Brexit : shocking, isn't it ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le Premier ministre britannique David Cameron
Le Premier ministre britannique David Cameron
©

Sale gosse de l'UE

Le Royaume-Uni a toujours été "l'enfant terrible" de l'Europe : il cherche systématiquement à préserver ses intérêts nationaux et à limiter au maximum sa participation à la construction européenne, qui est par conséquent à géométrie variable.

Yves Petit

Yves Petit

Yves Petit est professeur de droit public à la Faculté de droit de Nancy (Université de Lorraine). Il enseigne le droit de l’Union européenne dans ses dimensions institutionnelle et matérielle. Ses travaux de recherche portent sur les institutions européennes, les politiques de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que sur le droit de l'environnement.

Voir la bio »

Sans exagération, il est exact d’affirmer que le Royaume-Uni a toujours été « l’enfant terrible » de la construction européenne ! Il s’est retiré de manière spectaculaire des négociations relatives au traité de Paris du 18 avril 1951 ayant donné naissance à la CECA, ainsi que de celles ayant porté sur les fonts baptismaux les traités de Rome du 21 mars 1957 relatifs à la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom) et à la Communauté économique européenne (CEE).

Certes, l’opposition du général de Gaulle à son entrée dans la Communauté n’arrangeait rien. Le discours de Winston Churchill au Congrès fédéraliste de La Haye du 7 mai 1948, favorable à la création d’États-Unis d’Europe, n’incluant toutefois pas le Royaume-Uni, avait pourtant suscité de l’espoir.

Entré dans la CEE le 1er janvier 1973, sa participation a toujours fait de lui un État membre pas comme les autres car, pour le Royaume-Uni, la construction européenne se réduit à un projet économique. Elle n’est absolument pas un projet politique, et encore moins géopolitique, comme peut en attester le discours de Bruges de Margaret Thatcher du 20 septembre 1988.

À peine devenu membre, en 1975, le temps de la renégociation était déjà là et il n’est guère surprenant qu’aujourd’hui le premier ministre britannique, David Cameron, demande à son tour, notamment sous la pression croissante des eurosceptiques de son parti, une renégociation lui permettant de renforcer son statut particulier, avec l’appui du peuple britannique. Quatre demandes officielles, en opposition frontale avec les principes fondateurs de la construction européenne, sont exigées pour refonder sa relation toujours plus particulière avec l’Union européenne.

Un État membre pas comme les autres

N’est-on pas en droit d’affirmer que le Royaume-Uni n’est pas un État membre à part entière et qu’il a un pied dans l’Union européenne et un pied en dehors ? Le projet de décision des chefs d’État et de gouvernement, réunis au sein du Conseil européen, concernant un nouvel arrangement pour le Royaume-Uni dans l’Union européenne du 2 février 2016 est édifiant à cet égard. Qu’on en juge !

Le projet de décision rappelle que « le Royaume-Uni a déjà été autorisé par les traités » à multiplier les opting out et les mécanismes dérogatoires : ne pas adopter l’euro et conserver la livre comme monnaie ; ne pas participer à l’acquis de Schengen et à l’espace Schengen en ce qui concerne les frontières intérieures et extérieures ; choisir de participer ou non à des mesures dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice ; se retirer partiellement de la coopération policière et judiciaire en matière pénale après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Il réitère également que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’a pas étendu la faculté des juridictions du Royaume-Uni de se prononcer sur la compatibilité de ses lois et pratiques avec les droits fondamentaux qu’elle réaffirme (voir le Protocole n° 30).

Sans être exhaustif, le Royaume-Uni a rejeté également le Mécanisme européen de stabilité et le Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG). Il est fort utile de se remémorer les aphorismes célèbres de certains premiers ministres de sa Majesté pour comprendre que le Royaume-Uni se distingue des autres États membres. Il bénéficie depuis 1984 d’un « mécanisme de correction » en sa faveur, incarnation de la théorie du « juste retour » qu’illustre à merveille le « I want my money back » de Margaret Thatcher, ainsi que les attaques en règle et incessantes contre la Politique agricole commune (PAC).

Tout aussi célèbre est le « Game, set and match for Britain » de John Major en 1991 lors de la négociation du traité de Maastricht. Incontestablement, le Royaume-Uni est un partenaire européen difficile ; il cherche systématiquement à préserver ses intérêts nationaux et à limiter au maximum sa participation à la construction européenne, qui est par conséquent à géométrie variable.

Une nouvelle valse à deux temps

Insatisfait de ce costume taillé sur mesure, après le précédent de 1974-1975, Le Royaume-Uni entend à nouveau imposer à l’Union et aux 27 autres États membres une nouvelle valse à deux temps : une renégociation suivie d’un référendum. En effet, en 1975, après un changement de majorité, James Callaghan, Secrétaire au Foreign Office du gouvernement travailliste dirigé par Harold Wilson, avait demandé de façon excessive et peu appropriée « une renégociation fondamentale du traité d’adhésion ». Soumis au référendum le 5 juin 1975, le résultat de cette renégociation s’est révélé être un premier avertissement sans frais avec 67 % de oui en faveur du maintien dans la CEE, mais l’hypothèse d’une sortie avait été évoquée.

Quarante ans plus tard, le gouvernement britannique actuel estime qu’il « est parfaitement légitime de rendre la parole aux électeurs et de procéder à une nouvelle consultation référendaire pour refonder le lien du Royaume-Uni avec l’Union sur des bases plus démocratiques, plus saines et plus efficaces » (voir, à ce sujet, le rapport du Sénat de Fabienne Keller du 28 janvier 2016 ). Le Royaume-Uni entend dénoncer l’évolution fédéraliste de la construction européenne et, partant, réaménager les conditions de son appartenance à l’Union. Les Britanniques avaient déjà pris le maximum de précautions lors de l’élaboration du traité établissant une Constitution pour l’Europe, en exigeant que le mot « fédéral » n’y figure pas, agitant alors l’épouvantail du « F word ».

L’irréductible spécificité britannique doit donc trouver une place nouvelle et conforme à ses vues au sein de l’Union européenne, ce qui nécessite un « paquet » de réformes que le Royaume-Uni entend négocier avec le Conseil européen (et son Président), et la Commission européenne, afin de faire évoluer ses relations avec l’Union européenne. La refondation de son appartenance fera ensuite l’objet d’un référendum (prévu a priori le 23 juin 2016) sur son maintien au sein de l’UE qui, s’il n’est pas positif, entraînera son retrait.

La position britannique s’appuie sur le traité de Lisbonne, qui est le premier traité à contenir une « procédure de divorce » ou une « porte de sortie ». L’article 50-1 TUE prévoit désormais que « Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union ». Le retrait apparaît ainsi à la fois comme le droit d’un État membre, mais également comme le droit d’un peuple. Cela confirme la double nature de l’Union – union d’États et union de citoyens – ou sa qualification de Fédération d’États et de peuples, alors que les Britanniques souhaitent qu’elle devienne seulement une « loose confederation », dans le but de l’affaiblir.

Quatre demandes pour rester, pas moins !

Les demandes britanniques, dont le Président du Conseil européen a pris acte, portent sur quatre sujets précis : la gouvernance économique et l’intégration de la zone euro ; la compétitivité ; la souveraineté ; les prestations sociales des travailleurs migrants et la libre circulation.

Il s’agit de permettre la poursuite de l’intégration de la zone euro, tout en étant assuré que les règles de régulation bancaire n’auront pas d’effet dans les États non membres de la zone euro, dont le Royaume-Uni. Les mesures d’urgence et de crise destinées à maintenir la stabilité financière ne doivent pas non plus grever les finances des États non membres de la zone euro. Les engagements en matière de compétitivité font clairement ressortir que la priorité du Royaume-Uni est le marché intérieur européen, ainsi qu’une politique commerciale « active et ambitieuse ».

En ce qui concerne la souveraineté et la subsidiarité, la mention d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe » (lire l’article 1 du traité ), présente dans les traités depuis celui de 1957, voit sa signification précisée, mais ne disparaît heureusement pas. Dans le but de préserver la souveraineté du Parlement britannique, les parlements nationaux se voient accorder un « carton rouge » leur permettant de bloquer une législation européenne en cours d’adoption.

Le point le plus sensible porte sur l’immigration intra-européenne et l’octroi des prestations sociales aux travailleurs migrants au Royaume-Uni, qui considère qu’elles deviennent une trop lourde charge pour son système de sécurité sociale. La liberté de circulation des personnes est en jeu mais, malgré tout, le projet d’accord propose un mécanisme de sauvegarde (emergency brake) permettant à tout État membre de supprimer temporairement – pour une durée allant jusqu’à 4 ans – les prestations en cas de situations exceptionnelles, ce qui serait d’ores et déjà le cas au Royaume-Uni.

Finalement, le projet d’accord laisse une impression plus que mitigée. L’Union renégocie les traités sans passer par une procédure de révision, mais sous le chantage du Royaume-Uni, qui ne semble plus vouloir adhérer à ses valeurs, alors qu’elle est à l’heure actuelle déjà largement en phase avec les idées britanniques ! Les concessions faites au Royaume-Uni pour éviter un « Brexit » (british exit) peuvent paraître exorbitantes, car elles portent atteinte aux fondements mêmes de la construction européenne et risquent d’avoir un effet d’entraînement pour d’autres États membres. Le mal-être du Royaume-Uni au sein de l’Union n’autorise aucunement David Cameron à stopper la poursuite de l’intégration, voire à engager la déconstruction de l’Union. Shocking !

Cet article a initialement été publié sur le site The Conversation

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !