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Bruxelles commes les autres… à chaque vague d’attentats ses théories du complot qui fleurissent sur le web
©Reuters

Déconstruction

Depuis les attentats de Charlie Hebdo, les théories remettant en cause la version officielle se font de plus en plus virulentes sur Internet. Pour contrer et déconstruire les thèses conspirationnistes, le média Spicee a mis au point une technique inédite d'infiltration e-digitale de la complosphère.

Matthieu Firmin

Matthieu Firmin

Matthieu Firmin est le Rédacteur en Chef du média digital 100% vidéo Spicee. 

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Thomas Huchon

Thomas Huchon

Thomas Huchon est journaliste. Ancien rédacteur en chef de SoYouTV, il est aujourd'hui réalisateur pour le média digital 100% vidéo Spicee. 

https://twitter.com/thomashuchon

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Atlantico : Dans la foulée des récents attentats de Bruxelles comme après les précédents, des vidéos conspirationnistes ont fait leur apparition sur Internet. Quel est le message/la théorie de ces faux documentaires ? Qui se cache derrière ces productions conspirationnistes et comment expliquer qu'elles puissent être réalisées si rapidement ? 

Thomas Huchon : Après les attentats de Charlie Hebdo, des complotistes très connus (Alain Soral, Dieudonné, Thierry Meyssan) ont réagi dès le 7 janvier sur leurs sites respectifs  et ont sorti des contenus. En revanche, après les attentats de novembre 2015 à Paris ou de Bruxelles récemment, il ne s'agit pas de théoriciens du complot connus qui ont produit du contenu mais d'internautes lambda.

En janvier 2015, tout est allé très vite sur Twitter, qui, contrairement à ce que l'on peut croire, est un média et non un réseau social tandis qu'après le 13 novembre et les attentats de Bruxelles, tout a commencé sur de petites communautés : une personne sur Facebook publie un message, agrège autour de sa communauté et une fois que ça atteint une taille critique (mesurée par le nombre de "likes" et de partages), elle va le sortir de sa communauté et le faire passer dans l'espace public sur un média, en l'occurrence Twitter. On est donc dans deux mécaniques inverses : depuis le 13 novembre, l'information part de Facebook, atteint une taille relativement importante, et donne lieu à des papiers sur les sites conspirationnistes, tandis qu'au moment de Charlie Hebdo, des conspirationnistes comme Meysan publiaient des contenus sur leur site (dans le cas de Meyssan sur Réseau Voltaire), qui étaient ensuite récupérés sur les réseaux sociaux où ils faisaient le buzz.

Spicee a mis en ligne une vidéo sur son compte Youtube qui reprend les principales vidéos complotistes qui sont sorties après les attentats bruxellois du 22 mars. Nous avons remarqué qu'il s'agissait principalement de personnes lambda filmant leur téléviseur et commentant par-dessus les images : ces vidéos, faciles et rapides à produire, ont été vues 30, 40,50 000 fois. Spicee a un projet : Conspi Hunter, pour lequel nous travaillons avec des spécialistes du big data et de l'audience sur Internet qui surveillent avec nous en temps réel le web conspi pour pouvoir l'éditorialiser et en faire une information.

La rapidité de réaction et de production s'explique très facilement.  Par exemple, Laurent Louis, un conspirationniste belge bien connu, a publié le matin des attentats un post sur sa page Facebook, et dans la foulée, il a enregistré une vidéo qu'il a publiée sur son compte Youtube. Produire ces vidéos est d'une simplicité folle : il suffit de s'assoir dans son canapé rouge comme Alain Soral, d'appuyer sur enregistrer sur la webcam, et ensuite de diffuser.

Ces films, comme l'ont encore montré les vidéos sur les attaques de Bruxelles, ont beaucoup d'écho sur le web. Quelles sont les audiences les plus réceptives ? Auprès de quels publics ces films ont-ils le plus d'impact ? Pourquoi selon vous ? Quels risques le succès des théories conspirationnistes pose-t-il ?

Matthieu Firmin : En France, parmi les sites conspirationnistes les plus consultés figure Egalité et Réconciliation, site du conspirationniste notoire obsédé par le complot sioniste et se définissant comme national-socialiste, Alain Soral. Son site attire 4 millions de visiteurs uniques par mois, c'est plus que les sites de France Culture et de Paris Match. Il a quasiment 44 000 followers. Dieudonné est aussi très connu, son site Quenelle Plus fait parties de sites français les plus vus : simplement un an après sa création, il attire 1 million de visiteurs uniques par mois et Dieudonné totalise 120 000 followers. Rien qu'à eux deux, ils rassemblent 5 millions de personnes, même s'il y a probablement des gens qui consultent les deux. Il y a également un site comme Wikistrike, sorte de Wikipédia du complotisme qui attire 1 million de visiteurs uniques par mois, ou encore Réseau International qui totalise aussi 1 million de visiteurs uniques par mois.

La cible privilégiée par ces sites, ce sont les jeunes de moins de 25 ans qui s'informent majoritairement sur Internet. Les sites conspirationnistes utilisent les mêmes codes, les mêmes styles de narration et les mêmes outils que les journalistes classiques. Quand on tombe sur un site conspirationniste, ça a l'image, l'odeur d'un site d'information "normal" et c'est précisément cela qui est dangereux car on peut se faire berner par l'emballage. Les conspirationnistes prétendent réinformer le public. Les jeunes qui sont en pleine construction de leur pensée critique sont encore malléables et vulnérables, et ce sont donc eux qui sont les plus impactés. Ce n'est pas tellement une question de classe sociale ni de banlieues, mais véritablement de classe d'âge. 

Concrètement, comment Spicee lutte-t-il contre l'adhésion aux théories du complot et leur propagation ? Que peuvent faire les pouvoirs publics ?

Matthieu Firmin : Spicee est parti d'un constat : après les attentats contre Charlie Hebdo, dans les heures et jours qui ont suivi, ont commencé à fleurir sur Internet des théories qui remettaient en cause la véracité des attentats et qu’ils étaient le fait de djihadistes. On s'est demandé comment faire un travail de déconstruction de ces thèses conspirationnistes. Spicee a choisi une démarche complètement novatrice d'infiltration digitale pour faire une e-investigation: nous nous sommes infiltrés dans la complosphère et avons créé notre propre complot afin de voir qui le reprenait, qui le commentait, qui le relayait.

Nous avons donc créé une fausse théorie selon laquelle le sida avait été inventé aux Etats-Unis, inoculé sur l'île de Cuba pour lutter contre le castrisme et selon laquelle le blocus visait à fermer le pays pour que le virus ne circule pas et si aujourd'hui, il y avait la fin du blocus, c'était parce que les Cubains avaient trouvé un vaccin et que les Etats-Unis et la France voulaient récupérer ce vaccin. Cette fausse théorie est un mélange d'un petit peu de vrai, de théories farfelues, de faux documents, de fausses thèses. Nous avons mélangé tout cela, avons créé un faux profil Internet et avons suivi le trajet de notre faux documentaire sur Internet : très rapidement, nous avons constaté que cette vidéo était reprise sans aucune vérification par des sites qui prétendent réinformer les gens, qualifiant même notre travail de "formidable, permettant à la vérité d'éclater " ! En quelques jours, la vidéo avait été visionnée près de 10 000 fois alors qu’elle provenait d’un anonyme. Nous l’avons alors retiré du Net pour stopper sa propagation. Cette expérimentation a fait l’objet d’un documentaire de 45 minuntes qui nous a permis de décrypter les arcanes, les mécaniques de la complosphère et de mettre au point un certain nombre d'outils pour se prémunir contre les théories du complot.

Par ailleurs, nous avons décidé de prendre de façon assez régulière (plusieurs fois par mois) une théorie ou une vidéo complotiste, de la déconstruire et de mettre en garde le public qui pourrait être tenté de croire ce qu'il voit. Il s'agit de donner les outils pour éviter de tomber dans ces thèses conspirationnistes.

Nous avons également mis au point un kit de défense contre les théories conspirationnistes qui reprend les théories les plus répandues, comprenant le dictionnaire des conspis, ainsi que les moyens de diffusion utilisés par les complotistes. Ce kit  a vocation à aider les gens à s'y retrouver, à se référer à ce manuel pour repérer les sites conspirationnistes.

Nous avons donc mis en place une méthode scientifique et choisi de donner des outils pédagogiques pour se prémunir contre ces thèses conspirationnistes. Les pouvoirs publics et plus particulièrement l'Education nationale, nous a demandé d'intervenir dans des lycées et de diffuser notre faux documentaire sur le sida. Cette méthode séduisante pour les jeunes et notre approche didactique nous ont permis d'intéresser les lycéens et de leur apprendre à être vigilants. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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