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AVC ou accidents cardiaques : ce que l’on sait des cas récents frappant jeunes adultes ou enfants
©LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP

Coronavirus

Tandis que les États-Unis affrontent une remontée des AVC chez les jeunes adultes, les pédiatres français alertent sur la montée de défaillances cardiaques chez les enfants.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Comment expliquer que le coronavirus puisse provoquer des accidents cardiovasculaires ?

Stéphane GAYET : Quand on pense au fait qu’un coronavirus (un virion : une particule virale) est, selon une dimension, de l’ordre de 300 fois plus petit qu’une cellule humaine et, selon trois dimensions, de l’ordre de 30 millions de fois plus petit, on a peine à réaliser que cette simple molécule d’ARN encapsidée (capside ou nucléo capside) et enveloppée (enveloppe ou peplos), puisse mettre le monde à l’arrêt et causer trois millions d’infections et plus de 200 000 décès dans le monde, en un peu plus de trois mois (chiffres du 27 avril). Car ce coronavirus SARS-CoV-2 n’est en réalité qu’un ARN encapsidé et enveloppé. Cet ARN est certes une énorme molécule, mais ce n’est qu’une molécule, une molécule informative qui rend malade et peut tuer. Alors que l’on ne peut pas tuer le virus, étant donné qu’il n’est pas doué de vie : il est inerte, sans métabolisme (c’est pourquoi la notion de guerre contre une maladie virale est une expression impropre).

La population a fini par s’habituer aux virus (rhinopharyngite, conjonctivite, laryngite, trachéite, bronchite aiguë, gastroentérite aiguë, herpès, grippe, hépatite…), mais sans bien les comprendre, car il y a encore beaucoup de gens qui pensent que c’est de la matière vivante : pour s’en convaincre, il suffit de considérer les mesures disproportionnées au risque, que l’on prend pour la CoVid-19 vis-à-vis de l’environnement ; alors que, dans l’environnement, la probabilité est le plus souvent minime, que des particules virales dispersées et en voie d’inactivation spontanée (accélérée par les rayons ultra-violets), puissent finir par rencontrer une muqueuse respiratoire ou oculaire en nombre suffisant pour générer une infection.

On était encore plus surpris à l’époque de l’épidémie dite de « la vache folle » (mars 1996), où l’on a fini par admettre que l’agent infectieux en était un prion : ce ne serait même pas un virus, ce serait encore plus petit et plus simple, ce serait une « simple » protéine (dans l’état actuel de nos connaissances), mais une protéine qui tue.

Le pouvoir pathogène des virus en général

C’est toujours un peu compliqué de parler du pouvoir pathogène d’un virus : la cellule muqueuse absorbe le virion après l’avoir attaché à sa surface (récepteur), puis le décapside, lit et exécute les instructions de son génome, ce qui va conduire à la multiplication du virus en quantité industrielle par la cellule et à la perte de celle-ci. Les cellules muqueuses sont piégées, mais elles réagissent (entre autres, elles produisent des interférons) et tout le système immunitaire s’active pour tenter de contenir l’infection. Or, les dégâts consécutifs à une infection virale sont, au moins autant liés à la nocivité des phénomènes inflammatoires déclenchés par la réponse immunitaire, qu’à la mort de toutes les cellules infectées.

Car, contrairement aux bactéries qui produisent tout un arsenal de toxines et qui exercent une cytotoxicité (agressivité) de contact vis-à-vis des cellules humaines, les virus ne font rien : leur information à elle seule, déclenche leur multiplication cellulaire, tue leur cellule hôte et provoque une activation du système immunitaire, rien de plus (mais c’est très efficace) ; les virus informatiques ont été créés en s’inspirant bien sûr des virus biologiques (de petits programmes qui aboutissent à la destruction de vos données).

Néanmoins, chaque type de virus a un pouvoir pathogène différent. Ceci s’explique par le fait que chaque type de virus a des protéines de surfaces différentes, qui sont codées par des gènes de son génome. Ces protéines de surface spécifiques de leur type de virus, interagissent avec le système immunitaire d’une façon particulière, différente de celle des autres types de virus. De plus, l’infection virale modifie les antigènes membranaires de la cellule infectée (hôte) et cela détermine aussi une réponse particulière du système immunitaire. Tant et si bien que chaque type de virus a un pouvoir pathogène qui lui est propre, différent de celui des autres types de virus.

Il ne faut pas perdre de vue le fait que l’on se situe à l’échelle de la biologie moléculaire et qu’il s’agit dès lors d’études très complexes, longues et coûteuses.

Le récepteur cellulaire du virus SARS-CoV-2 et l'initiation du cycle viral

On peut dire que l’on en apprend tous les jours ou presque sur la CoVid-19. Que de méprises à son sujet. On a initialement considéré cette maladie comme une infection respiratoire virale sans plus, comparable à la grippe. Or, il n’en est rien, c’est autrement sérieux. La CoVid-19 n’est pas une simple infection respiratoire, c’est une infection pratiquement systémique, c’est-à-dire qui atteint l’ensemble du corps.

La protéine S de surface (schéma) du virion est cruciale : elle traverse l'enveloppe et dépasse largement les autres, donnant cet aspect en couronne du virion (coronavirus). Le cycle infectieux viral commence par l'adhésion (attachement, adsorption) du virion à la cellule, ce qui résulte d'un accolement entre un récepteur cellulaire particulier (de la membrane cytoplasmique) et la protéine S du virus. Le récepteur cellulaire est connu, c'est la protéine enzyme membranaire appelée ACE-2 (en français ECA-2 : enzyme de conversion de l'angiotensine numéro 2). L'angiotensinogène est une protéine synthétisée par le foie ; sous l'action de la rénine, une protéine enzyme secrétée par le rein, elle est transformée en angiotensine I, qui elle-même est transformée en angiotensine II sous l'action de la protéine enzyme de conversion de l'angiotensine ou ACE. On connait donc dans le corps deux ACE appelées ACE et ACE-2.

L'angiotensine II est également appelée hypertensine : elle resserre les petites artères (vasoconstriction artérielle), ce qui fait monter la pression artérielle ; elle stimule la sécrétion d'aldostérone (hormone) par les glandes surrénales, ce qui provoque une rétention de sodium par le rein et fait également monter la pression artérielle. Ce système est appelé SRAA (système rénine-angiotensine-aldostérone).

Le récepteur ACE-2 est l'une des clefs du pouvoir pathogène du virus SARS-CoV-2. Ce récepteur membranaire – qui est donc une protéine enzyme - est en réalité présent dans pratiquement tous les tissus du corps, mais à des degrés divers.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont pas les voies respiratoires qui sont les plus riches en ACE-2, mais l'intestin grêle (iléon : sa deuxième partie), les reins, puis le tissu adipeux (graisse), le cœur, le tronc cérébral (c'est une partie essentielle du système nerveux central qui relie le cerveau à la moelle épinière), les poumons, le système vasculairel'estomac, le foie et les muqueuses nasale et buccale. On comprend mieux les troubles digestifs (nausées, douleurs abdominales, diarrhée modérée), les atteintes cardiaques, les atteintes neurologiques et les thromboses, en plus des localisations bien connues (pharynx ou gorge, fosses nasales et poumons). La richesse du tissu adipeux en récepteurs ACE-2 explique peut-être en partie la fréquente gravité de l'infection chez les sujets obèses (augmentation de la charge virale par intense multiplication).

Le pouvoir pathogène du nouveau coronavirus SARS-CoV-2

La porte d'entrée du virus SARS-CoV-2 est toujours, soit la muqueuse nasale, soit la muqueuse buccale. La muqueuse conjonctivale des yeux est également possible. La toux initiale est une toux sèche d'origine pharyngée. L'asthénie ou fatigue survient précocement, souvent accompagnée de douleurs musculaires ou articulaires, témoignant de la diffusion rapide de l'infection dans l'ensemble du corps (par voie vasculaire). La fièvre s'installe de façon très graduelle, à la différence de la grippe. Les maux de tête (céphalées) sont fréquents, mais souvent moindres qu'au cours de la grippe. C'est après cette phase d'invasion que les complications peuvent survenir (pulmonaires, cardiaques, neurologiques…).

Ce que l’on a appris récemment au sujet du pouvoir pathogène du coronavirus SARS-CoV-2

On sait à présent que la CoVid-19 est bel et bien une infection systémique, potentiellement grave et même mortelle. En rapport avec l'abondance des récepteurs cellulaires (ACE-2) du SARS-CoV-2 dans le cœur et le système vasculaire, et grâce à la multiplication des autopsies (dissection anatomique des corps de personnes décédées) depuis deux mois, on a compris que les formes graves et compliquées de cette maladie avaient une origine vasculaire (et non pas alvéolaire, s'agissant des poumons). Il faut savoir que les Chinois n'ont pas l'habitude de faire des autopsies.

Ces autopsies ont révélé que les personnes décédées avaient presque systématiquement des thromboses vasculaires multiples et de plusieurs types. Une thrombose vasculaire est la formation d'un thrombus, ce qui est appelé communément un « caillot sanguin ».

Ces thromboses peuvent concerner les artérioles (très fines artères), les veines et les artères. Au niveau des poumons, les formes graves avec insuffisance respiratoire aiguë seraient dues, non pas à une congestion (œdème) bronchiolaire et alvéolaire diffuse (SDRA, voire plus loin), mais à des embolies ou des micro embolies (embolie pulmonaire : migration d'un thrombus dans une artère pulmonaire, depuis une veine du corps) ou à des micro thromboses artérielles ou veineuses (formation de thrombus sur place). Cela a une conséquence majeure sur la prise en charge thérapeutique : le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) se traite par ventilation mécanique (respirateur) avec pression positive permanente maintenue en fin d'expiration (en anglais, PEEP : positive end-expiratory pressure), alors que cette technique aggrave une insuffisance respiratoire aiguë d'origine vasculaire. D'où les échecs de réanimation répétés dans l'hypothèse d'un SDRA.

Ces thromboses peuvent atteindre tous les organes, mais surtout les poumons et le cœur, et parfois le cerveau. C'est ainsi qu'on constate des thromboses ou des thromboses-embolies pulmonaires, des thromboses coronaires (infarctus du myocarde) et des thromboses-embolies ou des thromboses cérébrales. Chacune de ces complications peut aboutir à des séquelles importantes ou au décès. À New York, on a constaté des accidents vasculaires cérébraux à répétition chez des sujets relativement jeunes, en lien avec une CoVid-19. Ailleurs, ce sont des infarctus du myocarde ou des myocardites (inflammation du muscle cardiaque) sévères et parfois mortelles. De plus, on suspecte le SARS-CoV-2 d'être à l'origine de cas de maladie de Kawasaki (maladie systémique assez rare du jeune enfant de moins de 10 ans : altération de l'état général, fièvre, conjonctivite, éruption cutanée, adénopathies ou ganglions augmentés de volume, et parfois atteinte grave des artères coronaires du cœur à l’origine d’une défaillance cardiaque).

Ainsi, la CoVid-19 apparaît de plus en plus comme une maladie vasculaire d'expression fréquemment respiratoire, et non pas comme une simple infection virale des voies aériennes.

Comment explique-t-on ces atteintes vasculaires au cours de la CoVid-19 ?

D'une part, les cellules endothéliales (cellules qui tapissent la paroi interne de tous les vaisseaux sanguins) sont très riches en récepteurs ACE-2 ; d'autre part, l'infection à SARS-CoV-2 déclenche, chez certaines personnes, une hyperactivité du système immunitaire qui aboutit à un état inflammatoire majeur et diffus. C'est cet état inflammatoire majeur et diffus qui provoque une hypercoagulabilité du sang, à l'origine des thromboses dans différents organes. À New York, un neurochirurgien qui a opéré en urgence un homme jeune, victime d'un accident vasculaire cérébral par thrombose artérielle (dans le cadre d'une CoVid-19), a constaté que la thrombose se reconstituait pendant l'opération après qu'il l'ait enlevée, ce qu'il n'avait encore jamais vu de sa vie ; ceci témoigne de l'état d'hypercoagulabilité du sang que peut provoquer cette infection virale chez certaines personnes. Il va sans dire que, depuis que l'on sait tout cela, on traite les malades avec des antithrombotiques et des anticoagulants.

Pourquoi des jeunes humains, d'une trentaine ou d'une quarantaine d'années, sont-ils sujets à ces problèmes que l'on imagine arriver plus tard dans l'existence ?

Il y a deux principaux facteurs : le pouvoir pathogène du SARS-CoV-2 qui a un tropisme (affinité) vasculaire marqué, à l'origine d'une hypercoagulabilité et de thromboses ; probablement aussi, une prédisposition (génétique ou acquise) aux accidents vasculaires, par exemple une hypercholestérolémie, un diabète de type 2 méconnu ou encore une malformation artérielle. Décidemment, la CoVid-19 est tout sauf une forme de pseudo grippe. On va probablement, dans les semaines qui suivent et compte-tenu de tout ce que nous avons appris sur le pouvoir pathogène vasculaire du virus, être amené à faire une prévention des complications vasculaires chez beaucoup de personnes infectées.

Un fait est préoccupant : quand un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral survient chez une personne jeune et parfois très jeune, celle-ci ne pense pas à ces types d'accidents que l'on décrit habituellement chez des sujets plus âgés, d'où un retard très fréquent au diagnostic et à la prise en charge médicale, avec la perte de chance qui en résulte.

Comment prévenir ce risque ? Le coronavirus doit-il nous amener à faire plus attention à notre cœur ?

C'est l'occasion de rappeler, qu'au-delà d'une apparente invulnérabilité de certaines personnes jeunes sportives et mêmes athlétiques, le corps humain reste relativement fragile.

Les sportifs de haut niveau ont l'avantage d'être suivis par un cardiologue, qui se doit de détecter toute anomalie pouvant représenter un risque de mort subite ; ces anomalies sont en règle générale congénitales. La mort subite est très souvent due à une fibrillation ventriculaire, elle-même habituellement liée à un infarctus du myocarde.

Les personnes qui ne font pas de sport de haut niveau ne sont pas systématiquement suivies par un cardiologue. Après 30 ans, il est pourtant souhaitable d'en consulter un à titre diagnostique et préventif : interrogatoire, examen physique, examens biologiques, électrocardiogramme et échographie cardiaque, dans un premier temps. En fonction des résultats, le cardiologue pourra être amené à effectuer d'autres explorations.

Pour revenir à l'infection par le coronavirus SARS-CoV-2, cette connaissance du risque de complications cardiaques doit nous inciter, en cas de CoVid-19, à éviter tout effort violent pendant la maladie. Cependant, il est essentiel d'avoir une activité physique, d'extérieur si possible ; car l'activité physique régulière diminue le risque de complications vasculaires et cardiaques. Il est tout aussi capital d'éliminer l'excès de poids, qui augmente le risque vasculaire et cardiaque (est-il bien nécessaire de parler encore du tabagisme ?).

Il est très utile d'avoir chez soi un auto-tensiomètre : les meilleurs appareils mesurent la pression artérielle sur le bras, mais il existe aujourd'hui des appareils à poignet qui sont suffisamment performants. Le fait de mesurer et d'enregistrer son pouls et sa pression artérielle, régulièrement au repos, ainsi qu'à l'effort, est une mesure préventive essentielle, à surtout ne pas négliger. Et si l'on a fréquemment l'impression que notre cœur a des irrégularités, si l'on est essoufflé (dyspnée) pour un effort même modéré, il est nécessaire de consulter un médecin.

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