Budget 2024 : sur l'inflation, l'emploi, la croissance, les impôts, tout est possible, mais tout va dépendre du moral des Français. Et le moral va dépendre de… ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour Jean-Marc Sylvestre, "le président de la République s'est fait élire sur un projet libéral, mais son action quotidienne fait de lui l'un des présidents les plus dirigistes".
Pour Jean-Marc Sylvestre, "le président de la République s'est fait élire sur un projet libéral, mais son action quotidienne fait de lui l'un des présidents les plus dirigistes".
©Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Atlantico Business

Même les économistes les plus rationnels le disent : tout va dépendre du moral des consommateurs et des chefs d'entreprises. Et le moral va dépendre de la politique et de la confiance que la gouvernance va inspirer. Ce n'est pas gagné.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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C’est assez rare que les économistes et les chefs d’entreprises considèrent que la politique finit par commander le fonctionnement de leur modèle de fonctionnement. D’ordinaire, les experts considèrent que l’expertise commande a la politique et impose des grandes évolutions. Les forces du marché s’imposent quoi qu'on dise. Aujourd'hui ça n’est plus vrai. La politique s’impose.

Alors que la cote des personnels politiques ne cesse pas de baisser dans les grandes démocraties libérales européennes, la situation économique n'a jamais été aussi suspendue à la confiance que l'on pouvait accorder aux dirigeants politiques. Parce que factuellement les chiffres du diagnostic, comme dirait un médecin, ne sont pas mauvais, mais pour que le logiciel puisse fonctionner encore faut-il y croire. Et pour l'heure, les Français n'y croient pas ; la meilleure preuve, c'est que nous n'avons jamais enregistré autant d'épargne de précaution... ; c'est de l'épargne disponible ou réalisable, elle ne sert donc à rien sauf à rassurer les Français contre les risques qu'ils appréhendent.

Si on s'en tient aux indicateurs de la macroéconomie, ils ne sont pas mauvais. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, profite de chaque publication pour confirmer sa conviction que la situation française va s'améliorer en 2024. D'abord, les derniers chiffres de l'inflation se sont tassés, ce trimestre aux alentours de 4% annuel, la bouffée de chaleur sur les prix alimentaires et d'énergie est donc passée ;  l'année prochaine, les revenus vont augmenter plus que les prix, ce qui pour Bercy augure d'une reprise de la consommation. La situation de l'emploi est plus incertaine, le rythme des embauches a baissé en ce dernier trimestre et le nombre de chômeurs inscrits augmente très légèrement. Cela dit, du côté des entreprises, les investissements marquent un mouvement de réindustrialisation assez net avec des secteurs qui restent en tension sur les actifs, matériels et humains.

Mis bout à bout, tous ces indicateurs permettent au ministre de l'économie et à ses équipes de camper sur une perspective de croissance de 1,4% pour 2024. Laquelle lui permet de présenter un budget en ligne avec les promesses qu'il a faites à Bruxelles et aux agences de notation. Le raisonnement tient la route, notamment quand on voit les difficultés dans lesquelles l'Allemagne, champion toutes catégories, est empêtrée depuis cette année.

C'est cette prévision de croissance qui fait débat en France chez la plupart des économistes, même si elle correspond grosso modo au calcul du FMI pour la France. Cette perspective fait débat, parce que les économistes trouvent dans l'écosystème des facteurs de contreperformance.

Le premier, c'est le prix de l'argent. Personne ne voit dans le prix de l'argent un accélérateur d'activité, au contraire. Et cela d'autant plus que les banques centrales n'ont pas annoncé de baisses violentes, c'est le moins qu'on puisse dire.

Deuxième facteur d'incertitude, la dette française, 3 000 milliards de stocks et 280 milliards d'endettement supplémentaires, notamment pour couvrir les dépenses sociales. Les économistes, pourtant très keynésiens en majorité, font semblant de méconnaître le rôle de cette dette dans la redistribution de revenus et donc de la consommation.

Troisième facteur de fragilité, des besoins d'investissements structurels qui ne sont pas financés : la mutation énergétique, le parc nucléaire et le rééquilibrage de l'EDF.

Quatrième facteur d'inquiétude, les rapports géopolitiques. Sur le front de l'Ukraine, comme du Moyen-Orient, on ne sait pas ce qui va se passer. Plus grave, ces fronts de guerre font peser un énorme risque sur le commerce international, le prix du pétrole et des matières premières.

Quand on met bout à bout ces facteurs de risques, on annule les ressorts positifs qui permettraient de passer l'année 2024 dans la sérénité. En fait, les Français sont globalement inquiets du climat socio-politique. Certains commencent à avoir franchement peur des actes antisémites qui se multiplient, mais surtout, ils s'inquiètent de la rapidité avec laquelle des violences se diffusent. Le déferlement de faits est inqualifiable, mais au-delà, les commentaires politiques qui se répandent et dont la plupart exploitent le climat d'antisémitisme à des fins électorales entretiennent la haine et détériorent le climat. La première conséquence de ce climat est que les Français ont tendance à se rétracter, se protéger et abandonner ou reporter des projets, que ce soit des projets de voyage, de consommation ou d'investissement.

1er indicateur de la peur : les annulations de réservations sur les voyages et séjours.

2e indicateur de la peur, beaucoup plus significatif, la montée de l'épargne disponible. Jamais le taux d'épargne n'a été aussi élevé (plus de 17% du revenu disponible), et ce taux très franco-français puisque la moyenne des taux d'épargne dans les grands pays occidentaux est inférieur à 10%.

3e indicateur de l'inquiétude, la perte de confiance dans la classe politique à apporter des réponses rassurantes. La brutalité des discours de l'extrême gauche paraît complètement aberrante et irresponsable, mais l'absence de positions responsables venant de la gauche ou de la droite préoccupe encore davantage les Français.

L'omniprésence du président de la République sur tous les dossiers accrédite l'idée du déficit de responsables politiques capables de gérer les dossiers. Mais les positions mêmes de la gouvernance donnent l'impression qu'il n'y a pas de stratégie forte et cohérente. C'est vrai en politique étrangère et c'est même vrai en politique économique.

Parce qu'à Bercy, la logique de l'offre semble protégée dans le cadre de la loi de finance 2024 , mais l'Élysée donne l'impression de pratiquer un interventionnisme permanent.

Le président de la République s'est fait élire sur un projet libéral, mais son action quotidienne fait de lui l'un des présidents les plus dirigistes. La pratique systématique du "en même temps" paraît très inefficace et brouille en permanence la ligne et le cap. D'où la perte de confiance qui ne facilite pas les mécanismes économiques. Les consommateurs, les salariés et les chefs d'entreprises voudraient évidemment un message plus clair, plus cohérent et plus ambitieux.

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