C'est quoi un bon prof ? Celui qui a l'art de transmettre le sens critique et le goût de la rigueur<!-- --> | Atlantico.fr
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Le bon prof est celui qui fait progresser les élèves. Il leur transmet des connaissances, le goût de la rigueur, et leur communique le sens critique.
Le bon prof est celui qui fait progresser les élèves. Il leur transmet des connaissances, le goût de la rigueur, et leur communique le sens critique.
©Reuters

L'instit'

Un bon prof doit savoir faire progresser ses élèves en leur transmettant un sens critique mais sans jamais oublier une certaine obligation de rigueur. Cinquième épisode de notre série.

René Domergue

René Domergue

René Domergue est enseignant, écrivain et ethno-sociologue.

Il a longtemps enseigné les Sciences Économiques et Sociales au Lycée Montaury (devenu Lycée Albert Camus) à Nîmes.

René Domergue a mené de nombreuses enquêtes avec ses élèves. Certaines ont connu un retentissement national, en particulier La rumeur de Nîmes.

Des détails sur ses enquêtes et recherches ethno-sociologiques sont disponibles sur son site : www.renedomergue.com

Voir la bio »

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Le bon prof est celui qui fait progresser les élèves. Il leur transmet des connaissances, le goût de la rigueur, et leur communique le sens critique.

C’est ce que je me suis efforcé de faire durant une trentaine d’années, avec des succès et des échecs. Je n’aurais jamais l’idée de me qualifier de bon prof, mais je pense discerner assez bien l’objectif vers lequel il faut tendre.

Le sens critique

Communiquer le sens critique ce n’est pas entraîner les élèves à critiquer tout et son contraire. Exercice facile, dans l’esprit du temps, encouragé par la verve de certains présentateurs d’émissions à succès. C’est au contraire analyser un problème sous tous ses aspects, prendre conscience que le plus souvent l’explication est complexe, les interrelations nombreuses. Prenons l’exemple de l’efficacité des mesures de politique économique d’un gouvernement (programme de 1er ES). Souvent la première réaction de l’élève est de type idéologique, conditionnée par l’environnent familial et médiatique dans lequel il baigne. Vision partiale qui peut être alimentée par les enseignants eux-mêmes. Or toutes les mesures de politique économique ont des effets multiples, en partie à contresens du but recherché.

Certaines matières, comme les Sciences économiques et sociales, sont propices à la réalisation d’enquêtes de terrain. Aux lendemains de l’inondation de la ville de Nîmes en 1988, pratiquement toute la population, et 99 % des élèves, considérait que les autorités mentaient sur le nombre de noyés. Si les autorités cachaient la vérité, on devait pouvoir trouver un nom de noyé qui ne figure pas dans la liste officielle. Il était facile de motiver les élèves pour une recherche qui avait de grande chance d’ébranler leurs certitudes et de changer leur regard sur tout ce qu’ils considéraient comme allant de soi en terme d’information.

Le bac comme objectif ?

Certains collègues jugent qu’en matière de transmission des connaissances  « ce n’est pas la peine de s’inquiéter, les élèves auront tous le bac » et  que, « de toute façon, ce qu’on fait ne sert pas à grand chose, si un élève est bon, il réussira dans ses études. »

Il est vrai que dans de nombreux Lycées un pourcentage élevé d’élèves, dont certains en réelle difficulté, décroche le Bac. Mais l’objectif d’un prof doit-il être la réussite des élèves au bac ou leur progression ?

Il faut reconnaître que ce type de réaction est encouragé par le système. Par exemple par les méthodes d’harmonisation de la notation du bac, mises en place pour d’excellentes raisons certes mais qui peu à peu ont généré un effet pervers. Le prof dont la moyenne des copies est, disons, de 8 contre une moyenne générale de 9,5 se voit sommé de s’expliquer en commission. On relit quelques-unes de ses copies. Il court le risque d’être jugé par ses collègues. Le plus simple est donc de surnoter. Mettre 10 à une copie à moitié hors sujet...

Le travail, la discipline

Il paraît évident que le prof doit avoir à cœur de faire travailler ses élèves. Bon nombre d’entre eux sont paresseux ou tout au moins sensibles à une offre de loisirs bien plus attractive qu’un cours. Beaucoup d’enseignants ont du mal à admettre cette situation, il faut dire que la plupart sont d’anciens bons élèves. Ce n’est pas mon cas. Aussi ai-je toujours compris les flemmards, les distraits, les bavards. Pour autant, je considère qu’endiguer ce phénomène faisait partie du contrat souscrit avec l’Education Nationale. Ce que j’ai trouvé de mieux pour pousser les élèves au travail était de repérer par une croix les réponses valables aux questions qu’ils avaient à préparer (avec un plan de la classe sous les yeux cela se fait aisément). En fin du trimestre, le bilan des réponses correctes se transformait en un bonus pour la moyenne. Ainsi la plupart des flemmards faisaient un effort, la machine se mettait en marche.

Nombre de mes collègues considéraient que pour des élèves de première ou de terminale cette méthode était infantilisante. Mon point de vue est que tout travail mérite salaire. Bien entendu j’admire l’enseignant qui parvient à dynamiser le groupe classe sans utiliser de tels artifices, mais comment doivent procéder les autres ?

Mêmes remarques concernant mon système de sanctions échelonnées pour lutter contre le fléau du bavardage. Des collègues se moquaient en disant : « On est pas à l’école primaire. Je suis pas payé pour faire la discipline ». Le malheur c’est que sans un minimum de discipline en classe, la transmission d’un savoir devient très aléatoire. Il faut dire que l’institution n’est pas toujours au rendez-vous pour soutenir les profs en cas de différends avec les élèves. Et que dire lorsqu’ils sont soutenus sans condition par leurs parents !

Les plus mal lotis étaient les jeunes stagiaires qui parallèlement fréquentaient l’IUFM où on leur inculquait l’idée que si une classe se laisse distraire voire chahute, c’est que le cours n’est pas bon. Or certains stagiaires arrivaient avec d’excellents cours, mais ne parvenaient pas toujours à se faire respecter. Et plutôt que de mettre en cause le dogme de l’IUFM (tout au moins ce qu’ils en avaient retenu), ils s’en prenaient à eux-mêmes et doutaient de leurs qualités, réticents à prendre le problème par le bon bout, celui de la discipline.

La question des effectifs

Pour expliquer la difficulté d’enseigner il est de bon ton d’incriminer les effectifs pléthoriques. Il est certain qu’enseigner devant une classe surchargée n’aide pas, mais j’ai vécu ma plus belle année d’enseignant face à deux classes de terminales de 40 élèves, et ma pire année avec une classe de première de 17. Les uns étaient réunis par un projet pédagogique, une enquête destinée à être publiée sur la Féria de Nîmes.

Les autres étaient pour beaucoup en grande difficulté, et tout ce que j’ai pu inventer pour tenter de les faire avancer les renvoyait à leur échec (et accessoirement me renvoyait au mien).

En fin de carrière, et après pas mal de tracasseries, j’ai obtenu une mutation pour un collège de ZEP. Entre autres, j’enseignais l’Histoire et la Géographie en sixième devant des classes de 15 à 16 élèves. La difficulté était considérable. Elle aurait été presque aussi grande si je n’avais eu que cinq élèves dont les deux ingérables qu’on trouvait dans pratiquement toutes les classes de ce collège. J’admire les profs qui dans de telles situations parvenaient à faire des cours qui, vus de l’extérieur, semblaient normaux (en réalité le niveau socio-culturel des élèves fait que l’intériorisation du savoir et des méthodes demeure faible). Mais pour beaucoup c’était mission impossible. La première raison c’est que les programmes sont totalement coupés des besoins des élèves. Ces derniers se trouvent fatalement en échec.

Avec d’autres élèves de collège, de troisième cette fois et jugés difficiles, j’animais un atelier vidéo où l’on réalisait (assez souvent dans la pagaille) des films sur le thème des parcours professionnels. J’ai été surpris de voir avec quelle dextérité ces jeunes maniaient caméra, micro, table de montage. Ils galéraient en classe depuis des années. L’un voulait être carreleur, l’autre mécanicien... Avec un maître d’apprentissage à l’écoute, ils seraient devenus d’excellents professionnels. Le système contraint à les garder jusqu’à l’âge de 16 ans à l’école pour des raisons a priori louables, la formation de l’esprit, la culture. Ils en sortiront humiliés par leurs échecs innombrables. Meurtris. Révoltés.

Dans ces conditions la question est sans doute moins celle du bon prof que celle du bon système.

L’arrivée en force des nouvelles technologies, la possibilité d’un enseignement individualisé, éventuellement à distance, rendent, ou vont très bientôt rendre, en partie obsolète le modèle du bon prof auquel je fais référence. Puisse cette révolution technologique fournir une opportunité pour remettre tout à plat.

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