une ligne assez radicale. Or, ce n’est pas avec un programme révolutionnaire que les écologistes peuvent prétendre gagner les élections. Certes, ils bénéficient d’une sympathie dans l’opinion, mais leurs succès électoraux se font surtout lors des élections intermédiaires, c’est-à-dire les élections qui se situent entre les élections décisives. Or, ces élections intermédiaires servent traditionnellement de défouloir pour les électeurs qui entendent punir le pouvoir en place ; elles sont donc favorables aux partis protestataires ou anti-systèmes.

Une fois qu’ils sont élus, les écologistes ne font guère parler d’eux parce qu’ils n’ont pas les moyens de prendre des décisions très originales (qui pourrait citer une mesure forte adoptée par une collectivité locale ?). Si les élus locaux se font repérer, c’est uniquement par leurs déclarations médiatiques. C’est ce qui s’est passé avec les maires écologistes : de temps en temps, ils dévoilent le fond de leur pensée. Ces déclarations surprennent car les électeurs ne sont pas conscients du niveau de radicalisation idéologique qui imprègne le mouvement. On découvre alors que certains élus ont des préoccupations ou des raisonnements surprenants (on aimerait bien savoir comment Eric Piolle en est arrivé à cette réflexion sur le porno dans l’ascenseur, ou pourquoi Pierre Hurmic s’est pris de détestation pour les sapins de Noël).

Ce que révèle donc crûment le sondage de l’IFOP, c’est ce décalage entre la population et les notables écologistes. La question est maintenant de savoir comment vont réagir les maires concernés face à de tels résultat : vont-ils se dire qu’ils sont allés trop loin et qu’ils doivent se remettre en question, ou au contraire qu’ils ont raison sur toute la ligne car ils sont en avance sur tout le monde ? C’est tout le problème des idéologues, particulièrement chez les écologistes : comme ils sont souvent persuadés d’être une avant-garde éclairée qui va sauver le monde, on peut craindre que la seconde option ne prenne le dessus.

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