Bonnet blanc et blanc bonnet : le choix occidental de remplacer les Qataris par les Saoudiens pour gérer les printemps arabes ne sortira pas plus le Proche-Orient de l’impasse<!-- --> | Atlantico.fr
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Les observateurs bien avisés savaient depuis des mois que Washington avait pris la décision de retirer aux Qataris le dossier syrien pour le confier aux Saoudiens.
Les observateurs bien avisés savaient depuis des mois que Washington avait pris la décision de retirer aux Qataris le dossier syrien pour le confier aux Saoudiens.
©Reuters

La peste ou le choléra

Quand Washington retire le dossier syrien des mains du Qatar pour le mettre dans celles de l'Arabie Saoudite, ce sont les peuples arabes qui doivent choisir entre la peste et le choléra, entre Wahhabites et Frères musulmans.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Pour éviter la pluie, Gribouille, ce personnage bien célèbre de roman et de théâtre, se jette dans l’eau. En Égypte et dans certains pays arabes, il existe un proverbe populaire qui traduit la même morale : "Pour se protéger des gouttelettes de pluie, il s’est abrité sous une gouttière". C’est à cela que se résume a priori la situation en Égypte.

Le coup de force du général Abdelfattah Al-Sissi contre Mohamed Morsi n’est pas le fruit du hasard, ni du caprice, ni de l’improvisation, ni même la conséquence d’un désenchantement populaire à l’égard des Frères musulmans, aussi imposantes aient été les manifestations. Pour utiliser une métaphore géologique, l’éviction des Frères musulmans en Égypte est un Tsunami qui a été provoqué par un séisme qui s’est produit beaucoup plus loin, quelque part entre Washington, Riyad et Doha.

C’est bien évidemment la question syrienne qui est l’épicentre du séisme. Les observateurs bien avisés savaient depuis des mois que Washington avait pris la décision de retirer aux Qataris le dossier syrien pour le confier aux Saoudiens. Contrairement aux promesses des Qataris à leurs alliés occidentaux - je dis bien promesses et non pas prévisions - le régime syrien n’est pas tombé "en trois mois". Et c’est parce que ce régime n’est pas tombé en trois mois que les Qataris ont mal interprété la maxime machiavélienne, "la fin justifie les moyens". Le soutien du monde libre à l’opposition syrienne avait, du moins en apparence, des exigences bien claires : pas d’aide et d’aucune façon aux organisations terroristes. Assurément, les Qataris ont transgressé cette ligne rouge. Plus grave encore, ils ne se sont pas contentés de soutenir massivement toutes les fractions de cette opposition hétéroclite, mais ils se sont davantage compris avec la bête noire des États-Unis et du monde occidental, à savoir Al-Qaïda.

Tant que cette alliance objective entre le monde libre et Al-Qaïda était discrète - comme ce fut le cas déjà en Libye -, cela ne dérangeait pas outre mesure la conscience de l’administration américaine. Mais dès que l’affaire est devenue si flagrante en Syrie, en Irak et au Mali après l’intervention française, que les médias libres ne pouvaient plus la traiter par l’omerta, le président Obama a décidé de s’en laver les mains tel Ponce Pilate. C’est l’explication politique et objective de la révolution de palais qui a touchée l’oligarchie régnante au Qatar. Le remplacement de cheikh Hamad et de son Premier ministre par cheikh Tamim, et surtout les toutes premières mesures politiques et diplomatiques prises par le nouveau pouvoir (neutralité dans le conflit syrien, expulsion des hauts dirigeants du Hamas, mise en garde à l’égard de Youssef Qaradaoui, fermeture du bureau des Talibans à Doha…) sont autant d’indices qui démontrent a posteriori les raisons pour lesquelles l’ancien émir a abdiqué au profit de son fils.

Barack Obama ne pouvait plus faire semblant dès lors que la presse américaine, y compris le New York Times, a commencé à dénoncer les exactions barbares d’Al-Qaïda en Syrie. Il semblerait même qu’un groupe de sénateurs républicains n’excluait plus la perspective d’un processus en destitution. Il est vrai qu’Al-Qaïda est, c'est le moins qu’on puisse dire, très impopulaire aux États-Unis. Et pour cause !

Dépouiller le Qatar du dossier syrien pour le confier à l’Arabie Saoudite était donc une décision inéluctable. Mais les stratèges américains, qui ne connaissent pas le monde arabe autant que les puissances coloniales, en l’occurrence la France et la Grande Bretagne, n’ont pas mesuré l’impact qu’un tel revirement pouvait avoir sur Égypte, et par-delà cet État, à moyen termes, sur l’ensemble des pays du "printemps arabe". Les deux premiers États à déclarer officiellement la légitimité du coup de force de l’armée égyptienne à l’égard des Frères musulmans au pouvoir, ont été l’Arabie Saoudite et le Qatar ! Mais, à la suite de ce changement de cap en Égypte, un autre événement s’est produit au sein même de l’opposition syrienne : l’éclipse de Moez Al-Katib, frère musulman sous influence qatarie, au profit d’Ahmad Assi Jarba, islamiste sous influence du wahhabisme saoudien. Originaire de Qamishli, ville frontalière de la Turquie et de l’Irak, Ahmad Assi Jarba appartient, en effet, à la branche syrienne des Chammars, une tribu très puissante en Irak et en Arabie Saoudite ; la propre mère de l’actuel roi d’Arabie, Abdallah, est une Chammar !

Que ce soit en Égypte, où la situation pourrait évoluer vers le meilleur comme vers le pire, ou en Syrie, dont l’avenir dépendra d’un compromis entre les Etats-Unis et la Russie, mais aussi d’un gentlemen agreement turco-iranien, les protagonistes occidentaux semblent oublier un acteur majeur de cette géopolitique incohérente et au coup par coup : les peuples arabes eux-mêmes. Les acculer à un choix entre Charybde et Scylla, entre la peste et le choléra, entre les Frères musulmans et les wahhabites, c’est faire injure à leur intelligence et à leurs aspirations profondes. Si tous ne connaissent pas Gribouille, leur sagesse populaire leur enseigne qu’on peut éviter des gouttelettes sans s’abriter sous une gouttière.

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