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Cannabis : pourquoi (et comment) l’Etat doit reprendre le contrôle du marché pour gérer cette crise de santé publique
©Reuters

Légalisation

Un rapport parlementaire publié en ce mois de janvier 2018 préconise la mise en place d'une amende forfaitaire pour les consommateurs de cannabis.

Emmanuelle Auriol

Emmanuelle Auriol

Universitaire, Emmanuelle Auriol est chercheur à l'IDEI (Institut d'Economie Industrielle), membre de l'école d'économie de Toulouse (TSE) et professeur d'économie à l'Université Toulouse 1 Capitole.

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Un rapport parlementaire publié en ce mois de janvier 2018 préconise la mise en place d'une amende forfaitaire pour les consommateurs de cannabis. Dans quelle mesure la légalisation pourrait-elle permettre des résultats plus probants, tout en offrant une réelle possibilité de "reprendre le contrôle" par les pouvoirs publics en encadrant strictement la consommation ?

Emmanuelle Auriol : En France l’usage récréatif et le trafic de cannabis constituent des infractions pénales passibles de peines de prison et d’amendes. Cette politique répressive, qui met sur le même plan consommateurs et trafiquants, est très couteuse et inefficace. Notre pays est en effet un des champions d’Europe de la consommation de cannabis. Il détient aussi le triste record du plus grand nombre d’arrestations pour son usage. La mise en place d'une amende forfaitaire pour les consommateurs de cannabis sera donc un progrès par rapport à la situation actuelle car elle va désengorger les tribunaux, alléger les coûts de procédures tout en générant un revenu supplémentaire à travers les amendes et diminuer le risque pénal qui pèse sur les usagers. Mais elle ne va en aucun cas résoudre le problème de la consommation excessive de cannabis dans notre pays. 

Pour lutter efficacement contre ce fléau il est indispensable que l’Etat reprenne le contrôle de ce marché. La légalisation est le seul moyen d’assoir son monopole sur la distribution, comme c’est le cas pour le tabac. Le cannabis pourra être ainsi distribué dans des officines dédiées, installées loin des collèges et des lycées. La vente doit être interdite aux mineurs. Cela permettra aussi de contrôler la qualité des produits qui aujourd’hui sont toxiques, ainsi que de moduler les prix en fonction de la teneur réelle en THC du produit. Un dispositif sérieux de lutte contre le cannabis doit viser à réguler les consommations, retarder l’âge de la première prise, bien trop bas dans notre pays puisqu’on estime qu’à 16 ans un adolescent sur deux a déjà expérimenté avec le cannabis, et se centrer sur la prévention et l’éducation. On parle alors de politique de la demande, par opposition à la répression qui est une politique de l’offre. Dans un premier temps l’Etat devra modérer la fiscalité afin que les prix ne soient pas trop hauts, le but étant d’assécher le marché des dealers. Une fois que les réseaux mafieux auront été délogés du marché, il est souhaitable de relever la fiscalité afin de décourager les consommations. En effet la demande de cannabis, comme celle du tabac ou de l’alcool, est sensible aux prix. L’outil fiscal est donc un instrument indispensable de régulation de la demande, un outil dont l’Etat se prive avec la prohibition.

L'argument de "désengorgement" des tribunaux, pour un tel projet, est-il crédible ? Ne peut-on pas voir plutôt dans une telle décision une incapacité de proposer un "modèle économique" alternatif aux quartiers qui concentrent le "deal" ?

Je crois que c’est une motivation réelle de cette évolution. Il y a en France quelques 200 000 interpellations par an liées à une infraction à la législation sur le stupéfiants, la grande majorité de ces infractions sont dus à l’usage. Ces interpellations encombrent les services de la police et de la justice sans effets réels sur les contrevenants car la loi étant trop dure et inadaptée pour de simples usagers, ces procédures se soldent dans l’écrasante majorité des cas par un rappel à la loi. La mise en place d'une amende forfaitaire pour les consommateurs de cannabis sera donc un progrès par rapport à la situation actuelle. En ce qui concerne la légalisation le gouvernement y est encore opposé, alors que le reste du monde évolue rapidement sur cette question. Les raisons de cette opposition sont essentiellement électorales. Jusqu’à récemment une majorité de français étaient opposés à la légalisation. Aujourd’hui ils sont plus de 50% à souhaiter une évolution de notre dispositif répressif et législatif. Le gouvernement tente donc la contravention, qui est également appelée de ses vœux par plusieurs syndicats de police.

Dans quelle mesure cette activité est-elle essentielle pour ces zones ? Quel pourrait être cette alternative à proposer dans le cas d'une légalisation ?

Selon l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), le chiffre d’affaires du marché des drogues illicites en France aurait été pour l’année 2010 de l’ordre de 2,3 milliards d’euros, soit 0,12 % du PIB français. À lui seul, le cannabis représenterait la moitié de ce marché. Une grande partie des profits engendrés par le trafic de drogues est accaparée par les gros trafiquants qui résident hors de France et hors de portée des autorités françaises. Ce sont les seuls véritables gagnants de ces trafics dont les bénéfices ne profitent que très peu aux quartiers défavorisés, qui par contre subissent la délinquance et la violence engendrées par ces activités criminelles.  Par ailleurs ce marché ne génère aucune taxe puisque les trafics sont clandestins et ne donnent pas lieu à une taxation. Par contre il génère beaucoup de coûts.
En France, Pierre Kopp estimait qu’en en 2010 la dépense publique engagée par l’État et l’Assurance-maladie pour la mise en œuvre de la politique de lutte contre les drogues illicites et la prévention des conduites addictives à 2,4 milliards d’euros. Il n’est pas difficile d’imaginer un système qui sera plus efficace et plus protecteur, y compris pour les quartiers défavorisés où fleurissent les trafics. La légalisation permettrait de générer des recettes fiscales supplémentaires dont une partie devrait être investie dans ces quartiers, notamment dans les écoles. Une autre partie devrait être dédiée à la répression, l’idée étant d’intensifier la répression contre les réseaux mafieux. Il serait erroné de penser que l’on puisse faire l’économie des coûts de répression en légalisant le marché de la drogue. On épargnera bien sûr les coûts d’incarcération des usagers et des trafiquants de drogues. Mais il faudra maintenir actif le dispositif de répression, afin de s’assurer que des réseaux criminels n’investissent pas le marché noir en cassant les prix et en vendant des drogues bon marché.

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