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Augmentation de la criminalité de 300% en France depuis le début du siècle : pourquoi le crime n'est pas une maladie sociale
©Reuters

Bonnes feuilles

Qu’est-ce que la criminologie ? Cet ABC répond pour la première fois de façon exhaustive et critique à cette question en offrant un panorama sans précédent de cette discipline en plein développement en France. Un guide dans lequel Alain Bauer livre les clés de cet univers dont il est l’un des pionniers. Extrait de "ABC de la criminologie", d'Alain Bauer, aux éditions du Cerf 2/2

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Durkheim, Émile Les règles de la méthode sociologique (1894)

Nous constatons l’existence d’un certain nombre d’actes qui présentent tous ce caractère extérieur que, une fois accomplis, ils déterminent de la part de la société cette réaction particulière qu’on nomme la peine. Nous en faisons un groupe sui generis, auquel nous imposons une rubrique commune ; nous appelons crime tout acte puni et nous faisons du crime ainsi défini l’objet d’une science spéciale, la criminologie.

[…]

S’il est un fait dont le caractère pathologique paraît incontestable, c’est le crime. Tous les criminologistes s’entendent sur ce point. S’ils expliquent cette morbidité de manières différentes, ils sont unanimes à la reconnaître. Le problème, cependant, demandait à être traité avec moins de promptitude.

Appliquons, en effet, les règles précédentes. Le crime ne s’observe pas seulement dans la plupart des sociétés de telle ou telle espèce, mais dans toutes les sociétés de tous les types. Il n’en est pas où il n’existe une criminalité. Elle change de forme, les actes qui sont ainsi qualifiés ne sont pas partout les mêmes ; mais, partout et toujours, il y a eu des hommes qui se conduisaient de manière à attirer sur eux la répression pénale. Si, du moins, à mesure que les sociétés passent des types inférieurs aux plus élevés, le taux de la criminalité, c’est-­à-­dire le rapport entre le chiffre annuel des crimes et celui de la population, tendait à baisser, on pourrait croire que, tout en restant un phénomène normal, le crime, cependant, tend à perdre ce caractère. Mais nous n’avons aucune raison qui nous permette de croire à la réalité de cette régression. Bien des faits sembleraient plutôt démontrer l’existence d’un mouvement en sens inverse. Depuis le commencement du siècle, la statistique nous fournit le moyen de suivre la marche de la criminalité ; or, elle a partout augmenté. En France, l’augmentation est près de 300 %. Il n’est donc pas de phénomène qui présente de la manière la plus « irrécusée » tous les symptômes de la normalité, puisqu’il apparaît comme étroitement lié aux conditions de toute vie collective. Faire du crime une maladie sociale, ce serait admettre que la maladie n’est pas quelque chose d’accidentel, mais, au contraire, dérive, dans certains cas, de la constitution fondamentale de l’être vivant ; ce serait effacer toute distinction entre le physiologique et le pathologique. Sans doute, il peut se faire que le crime lui-­même ait des formes anormales ; c’est ce qui arrive quand, par exemple, il atteint un taux exagéré. Il n’est pas douteux, en effet, que cet excès ne soit de nature morbide. Ce qui est normal, c’est simplement qu’il y ait une criminalité, pourvu que celle-­ci atteigne et ne dépasse pas, pour chaque type social, un certain niveau qu’il n’est peut-être pas impossible de fixer conformément aux règles précédentes.

Nous voilà en présence d’une conclusion, en appa‑ rence assez paradoxale. Car il ne faut pas s’y méprendre. Classer le crime parmi les phénomènes de sociologie normale, ce n’est pas seulement dire qu’il est un phénomène inévitable quoique regrettable, dû à l’incorrigible méchanceté des hommes ; c’est affirmer qu’il est un fac‑ teur de la santé publique, une partie intégrante de toute société saine. Ce résultat est, au premier abord, assez surprenant pour qu’il nous ait nous-­même déconcerté et pendant longtemps. Cependant, une fois que l’on a dominé cette première impression de surprise, il n’est pas difficile de trouver les raisons qui expliquent cette normalité, et, du même coup, la confirment.

[…]

De ce point de vue, les faits fondamentaux de la criminologie se présentent à nous sous un aspect entièrement nouveau. Contrairement aux idées courantes, le criminel n’apparaît plus comme un être radicalement insociable, comme une sorte d’élément parasite, de corps étranger et inassimilable, introduit au sein de la société ; c’est un agent régulier de la vie sociale. Le crime, de son côté, ne doit plus être conçu comme un mal qui ne saurait être contenu dans de trop étroites limites ; mais, bien loin qu’il y ait lieu de se féliciter quand il lui arrive de descendre trop sensiblement au-­dessous du niveau ordinaire, on peut être certain que ce progrès apparent est à la fois contemporain et solidaire de quelque perturbation sociale. C’est ainsi que jamais le chiffre des coups et blessures ne tombe aussi bas qu’en temps de disette. En même temps et par contrecoup, la théorie de la peine se retrouve renouvelée ou, plutôt, à renouveler. Si, en effet, le crime est une maladie, la peine en est le remède et ne peut être conçue autrement, aussi toutes les discussions qu’elle soulève portent-­elles sur le point de savoir ce qu’elle doit être pour remplir son rôle de remède. Mais si le crime n’a rien de morbide, la peine ne saurait avoir pour objet de le guérir et sa vraie fonction doit être cherchée ailleurs.

Extrait de "ABC de la criminologie", d'Alain Bauer, publié aux éditions du Cerf, le 10 novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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