Attentat déjoué par hasard : et si la loi renseignement avait été en vigueur, ça aurait changé quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme qui s'apprêtait à commettre un attentat a été arrêté dimanche 19 avril.
Un homme qui s'apprêtait à commettre un attentat a été arrêté dimanche 19 avril.
©Reuters

Cas d'école

Le suspect arrêté dimanche 19 avril alors qu'il s'apprêtait à commettre une action violente a vu son projet échouer sur un concours de circonstances inespéré. Et, malgré un arsenal de surveillance conséquent, rien n'indique que la loi renseignement aurait pu faire en sorte qu'il en soit autrement. En effet, ses dispositions de surveillance ne peuvent pratiquement rien contre un "loup solitaire".

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Dimanche, un homme soupçonné de préparer un attentat a été arrêté "par hasard", celui-ci ayant appelé les secours après s'être, a priori, blessé lui-même par balles. La loi renseignement, en cours de discussion, aurait-elle pu changer la donne si elle avait été en vigueur ? 

François-Bernard Huyghe : Apparemment non car cette personne était déjà signalée sur une fiche de sécurité du ministère de l'Intérieur, sans que l'on en sache beaucoup plus. Mais la loi renseignement n'est pas une loi contre le terrorisme précisément, ce n'est pas son but originel. Et, une fois que vous avez repéré une personne comme suspecte de vouloir mener une activité terroriste, que faites-vous ? Vous pouvez écouter ses conversations oui, mais vous aurez besoin de "temps de cerveau humain", des agents pouvant traiter ces données. Et si vous prenez des personnages comme les Merah, Nemmouche, Kouachi ou Coulibaly, ils ont un point commun : ils avaient tous été "repérés". Des dossiers existaient auprès des services. Donc soit les écoutes ont été arrêtées trop tôt, ou soit on a trouvé aucun moyen juridique de faire quelque chose. Et cette loi sur le renseignement prévoit de placer des boîtes noires chez les fournisseurs d'accès pour trouver des profils suspects. D'accord, mais là, on avait déjà un profil suspect ! On ne voit donc vraiment pas à quoi cette loi aurait pu servir. On voit donc que l'on est dans une dualité : il faut soit plus de personnels pour effectuer plus d'écoutes et de surveillance, soit plus de répression quand, comme dans le cas de Coulibaly, il y a déjà eu un précédent d'ordre pénal. 

Concrètement, quels sont les moyens les plus adéquats pour repérer et suivre les profils de radicaux solitaires, prêts à passer à l'acte "dans leur coin" ? 

Si on veut lutter contre un réseau terroriste, il faut l'l'infiltrer. Il faut donc des indicateurs. Et dans le contexte actuel, avec des groupes de type djihadiste, c'est particulièrement difficile vu les profils concernés. On est face, en effet, à des gens qui préparent des actions avec des membres de leur famille, leur conjoint, ou des copains de leur quartier avec qui ils ont passé leur enfance. Il s'agit donc de groupe très implanté, où il est difficile de recruter des informateurs, et encore plus de s'implanter. 

Aujourd'hui, avons-nous les moyens humains de procéder au suivi rapproché de ces éléments solitaires ? Combien nous manque-t-il ? Et justement, la concentration sur une "loi renseignement" ne détourne-t-elle pas une partie des moyens manquants ?

Pour mener des actions efficaces face au millier de personnes projetant de mener des attentats ou de partir en Syrie, il faut des moyens humains importants. Je crois qu'il faudrait mieux se focaliser sur le renseignement de terrain que sur ce que propose la loi renseignement. Ce qu'elle propose apporte peu dans la lutte contre le terrorisme. Et il n'est pas très utile de vouloir trouver de nouveaux profils suspects si l'on n'arrive déjà pas à traiter efficacement ceux que l'on a déjà dans nos dossiers. Et cela va, sans doute, détourner beaucoup d'efforts, d'autant plus qu'il est extraordinaire qu'une loi qui va placer sous surveillance les citoyens français soit adoptée, soit disant, pour coller à "l'esprit du 11 janvier". En tout cas, j'ai de très forts doutes sur son efficacité, notamment si l'on se réfère à l'expérience à peu près similaire de l'expérience américaine. 

Quelles leçons peut-on tirer de l’événement de dimanche dernier ? Comment peut-il nous amener à améliorer la prévention des actes terroristes ?

Apparamment, Bernard Cazeneuve a eu une chance invraisemblable, le suspect s'étant tiré une balle dans le pied et a ensuite appelé la police. Voilà une affaire qui tombe bien pour nourrir l'argument du "plus de sécurité", et un accroissement de l'arsenal sur le renseignement. Mais il y a une nouvelle leçon à tirer en effet : apparemment le suspect avait pour but de tuer des chrétiens à la kalachnikov. Même s'il y a déjà eu des cas de dégradations, arriver à ce niveau de projet meurtrier, c'est une première.

Dans un livre, Morten Storm, un ancien islamiste radical danois devenu agent de renseignement pour la CIA, s'inquiétait de voir que, dans le cadre de sa surveillance pour le compte des services secrets occidentaux, il constatait que ceux qui passaient à l'acte étaient rarement ceux qu'il aurait le plus suspecté. Finalement, que ce soit une loi renseignement, ou l'usage d'agents infiltrés, est-il réellement possible pour une force étatique d'empêcher un attentat mené par un individu seul ?

Il existe en effet un "fond de cuve" incompressible. Mais je ne crois pas à l'idée du "loup solitaire". Quand vous regardez le parcours d'un terroriste de ce type, il y a toujours ici une petite amie, là des amis d'enfance... Et on n'achète pas une kalachnikov ou un gilet pare-balles au marché aux puces. Forcément, on doit rentrer en contact, à un moment, avec des personnes qui mènent des activités illégales. Je crois aux petits groupes - fratries, groupes de cousins, amis faits en prison... - et le plus dur est de savoir quand ils décident de passer à l'action. Et ces gens ne sont pas des bureaucrates, ils échangent en petit groupe et ne se réfèrent pas à un système d'autorité supérieure que l'on peut court-circuiter. Plus un groupe est autonome, plus il prend ses décisions seules, moins il est possible de le surveiller. Et il n'y a pas de de mécanique, en effet, entre le degré de radicalisation et le moment du passage à l'acte. Autrefois, avant de devenir terroriste, vous passiez par des stades à peu près repérés (participation à des manifestations violentes, constitution d'un "trésor de guerre" etc.) Ici, on passe très vite du début de la radicalisation à l'action violente, ce qui rend le comportement moins prévisible, et la surveillance plus complexe.

Lire aussi :Morten Storm, djihadiste et agent double :  "J’avais clairement compris les textes sacrés. Le djihad était prescrit à titre de devoir."

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