Cardinal Robert Sarah : « Nous ne pouvons pas laisser la « vérité » d’internet devenir plus forte que celle de Dieu »<!-- --> | Atlantico.fr
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Le cardinal Robert Sarah accueille les visiteurs après le consistoire au Vatican. Il vient de publier Pour l'éternité aux éditions Fayard.
Le cardinal Robert Sarah accueille les visiteurs après le consistoire au Vatican. Il vient de publier Pour l'éternité aux éditions Fayard.
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

Grand entretien

Entretien avec l’auteur de "Pour l’éternité", un ouvrage consacré aux prêtres à l’heure des scandales qui ébranlent l’Eglise. Abus sexuels, crise migratoire, reconstruction de Notre Dame, wokisme, Covid, un regard d’une immense lucidité sur les tourments de notre monde.

Cardinal Robert Sarah

Cardinal Robert Sarah

Robert Sarah est un cardinal catholique guinéen, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2014. Il était auparavant Président du Conseil pontifical Cor unum.

Le 25 février 2015, il a publié chez Fayard Dieu ou rien, entretien sur la foi, un livre d'entretien réalisé avec l'écrivain Nicolas Diat.

Le cardinal Sarah est présent sur Twitter : @Card_R_Sarah

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Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Jean-Sébastien Ferjou : Le virus du Covid fait un nouveau retour avec un variant qui inquiète les autorités sanitaires. Pour revenir sur les premiers confinements, avez-vous compris qu’un certain nombre de catholiques aient été choqués par l’attitude de l’Eglise qui a accepté toutes les restrictions sanitaires sans distinction et notamment accepté que les fidèles ne soient pas accompagnés dans les derniers sacrements ? 

Cardinal Robert Sarah : Oui, je le comprends d’autant mieux que j’ai moi-même été profondément perturbé par la manière dont nous nous sommes résignés à des restrictions extrêmes. 

Avoir laissé des personnes mourir seules, sans leurs familles, sans prêtre est un immense dommage. A Bergame, il n’a même pas été possible de bénir les dizaines de cercueils qui s’accumulaient. Pensaient-ils que les prêtres allaient contaminer des morts ou se contaminer à distance à travers le bois ? 

On a préféré se protéger et ne prendre aucun risque plutôt que d’effectuer les sacrements. On a laissé partir des gens seuls, sans accompagnement spirituel, sans eucharistie, sans profession de foi, comme si l’âme était abandonnée. On s’occupe uniquement du corps et c’est profondément triste. 

Quand nous avons recommencé à prier dans la Basilique, à la messe du dimanche de Pâques, dans Saint-Pierre de Rome, le diacre était debout près de l’autel et a aspergé les fidèles sans bouger, à distance. L’eau n’a pas touché le peuple, comme si elle pouvait contaminer. Où est la foi ?

JSF : C’est un sujet que vous aviez évoqué avec le pape ? 

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CS : Non car nous ne nous sommes pas rencontrés pendant les confinements. 

J’ai aussi appris que l’on a remplacé l’eau bénite avec du gel et que l’on fait plus confiance au gel qu’à l’eau bénite dans les églises. Il n’y a plus d’eau bénite car le gel est plus efficace. Je ne suis bien sûr pas contre le gel ni contre les gestes de protection mais renoncer à l’eau bénite…

JSF : Vous me disiez que vous trouvez que les églises étaient vides en Italie depuis la fin des confinements, y voyez-vous un lien avec cette mise en retrait de l’Eglise pendant cette crise ? 

CS : Je ne sais pas s’il y a un lien. En tout cas, certaines personnes âgées n’y vont plus car leurs enfants les avertissent du risque de contamination. Elles restent donc à la maison. Je pense qu’il y a une baisse de la pratique comme en France. J’ai entendu une enquête à ce propos et à Paris il y a environ 35 % des fidèles habituels qui ne sont pas revenus. 

JSF : Qu’a révélé à vos yeux cette pandémie de notre rapport à la mort ?

CS : Je pense qu’il y a une trop grande peur de la mort et que cette peur de la mort abîme nos vies mêmes. Pourquoi avoir peur de retourner dans sa patrie ? Le ciel est notre véritable patrie. On a tellement eu peur de mourir car nous ne croyons plus à cette vie après la mort. Avant on savait que l’on retournait à la patrie céleste. Nous ne sommes qu’en voyage ici, ceux qui croient en Jésus-Christ savent que la mort n’est pas une destruction de la vie, c’est une transformation. La vie ne disparaît pas, elle est seulement transformée. 

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JSF : Cela vous a-t-il paru marquer une étape supplémentaire dans la déchristianisation de l’Occident ? 

CS : Incontestablement, il y a une perte de la confiance et de la foi en Dieu. Etre déchristianisé veut dire que je n’ai plus d’attache avec Dieu, qu’il ne m’intéresse pas et que je ne crois plus qu’il soit capable de me sauver. C’est la conséquence d’un laisser-aller de sa foi. 

JSF : Dit autrement, le Covid nous a-t-il poussé vers encore plus de matérialisme et d’oubli de la spiritualité ? 

CS : Oui, en Europe. Cela étant, on sent tout de même qu’il y a des personnes qui veulent se rapprocher de la spiritualité par l’ésotérisme. Certains se tournent vers l’extrême-Orient, font du yoga ou de la méditation. Ils cherchent quelque chose qu’ils ne trouvent plus dans le christianisme. On a tellement allégé la liturgie chez nous que le sens du sacré s’est émoussé. Les gens cherchent une réalisation personnelle mais ont oublié que c’est à travers Dieu qu’ils peuvent y parvenir. Tout ça est surtout la conséquence de la perte de la foi et du manque de formation catéchistique. Les enfants ne sont pas catéchisés, ils font des dessins, on leur dit d’être bons, gentils et charitables. Mais vous voyez bien que le christianisme ne peut pas se résumer à ça… !

JSF : Vous voulez dire que même ceux qui vont au catéchisme ne reçoivent pas correctement les enseignements de l’église ? 

CS : On peut se poser des questions en effet sur la nature de ce que l’on enseigne. Quelqu’un qu’on ne nourrit pas régulièrement devient rachitique et sans consistance, sa santé intérieure se détériore. C’est ce qui se passe quand on ne va plus à la messe. On ne nourrit plus son âme et forcément la foi s’affaiblît. C’est pour cela que je pense que l’on a négligé la formation catéchistique alors qu’il faut nourrir et donner une consistance à la foi. Les gens s’approchent encore un peu de la communion mais ne savent souvent même plus pourquoi. Les sacrements de la confession ont disparu mais les gens communient comme si de rien n’était alors qu’ils ont commis des fautes graves.

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JSF : Vous publiez ce livre "Pour l’éternité » aux éditions Fayard, pour défendre les prêtres dont vous dites que l’écrasante majorité est éclaboussée injustement par les fautes d’une minorité. 97% des ecclésiastiques n’ont jamais trahi leur sacerdoce rappelez-vous. Vous parliez de l’enseignement donné aux enfants, n’y-a-t-il pas aussi un défaut dans la formation des prêtres eux-mêmes ? 

CS : Je pense qu’il faut revoir la formation des prêtres au séminaire en effet. Insister trop sur l’activité pastorale au détriment de la formation doctrinale nuit aux séminaristes comme à la communauté tout entière au final. Il faut une morale chrétienne solide, il faut permettre une expérience personnelle de Jésus aussi. Le Christ a mis trois ans pour former ses apôtres, il ne les a pas envoyés comme ça, d’un claquement de doigts.  

Le prêtre doit s’identifier au Christ. Cela prend du temps. Le jour de son ordination, on dit au prêtre qu’il n’est plus le serviteur du Christ mais son ami. C’est ce que Jésus a dit à ses apôtres : vous êtes mes amis. L’amitié se construit dans une relation personnelle, un dialogue personnel avec le Christ. Ça, ça doit se faire au séminaire. Une fois prêtre, c’est déjà trop tard. 

Ce que nous avons entendu, ce que nous reçu, compris de Jésus, nous les prêtres, nous vous l’annonçons. Si le prêtre n’a pas entendu Jésus, contemplé Jésus, ni touché de ses mains Jésus dans une relation personnelle, alors il ne peut être qu’un perroquet qui répète des choses apprises au séminaire. 

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JSF : Vous vous souvenez de ce qui vous a le plus marqué dans votre propre expérience au séminaire ? 

CS : Bien sûr, j’ai tellement appris à travers la prière. Si Dieu n’est pas avec nous, ne nous inspire pas, on ne fait rien.

JSF : Vous souvenez-vous avoir rencontré Jésus et l’avoir touché ? 

CS : Oui. Et ça n’est pas limité à mon temps au séminaire. J’essaie toujours de le toucher, de le rencontrer à travers la prière. J’essaie de le saisir car j’ai été moi-même saisi. On cherche toujours à saisir Jésus, à prendre contact avec lui dans la prière. On le rencontre dans le silence. La formation doit être permanente, ce ne sont pas les professeurs qui enseignent, mais c’est Jésus lui-même qui est notre maître, c’est lui qui nous forme si nous nous agenouillons devant lui. Si nous ne l’adorons pas, s’il n’y a aucune visite au Saint sacrement, comment avoir une amitié avec Jésus ?

JSF : Vous parliez de la nécessité du silence dans un monde qui n’est plus jamais dans le silence ni dans la tranquillité. Ces smartphones que nous avons toujours entre les mains nous occupent sans cesse et on sait que les réseaux sociaux sont notamment très mauvais pour le développement intellectuel et la santé mentale des enfants. L’Eglise s’en préoccupe-t-elle ?

CS : Ce sont des instruments de communication utiles, mais qui ne laissent pas seul, qui ne laissent aucun espace pour le silence. On nous appelle tout le temps, on nous écoute tout le temps, on le regarde tout le temps et on est pris par cette machine alors on n’a plus le temps pour Dieu. On s’éloigne alors forcément de lui. Je ne dis pas que cela n’est pas utile, mais il ne faut pas se rendre esclave d’une machine. 

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JSF : En Afrique, vous avez constaté la même chose qu’en Europe ? 

CS : Bien évidemment car nous devenons un village global. Tout ce que l’on diffuse a une puissance médiatique terrible. La modernité a gagné le monde entier sans que l’on voit tout le mal que cela peut nous faire. On ne protège même pas les enfants et on abime leur pensée, leurs relations. Ils croient que ce qui est relayé par ce biais est la vérité. Il n’écoutent plus. Lorsque l’on demande aux enfants durant un cours de catéchisme si Dieu a créé l’univers, ils répondent qu’on n’a qu’à regarder sur Google ou Twitter pour le savoir ! 

JSF : Vous avez peur que Google soit devenu plus fort que Dieu dans la tête de nos contemporains ?

CS : Pour la plupart des gens, ce qui est sur Internet est la vérité, je le crains…

JSF : Comment faire pour que la vérité de Dieu redevienne plus forte que celle de Google ? 

CS : Il faut que les parents prennent leurs responsabilités. Être parent ce n’est pas seulement mettre au monde un enfant, il faut lui donner la capacité de discerner ce qui est vrai et ce qui n’est pas vrai. L’éducation doit l’aider à voir ce qui est bien et ce qui n’est pas bien. Les parents ne peuvent pas uniquement s’en remettre à l’école ou aux médias. C’est une grande responsabilité que d’être parent et peut-être plus que jamais. 

L’Eglise aussi peut aider au discernement et à la vérité. Dieu veut que tout le monde soit sauvé et parvienne à la connaissance de la vérité. Il faut que chacun prenne sa responsabilité car les médias ne cessent de gagner en influence. Malheureusement pas en sens des responsabilités.

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JSF : Pour en revenir aux prêtres et à votre livre, il y avait déjà une crise des vocations avant les scandales que vient de traverser l’église et notamment l’Eglise de France. Que dire à ceux qui auraient pu se poser cette question là et qui finalement hésitent car ils trouvent que l’église n’est pas celle qu’ils croyaient ? 

CS : Je pense que les gens ne devraient pas se laisser déstabiliser dans leur foi par un rapport [le rapport Sauvé sur les abus sexuels au sein de l’Eglise]. Il faut que ce rapport soit respecté, que nous sachions accepter nos fautes bien sûr. Mais il doit aussi être analysé de façon critique et pas forcément pris comme parole d’évangile. Je n’ai pas étudié la question dans le détail mais certains ont commencé à le faire. Le but du rapport était d’établir la vérité sur les faits. Mais on y trouve aussi des jugements théologiques ambigües et des incompréhensions à propos de la nature spirituelle de l’Eglise. Ces points relèvent de l’opinion des rédacteurs et ne sont pas un absolu à prendre sans discernement. Si je veux savoir comment faire progresser l’Eglise, je dois d’abord me tourner vers l’Evangile, pas d’abord vers un rapport qui demeure une œuvre humaine et faillible. Ce qui ne diminue en rien la gravité des faits avérés qui y figurent. 

JSF : Diriez-vous que la Conférence des évêques de France l’a trop accepté comme parole d’évangile ? 

CS : Je ne voudrais pas entrer dans la contestation de ce rapport tant il est absolument essentiel de respecter les victimes. Mais il est difficile de chercher des cas très anciens. Les personnes mises en cause sont parfois déjà mortes. Elles ne peuvent pas se défendre. Ce n’est pas juste, il faut que celui que j’accuse puisse se confronter à moi or pour beaucoup, ces gens-là sont morts. Pour ceux qui sont vivants, il faut que l’on nous dise qui, afin qu’ils paient. C’est la personne qui doit assumer la responsabilité de son acte jusqu’au bout. 

JSF : Vous contestez l’emploi des mots « responsabilité institutionnelle et systémique » par les évêques ? 

CS : Le système n’est pas responsable de mon acte. Si je vole quelque chose, ce n’est pas le système qui est responsable…

JSF : L’Eglise n’est peut-être pas responsable des actes eux-mêmes mais ne l’est-elle pas de son silence, de sa surdité face à la parole des victimes ?

CS : Oui, elle l’est de ça. Le vrai système que nous avons à dénoncer est cette apathie devant le péché. C’est une forme de relativisme moral pratique. Nous n’avons pas su être clair pour désigner le mal par son nom. Mais ça n’est pas la foi ni le dogme qui sont en cause. Nous avons aussi manqué d’écoute envers les victimes.

L’Eglise a au moins le mérite de regarder la vérité, sa vérité en face. Et la société ? Il faut qu’on la regarde aussi car si l’on ne regarde que l’Eglise, on n’a que la moitié de l’enquête et on ne solutionne rien. L’Eglise vit dans le monde, au milieu de tous ceux qui font une société à une période donnée. L’Eglise a le mérite de reconnaitre ses fautes, pour la société, je vois beaucoup plus de timidité… Comprenez-moi, ça n’est pas une excuse pour atténuer les péchés commis au sein de l’Eglise. Mais ne faisons pas non plus de l’Eglise la seule dimension du sujet car ce serait pour le coup passer à côté du respect dû aux victimes. 

JSF : Qu’auriez-vous envie de dire aux victimes dont la vie entière parfois a été brisée ? 

CS : Je n’ai pas d’expérience sur ce sujet, mais je peux reconnaitre le grave dommage qu’on leur a causé. Les victimes ont besoin d’une parole épiscopale claire, une parole paternelle qui reconnaisse l’objectivité des faits, qui désigne clairement le coupable et nomme le péché par son nom. Quand on vous a détruit humainement et spirituellement, il n’y a pas de solution facile, de solution miracle. La vérité libère. Mais je crois que le pardon aussi peut aider. Pas pour délivrer le criminel, mais pour se délivrer soi-même. 

JSF : Pour pardonner, ne faut-il pas que la faute soit reconnue ? 

Le pardon ne remplace pas la justice. Il la présuppose. Le pardon est une démarche intime et qui dépend de la liberté de chacun. Mais si la personne est morte comment voulez vous qu’elle reconnaisse les faits ? C’est du reste aussi pour cela que je dis qu’il faut qu’on connaisse qui a commis les fautes que recense le rapport Sauvé. Le pardon ne peut être demandé que pour des faits qu’on connaît véritablement. Le respect des victimes, c’est aussi de les traiter dans leur individualité, dans la singularité de ce qu’elles ont subies, pas d’un faire une « catégorie » statistique. 

JSF : Vous croyez que l’on peut se reconstruire dans le pardon, même si les fautifs ont disparu ? 

CS : Je sais que la réalité intime des victimes est terrible. Je ne peux rien leur imposer. Nommer les crimes et les péchés par leur nom peut les aider à se libérer de cette souffrance. Les reconnaître comme victimes est aussi important. Mais je crois qu’il est de mon devoir de leur dire aussi que le pardon libère. Je sais que si l’Eglise fait la vérité sur les faits, cela peut les aider à avancer dans cette voie de libération. Ça n’est pas une facilité pour laver les fautes de l’Eglise. Vous savez Jésus a pardonné à ses bourreaux. Je dois suivre le Christ. Cela ne supprime absolument pas la nécessité de punir les criminels et de réparer les fautes commises. Le pardon est une démarche personnelle, spirituelle et intérieure.

JSF : Au regard de l’état de l’Eglise et des scandales qui l’ont ébranlée, diriez-vous qu’on n’a pas assez sélectionné les gens qui rentraient au séminaire dans les années 1970-1980 notamment ?

CS : Je ne peux pas le dire parce que ce n’est pas moi qui les ai recrutés mais déjà au VIIe siècle, le pape Grégoire le Grand disait qu’il y avait trop de prêtres. Certains acceptent le sacerdoce mais n’effectuent pas le travail de sacerdoce. Quelqu’un peut être prêtre pour avoir une vie sociale plus digne sans être appelé par Dieu. Il effectue son travail quand même mais il n’est pas du tout convaincu. Je ne sais pas si les prêtres ont été mal recrutés mais ce qui est sûr, c’est qu’en tant que prêtre, on peut aussi se négliger parfois. On peut être très compétent mais si on ne prie pas, si on ne se forme pas, on se dégrade. Quelqu’un de bien portant, s’il commence à boire, se détériore avec l’alcool. Il peut effectivement y avoir des prêtres qui ne sont pas suffisamment attachés aux sacerdoces comme des prêtres qui ont été bien recrutés mais qui n’ont pas été bien accompagnés. 

JSF : L’Eglise accompagne-t-elle mal ou pas assez les prêtres pour les aider à rester à la hauteur de leur sacerdoce ? 

CS : Avant, il y avait six ans de petit séminaire et six ans de grand séminaire, soit un total de 12 ans. C’était un temps qui permettait à la personne de murir dans sa vocation. Après l’ordination, il y avait une formation permanente. Aujourd’hui, il y a une formation universitaire qui nous aide à accompagner les séminaristes mais si la formation est seulement intellectuelle, on reste superficiel. Je ne dis pas que l’Eglise n’accompagne pas, on ne peut pas accuser l’institution tout le temps. La personne qui accepte de devenir prêtre est comme celle qui accepte de se marier, elle ne va pas compter sur ses voisins pour lui donner à manger ou s’occuper de ses enfants, elle doit aussi assumer les responsabilités que lui donnent ses choix.

JSF : Quand on est catholique on parle de péché, quand on fait de la politique on parle de crime. Le fait que l’Eglise ait beaucoup parlé de péché et pas assez de crime peut-il expliquer que le silence ou l’aveuglement de l’Eglise face aux viols et aux abus sexuels ?

CS : Un crime, c’est un péché. Je ne vois pas la différence entre les deux. 

JSF : La masturbation est aussi un péché selon les enseignements traditionnels de l’Eglise. En ce sens, on écrase peut-être l’échelle des fautes…

CS : Les péchés sont différents. Il y a des péchés plus graves que d’autres. Voler, ce n’est pas se masturber, ou commettre un adultère. Quand un péché implique une autre personne comme dans le cas d’un viol ou d’un meurtre, il est particulièrement grave. C’est un manque à la justice. En ce sens, un prêtre qui agresse sexuellement un enfant manque à la chasteté mais aussiet plus gravement, il manque au respect de la dignité humaine de cet enfant, il abuse de son sacerdoce, il salit l’Eglise. C’est un péché, un crime d’une gravité sans nom. C’est une offense à Dieu lui-même qui est présent dans l’âme innocente de cet enfant. En ce sens, l’abus sexuel sur un mineur est comme une profanation et un blasphème. 

Mais le péché est toujours un crime car on nuit physiquement, spirituellement à quelqu’un. Ne craignez pas ce qui tue le corps mais aussi ce qui tue l’âme. Ce sont des distinctions uniquement spéculatives. Le crime c’est aussi et d’abord un péché. Pécher c’est abimer quelqu’un dans son être profond.

JSF : Qu’est ce qui relève de la miséricorde et qu’est ce qui relève de la justice ?

CS : Il n’y a pas de miséricorde sans justice. Sinon elle se transforme en complaisance. Sous prétexte de comprendre subjectivement, on devient indifférent à l’objectivité de l’acte. Mais il est vrai aussi qu’il n’y a pas de justice sans miséricorde. Pour que la justice soit humaine, on a besoin de la miséricorde. Il faut regarder favorablement la personne pour voir quelle est la responsabilité qu’elle assume volontairement et quelle est la part d’innocence aussi. Le juge doit examiner tout ça. La justice vise à nommer l’objectivité de l’acte. La miséricorde me conduit à vouloir aider le pécheur à se repentir, à ne pas le réduire à ses fautes.

JSF : Dans votre livre, pour les prêtres, vous parlez de la sainteté. Est-ce une grâce, un don de dieu, ou est-elle à portée de tous pourvu qu’on s’en donne la peine ? 

CS : La sainteté, c’est un appel universel. Il faut que nous soyons saints parce que Dieu est saint. C’est Dieu qui nous le demande. Il nous dit, « soyez saints parce que moi, votre Dieu, je suis saint. Votre origine vient de moi. Je vous ai fait à mon image et à ma ressemblance, vous devez m’imiter. Je suis votre père ». Un fils ressemble à son père. 

Donc c’est un appel, une vocation pour tous, prêtre ou laïcs, nous sommes faits pour être saints. Tout le monde peut l’être, il n’y a aucune distinction, aucune faveur. Ce sont les mêmes sacrements pour devenir saints. Il faut se confesser, se nourrir de la communion, nous marier correctement, etc. Ce sont les moyens de la sainteté et il n’y a aucune distinction. Au prêtre, on demande plus parce qu’il a plus reçu, mais la sainteté est possible pour tous.

JSF : Emmanuel Macron était au Vatican ce vendredi. Quelle vision avez-vous de l’état du catholicisme en France ? 

CS : Je ne vois pas le lien entre sa présence au Vatican et l’état du catholicisme en France.

JSF : … je faisais référence aux liens qu’il a entretenu avec l’Eglise catholique et aux électeurs qu’ils cherche peut-être à courtiser…

CS : Je pense que l’Eglise de France malgré les révélations du rapport Sauvé, est une Eglise qui tient bien, qui se bat pour maintenir la foi catholique. Il suffit de regarder comment elle a manifesté plusieurs fois pour montrer son désaccord avec le mariage pour tous. Aucun pays européen n’a fait ça. Il y a aussi des mouvements religieux, des congrégations qui sont nées en France, dans un contexte très difficile laïcisé, sécularisé. Tout ne va pas bien, mais par rapport à l’Allemagne par exemple, c’est incomparable. L’Eglise française se tient bien avec des difficultés énormes. C’est aussi l’Eglise la plus pauvre en raison de la séparation entre l’Etat et l’Eglise. Cette pauvreté est une grâce pour l’église de France et surtout pour le clergé français. En Allemagne, les prêtres sont payés à partir de fonds publics alimentés par ceux des contribuables qui se déclarent catholiques, en Italie aussi.

JSF : Vous comprenez tous les débats autour de la laïcité en France ? 

CS : Non, parce que l’Homme n’est pas seulement un être social laïc. Il a une relation avec Dieu. Si on coupe l’Homme de ses convictions avec Dieu, si on sépare la foi de l’Homme, je ne sais pas quel Homme on a. C’est une unité.

JSF : Dans un registre plus temporel, la laïcité française n’est-elle pas une valeur importante pour assurer une forme de « paix civile » ?

CS : Il n’y avait pas de paix civile avant ? 

JSF : Il y avait peut-être moins de diversité culturelle et religieuse. Et nous avons quand même connu en France les guerres de religions.

CS : Oui mais ces guerres de religion ne sont plus. En revanche, la tentation d’imposer une religion par la force existe toujours chez ceux qui ne respectent pas la liberté de l’Homme. Et leur tâche est facilitée s’ils font face à des gens qui n’ont plus de convictions. Quand vous oubliez vos racines, vos convictions, vous ne vous battez plus. Et c’est là qu’on va vous imposer une religion, laïcité ou pas laïcité. 

JSF : La France est de plus en plus fracturée, les rapports politiques sont devenus de plus en plus violents. Quelle parole importante des évangiles trouveriez-vous utile de rappeler aux Français pour retrouver une société plus apaisée ?

CS : Jean-Paul II vous a interpellé : « France souviens-toi ton baptême ». Qu’est-ce que le baptême sinon le lien avec Jésus ? Et Jésus, c’est l’évangile vivant et c’est notre paix. Si on ne revient pas à Jésus, on aura une société fracturée car Jésus est notre paix. Il est notre réconciliation. C’est pourquoi il est urgent de réévangéliser l’Occident. On croit qu’avec des réunions, des congrès, on va pacifier le monde. C’est faux. Notre paix vient de Dieu. « Je vous donne ma paix » dit Jésus, mais nous n’y croyons plus…

JSF : L’Eglise elle-même y croit-elle encore assez ?

CS : On a une mauvaise vision de l’Eglise quand on la limite aux prêtres, l’Eglise, c’est nous tous. Vous êtes autant l’Eglise que moi. Nous sommes ensemble le corps du Christ. Les évêques sont la tête, mais il y a aussi les bras, les yeux, les pieds, qui sont aussi utiles et indispensables. Si la tête existe sans pied et sans mains, à quoi sert-elle ? Donc il ne faut pas dire l’Eglise en ayant l’air de la séparer des fidèles. Nous devons reconquérir cette notion juste, nous sommes le corps du Christ, nous sommes inséparables. 

JSF : Notre-Dame est un lieu important pour l’Eglise catholique. Une réunion importante de la commission du patrimoine est prévue le 9 décembre pour son réaménagement comme l’a notamment évoqué un article du site Fild. L’un des enjeux importants consiste à arbitrer entre entre l’aspect cultuel et l’aspect patrimonial et touristique. La question de la reconstruire ou à l’identique ou non vous préoccupe-t-elle ? 

CS : Ce n’est pas un débat pour moi car une cathédrale, ce n’est pas un lieu de tourisme, c’est un lieu de culte, une maison de Dieu. Ce n’est pas pour les touristes que l’on décore. C’est un débat inutile. 

JSF : Une partie de la réflexion consiste à vouloir en faire aussi un lieu d’évangélisation pour les touristes, cela pourrait-il fonctionner ? 

CS : On n’évangélise pas comme ça. L’évangélisation, c’est mettre quelqu’un en contact avec Jésus, ce n’est pas un parcours dans un musée. Car on veut transformer la cathédrale en musée. L’église n’est pas un musée et elle n’est pas un marché. Jésus a chassé les commerçants du temple. Alors transformer la cathédrale en lieu touristique, c’est une mauvaise idée. L’église n’est pas faite pour les touristes mais pour Dieu, pour que les personnes rencontrent Dieu. 

JSF : Et introduire dans la reconstruction de la cathédrale des éléments catholiques plus modernes, cela vous pose problème ? 

CS : Il ne faut pas le faire pour des questions de goût ni selon ceux des uns ou des autres, mais pour Dieu. Tous les symboles doivent être pour Dieu. La liturgie n’est pas faite pour l’Homme mais pour adorer Dieu. L’une des plus belles cathédrales, est celle de Burgos, en Espagne, les pierres sont taillées très finement mais personne ne le voit vraiment car on ne peut le voir que depuis le ciel. Il n’y a que Dieu qui le voit. L’église doit être faite pour que Dieu voit, pour sa gloire, pas pour les touristes.

JSF : Nous avons été confrontés cette semaine à un drame avec le naufrage d’un bateau ayant provoqué la mort de nombreux migrants dans la Manche. Vous avez déjà dit à ce sujet qu’il était absolument essentiel d’aider l’Afrique pour permettre aux gens qui viennent chercher une vie meilleure en Europe de rester chez eux, sans avoir besoin de se déraciner. Mais pour les migrants qui sont déjà là, comment concilier fermeté et charité chrétienne ? 

CS : Je pense que la charité, l’humanité, c’est d’interdire ces passeurs qui exploitent la pauvreté des gens, qui les font payer cher pour mourir dans la mer. C’est ça la vraie charité ! Il faut leur dire que c’est de l’esclavage, une commercialisation de la vie humaine. Ils profitent de l’argent de ces migrants et les tuent dans la mer. On doit absolument empêcher ça. 

JSF : Les gouvernement français et britanniques, ou d’autres encore en Europe, ne font pas assez pour empêcher ces bateaux de traverser la Méditerranée ou la Manche ?

CS : On s’alarme une semaine et puis on oublie mais c’est chaque jour que cela se passe et on ne fait rien, depuis des années. On sait ce qu’il se passe, pourquoi ne l’empêchons-nous pas, pourquoi ne punissons-nous pas ? C’est de l’hypocrisie, on fait semblant de faire preuve d’humanisme. Il faudrait empêcher ces gens là de quitter leurs pays, on vole à l’Afrique ses forces vives, des intellectuels, ça n’est pas du tout de la charité. 

JSF : L’Afrique connaît beaucoup de problèmes de pauvreté qui pourraient peut-être être gérés sur place mais certains pays sont en guerre ou sous la coupe de régimes terribles pour la dignité de leurs habitants, comme l’Afghanistan. La charité chrétienne doit-elle nous faire accueillir ceux qui fuient un régime inhumain ?

CS : Qui a provoqué l’avènement de ces régimes ? Qui a provoqué la pagaille au Moyen-Orient ? C’est l’Occident. Ils ont commencé par l’Irak en accusant Saddam Hussein pour exploiter le pétrole. Ils ont mis la pagaille partout avant de se présenter comme les pompiers venant réparer. Je suis sévère mais je parle en connaissance de cause. Ces gens-là, on leur fournit des armes pour se battre. On les leur vend et on profite de l’argent que ca rapporte. Les médias présentent les interventions occidentales comme un acte de charité mais ce sont largement des actes d’égoïsme de la part de l’Occident.

Il est vain de vouloir séparer la situation des personnes de celles des enjeux géopolitiques. La charité seule ne résoudra jamais la question des migrants. C’est une facilité que de le croire.

JSF : Que pensez-vous du mouvement woke qui considère que nous vivons dans des systèmes racistes par nature. Vous qui êtes Guinéen et pointez certaines responsabilités de l’Occident dans les désordres contemporains, comprenez vous ces gens qui demandent que l’Occident reconnaisse sa culpabilité en permanence ?

CS : On ne peut pas reconnaitre une faute que l’on n’a pas commise. En ce qui concerne l’esclavage, ce sont vos ancêtres qui devaient demander pardon. Mais pour moi, ce sont des slogans qui ne signifient rien. On fait du bruit pour cacher la vérité, pour cacher les fautes d’aujourd’hui. La vérité, c’est qu’il faut que vous assumiez ce que vous avez fait maintenant, la pagaille au Moyen-Orient. 

JSF : Concernant la position de l’Eglise vis-à-vis de la Chine…

CS : Je ne fais pas de politique vaticane, je ne peux pas parler de ça. Ce qui est clair, c’est qu’il faut respecter les chrétiens de Chine qui connaissent des souffrances. Il faut les aider et les accompagner, mais on ne peut pas mélanger la politique chinoise avec la religion.

JSF : Une dernière question, éminence : de plus plus en souvent, l’Occident, l’Europe, la France sont accusés de racisme, d’un racisme systémique qui reflèterait un suprémacisme blanc… que pense l’Africain venu s’installer en Europe que vous êtes de cette nouvelle idéologie woke ?

CS : Oui, souvent les étrangers suscitent de la méfiance, ils ne sont pas toujours très bien accueillis, c’est une évidence. Mais je ne pense pas pour autant que vos sociétés soit intrinsèquement racistes. 

Je me souviens de mon premier séjour en France, en septembre 1964. J’avais été invité par un ami séminariste, dans sa famille. Le lendemain de mon arrivée, nous étions dans la rue, un homme m’a traité de sale nègre en me disant « retourne chez toi ». Mon ami s’est fâché, il était très en colère, je lui ai demandé de se calmer et j’ai répondu à cette personne, nègre, oui je le suis sale, non ! 

Comme vous avez été les maîtres absolus de la planète par la colonisation, vous vous pensez supérieurs. Vous avez vendu des Noirs, des Africains, comme des meubles sans valeur. Même certains hommes d’église, se sont demandé si les hommes noirs avec une âme…

Mais je ne pense pas que cette mentalité subsiste. Vous savez je vous raconte l’exemple de cet homme qui m’avait abordé dans la rue mais pour l’essentiel, partout où je suis allé, auprès de tous les gens que j’ai rencontré, j’ai été accueilli avec beaucoup de sympathie, aux Etats-Unis comme ici en Europe. Les imbéciles existent partout, les racistes aussi. Ça ne rend pas une société raciste dans son ensemble. 

JSF : Déboulonner des statues, comme celle de Colbert parce qu’il a fait rédiger le Code noir, ce sont des combats anti racistes que vous comprenez ?

CS : Nous ne pouvons pas réécrire l’histoire, ces gens là ont existé avec la mentalité qui était celle de l’époque. Je ne crois pas qu’enlever des statues puisse changer le monde aujourd’hui. Et ça ne changera certainement pas le monde d’hier non plus… Ceux qui devaient demander pardon sont morts aujourd’hui. Ce sont des débats inutiles. Vous, les Français d’aujourd’hui n’êtes pas coupables de ce passé là. En revanche, vous avez le devoir de ne pas être racistes aujourd’hui. N’effaçons pas les combats nécessaires aujourd’hui derrière la fumée des polémiques sur le monde d’hier. C’est ça, réparer le monde. 

L’Occident invente de nouvelles idéologies dangereuses tout le temps. Il y a eu le communisme, le nazisme, maintenant ce wokisme dont vous me parlez. Heureusement, vous les avez toujours vaincues. Car l’Occident n’a pas fait que des choses terribles. C’est comme pour un homme, chacun est capable de faire des choses graves et de faire des choses belles. L’important est de savoir le voir. Il faut accepter l’existence comme elle est. 

JSF : La tentation de l’angélisme, c’est ignorer la nature humaine ? 

CS : Oui. Le mal existe. Mais dans le Notre Père, nous récitons « pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ». Se délivrer du mal, c’est aussi ça. 

Le Cardinal Robert Sarah vient de publier "Pour l'éternité" aux éditions Fayard

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