Bilan du pass sanitaire : petites questions qui grattent sur le rapport du Conseil d’Analyse économique<!-- --> | Atlantico.fr
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Une pharmacie permettant d'obtenir un pass sanitaire après des tests lors de la pandémie de Covid-19.
Une pharmacie permettant d'obtenir un pass sanitaire après des tests lors de la pandémie de Covid-19.
©Ludovic MARIN / AFP

Contrôle synthétique

Si personne ne remet en cause le sérieux et l’honnêteté du rapport présenté cette semaine, plusieurs interrogations surgissent sur la méthode utilisée par les experts du CAE.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : La construction des modèles économétriques qui nourrissent la note du CAE et notamment le contrefactuel mettant en place un « pays synthétique » est-elle fiable pour estimer les effets ? Quelles sont les limites du contrôle synthétique ?

Atlantico : Un économiste contacté par nos soins expliquait que "une étude comme celle-là, lorsqu’on regarde sa méthodologie, pose des questions. Elle cherche à démontrer quel a été le supplément de vaccination obtenu par le pass sanitaire et en déduit une réduction de la mortalité et des effets sur le PIB, par rapport aux confinements. Dans l’absolu, un exercice comme celui-là est à rapprocher des « What if » en histoire. C’est un récit de ce qui se serait passé si une décision avait été prise plutôt qu’une autre. C’est intéressant, potentiellement instructif mais il ne faut pas en retenir plus que ça. Le problème est la multiplication des hypothèses à chaque étape. On connait le nombre de vaccinés et je n’ai aucun problème pour dire que le pass sanitaire a augmenté le nombre de vaccination, ça a été une incitation. Mais pour ce calcul, le degré d’incertitude est extrêmement grand. Le pass sanitaire a probablement eu un effet positif. Leur modèle est plutôt standard en économie mais repose sur pas mal d’hypothèses afin d’établir le sentier que la France aurait suivi en vaccination si jamais il n’y avait pas eu le pass. Même si c’est fait très sérieusement, comme là, cela reste très hypothétique.

Le pass vaccinal a été mis en place en plein cœur de l’été et un grand nombre de gens avaient prévu de se faire vacciner mais plus tard. Et on ne sait pas ce qui se serait passé sans pass vaccinal. Ils construisent une histoire fictive selon laquelle cela aurait suivi une moyenne d’autres pays qui n’avaient pas le pass sanitaire. C’est une hypothèse audible, mais on peut en faire beaucoup d’autres différentes. Une fois dans un scénario hypothétique, on fait des hypothèses à chaque étape. L’étude explique aussi que le pass sanitaire s’est substitué au confinement ce qui a permis des gains économiques. Mais c’est, à chaque fois, une hypothèse et une couche d’incertitude supplémentaire. Peut être que comme d’autres pays, même sans pass sanitaire, nous n’aurions pas confiné. Une nouvelle fois, il n’y a rien de malhonnête dans leur méthode, mais il faut reconnaître les limites de l’exercice. Le problème c’est que la présentation qui en est faite dans les médias est : "le pass sanitaire a sauvé près de 4000 vies et 6 milliards d’euros". L’affirmation est très péremptoire. Certains ont nuancé en disant une étude "suggère que" ou écrit que le pass "aurait" sauvé des vies et l’économie. Mais, pour le gouvernement c’est une manière de rétorquer avec arguments à ceux qui critiquent le pass sanitaire". 

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Charles Reviens : Je signale en préalable que je ne suis pas économiste de profession et que je concentre mes analyses sur les modalités de construction des politiques publiques et les mesures d’impact de ces politiques, analyses s’appuyant entre autres sur l’économie politique au sens classique du terme.

La note évoquée émane du conseil d’analyse économique, instance fondée en 1997 par le Premier ministre Lionel Jospin. Le CAE est présidé par le Premier ministre et a pour président délégué depuis 2018 Philippe Martin, professeur Science po, ancien conseiller du ministre de l’économie Emmanuel Macron puis soutien de sa candidature de 2017. Philippe Martin a fourni des « guidances » sur la note comme deux autres économistes très médiatisés, Philippe Aghion, également soutien d’Emmanuel Macron en 2017 et Patrick Artus auteur d’un nombre tout à fait considérable de livres et encore plus d’analyses sur les trois dernières décennies.

La note « focus » se donne pour objet de mesurer l’impact de la mise en place d’un pass sanitaire dans les trois principaux pays d’Europe continentale (Allemagne, France et Italie) sur la santé publique et l’économie des trois pays qui ont mis en place en 2021 des pass similaires relativement similaires.

La méthodologique s’appuie sur le raisonnement contrefactuel qui consiste à imaginer la situation à aujourd’hui si un événement majeur n’avait pas eu lieu alors même que cet événement s’est pourtant effectivement produit. Cette méthode est par exemple utilisée pour l’évaluation économique d’un dommage par comparaison entre la situation observée et la situation « contrefactuelle » si le dommage ne s’était pas produit. On mesure ensuite l’écart entre les deux situations.

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La note du CAO construit donc pour la France, l’Allemagne et l’Italie des pays « contrefactuels synthétique » et indique s’appuyer sur la théorie de diffusion des innovations et plusieurs modélisations économétriques. Il s’agit de comparer la situation effective du taux de vaccination covid de l’Allemagne, de la France et de l’Italie avec ce que ce taux aurait été si le pass sanitaire n’avait pas été mis en place. Les contrefactuels synthétiques sont construits sur la base de pays n’ayant pas adopté le pass sanitaire, particulièrement la République tchèque et la Belgique.

Il s’agit donc de modèles multifactoriels avec un nombre limité de variables qui ont la vertu de présenter une vision de la réalité mais qui n’incluent pas de multiples autres variables. Il y a d’autres possibilités d’évaluation : dans une contribution Atlantico de février 2021, j’avais ainsi mentionné une étude Euler Hermès qui recommandait alors une forte accélération de la vaccination dont le cout était évalué à quatre fois inférieurs à son impact positif sur l’activité. Le rationnel développé concernait le redémarrage de l’économie des services par la libération de l’épargne de précaution thésaurisée par les ménages et la relance de l’investissement des entreprises.

Par construction un modèle a l’avantage de présenter une thèse mais est également et de façon inéluctable réducteur par rapport à la réalité.

Comment expliquer que selon cette analyse le pass sanitaire ait eu un effet bien plus important en France qu’en Italie ou en Allemagne ?

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L’étude conclut effectivement à l’impact du pass sanitaire sur le taux de vaccination le plus fort en France devant l’Italie et l’Allemagne.

Cet écart provient des données de sortie des modèles économétriques déployés. La note du CAE met en avant une supériorité française en matière de clarté de la communication autour du pass sanitaire, des contraintes sociales plus fortes en France du fait du pass et, on ne s’en étonnera pas, une gestion plus centralisées en France.

Les estimations en termes de morts évitées, de mesures strictes évitées et de points de PIB sauvés sont-elles à prendre pour argent comptant ?

Après la construction des pays « contrefactuels synthétique », la note évalue :

  • les morts évitées sur la base d’un taux de vaccination précédemment calculé supérieur du fait du pass sanitaire ;
  • l’impact sur le PIB lié à l’augmentation des interactions sociales et économiques du fiat de la limitation de mis en place de restrictions « dures » par les autorités publiques, sur de modèles économétriques construits sur le PIB hebdomadaire et d’autre variables.

Le résultat indiqué pour la France est l’évitement de 4 000 décès en France et une limitation de 6 milliards d’euros de pertes de PIB, des niveaux beaucoup plus élevés que pour l’Allemagne et l’Italie : « nos résultats sont quantitativement plus forts que ce qui avait été prédit et ils devraient aider les décisions sur le quand et comment de la mise en place des pass sanitaires pour augmenter le taux de vaccination et ainsi éviter des mesures plus restrictives, telles que les fermetures, confinements avec des conséquences économiques et sociales importantes ».

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Au moins la note prend position et constitue une contribution au savoir sur la pandémie. Bien entendu il ne faut pas la prendre au pied de la lettre et la soumettre à un débat contradictoire. Il serait intéressant de disposer de données sur les pays développés d’Asie du Sud et d’Océanie qui ont mis et continuent de déployer des dispositifs stricts de contrôle aux frontières pour connaître l’impact économique et sanitaire de telles politiques publiques.

On peut enfin trouver bien des corrélations entre les décisions sanitaires allant bien au-delà des morts évitées ou des pertes de PIB. Ainsi ma contribution du début du mois concluait qu’il était éventuellement plus facile de comprendre la mise en place du pass vaccinal en regardant les sondages d’opinion qu’en se référant aux données de santé publique.

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