Arménie - Azerbaïdjan : Emmanuel Macron s’investit à Bruxelles<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a rencontré à Bruxelles le président d’Azerbaïdjan et le Premier ministre arménien pour tenter de trouver des solutions de paix durable.
Emmanuel Macron a rencontré à Bruxelles le président d’Azerbaïdjan et le Premier ministre arménien pour tenter de trouver des solutions de paix durable.
©JOHN THYS / POOL / AFP

Diplomatie

Emmanuel Macron a rassemblé, dans la soirée de mercredi, le président d’Azerbaïdjan et le Premier ministre arménien en marge d’un sommet européen et pour tenter de trouver des solutions de paix durable.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Dans la soirée de mercredi, Emmanuel Macron a rassemblé le président d’Azerbaïdjan et le Premier ministre arménien en marge d’un sommet européen. Comment s’être rencontre a-t-elle été possible ?

Emmanuel Dupuy : Cette réunion est importante car c’est la première fois que les deux hommes, Ilham Aliev et Nikol Pashinyan se rencontrent hors de de la présence de Vladimir Poutine. La dernière conversation entre les présidents russe, arménien et azerbaïdjanais remonte au 1er et 2 novembre derniers à Sotchi, soit un an après la fin des hostilités entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et le cessez-le-feu du 10 novembre 2020. Il s’agit, ainsi d’une belle action diplomatique pour Emmanuel Macron, qui se pose ainsi en médiateur occidental, face à Vladimir Poutine. En tant que co-président du groupe de Minsk, crée en 1992, sous l’égide de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), après le conflit entre les deux états du Caucase du Sud, au sujet du Haut-Karabakh, le président français apparait dans son rôle : partie prenante de la médiation, tout en veillant à une forme de neutralité afin de parrainer le processus de normalisation entre les deux états. Cette rencontre s’inscrit aussi dans un autre agenda, celui du 6ème Sommet du Partenariat oriental, réunissant, depuis 2009, les partenaires orientaux de l’UE que sont la Moldavie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Biélorussie. Force est ainsi de constater que la menace d’une intervention russe en Ukraine, la crise migratoire à la frontière de la Biélorussie avec la Pologne, la crise post-électorale d’octobre 2020 en Géorgie, la tension entre Moscou et Chisinau au sujet de l’approvisionnement de la Moldavie en gaz, rendrait presque la question du Karabakh, comme aisée à régler !

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Quand il s’agit de de parler d’Arménie et Azerbaïdjan, ce n’est pas non plus que pour évoquer ce qui les oppose. Emmanuel Macron anticipe ainsi son rôle de président du conseil de l’UE, à partir du 1er janvier 2022, en se posant en médiateur de la situation, en confirmant sa capacité de pouvoir réunir ces deux chefs d’état, un an après 44 jours d’un conflit qui a ravagé la région du Karabagh. Il convient d’avoir à l’esprit que les autres co-présidents du groupe de Minsk (qui dépend de l’OCSE) sont Vladimir Poutine et Joe Biden. Evidemment, ces deux derniers ne sont pas dans l’Union européenne ; le président russe agit davantage comme juge et partie ; le président américain ne s’est jamais réellement penché sur la situation dans le Caucase du Sud. Emmanuel Macron brandit, avec raison et subtilité, une double gestion du dossier du Karabakh, par le biais de l’OCSE et dans le cadre de la politique de voisinage de l’Union européenne.

Qu’est-ce qui est sorti de ces échanges ?

Pas grand-chose, mais ce n’était pas l’enjeu essentiel de la rencontre entre les trois hommes. Comme le président français l’a « tweeté » l’important était de montrer l’Arménie et l’Azerbaïdjan ensemble… Le but était de montrer que le cessez-le-feu - signé le 10 novembre 2020 - sous l’égide de Moscou - après la guerre de 44 jours entre Erevan et Bakou, qui aurait provoqué la mort de près de 6500 personnes, constitue, malgré la reprise sporadique des hostilités, le seul filet de sécurité qui évite la reprise des hostilités. De ce point de vue, le statut actuel n’est plus celui de la conflictualité mais se caractérise davantage par une logique de reconstruction post-conflit des territoires du Karabakh et des sept districts adjacents, précédemment conquis par Erevan et désormais récupérées par Bakou. Le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan est dans une situation complexe et fragile. Bien que réélu lors des dernières élections législatives anticipées de juin dernier, ce dernier dispose d’une fragile majorité législative et apparait très affaibli politiquement, notamment vis-à-vis des « faucons » du régime arménien, qui ne lui pardonnent pas d’avoir signé l’accord de cessez-le-feu.

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Sur le plan pratique, a été réaffirmé, la nécessité de vagues « avancées humanitaires » et la nécessité d’un « apaisement ». Rien de très précis…

Y-a-t-il un enjeu Français de l’Arménie pour la présidentielle ?

La question arménienne s’est invitée dans la campagne présidentielle, en effet. Éric Zemmour s’est rendu, il y a quelques jours en Arménie. Emmanuel Macron a rencontré le Premier ministre et a amplifié la rencontre en mettant en avant que la France n’abandonnerait jamais les Arméniens. Valérie Pécresse va s’y rendre prochainement, le 22 décembre. Chacun espère, sans doute, compter sur les voix des 600.000 arméniens qui vivent en France. Éric Zemmour a quant à lui, clairement mis en avant son « agenda » anti-musulman en se rendant à Erevan et au monastère de Khor Virap, à la frontière avec la Turquie, en invoquant l’Arménie comme une « une nation chrétienne au milieu d’un océan islamique » et en brandissant l’idée d’un affrontement entre « chrétienté et islam ».  Valérie Pécresse défend elle ardemment les chrétiens d’Orient et devrait aller, quant à elle, avec plus de subtilité et mesure, sur le même registre d’un « affrontement » civilisationnel. Emmanuel Macron, lui, avait précisé, lors du dîner annuel du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) que la France serait toujours aux côtés de l’Arménie. On comprend ainsi aisément que chacun essaye de s’attirer les bonnes grâces du vote arménien, d’ici le scrutin d’avril prochain.

La France s’est, par ailleurs, engagée à aider à déminer le Karabakh et les territoires récupérés par l’Azerbaïdjan, en octroyant une aide de 500 000 euros pour ce faire. Emmanuel Macron, tout comme Vladimir Poutine avant lui, insiste sur la nécessité pour Erevan de donner les cartes de localisation précise de ces mines.

Paris montre ainsi qu’elle abandonne pas non plus Bakou, bien que l’enjeu soit moins important électoralement, bien évidemment.

Emmanuel Macron est-il en capacité de réaliser « la paix durable » qu’il a évoqué, au-delà de la communication ?

Il est encore trop tôt pour le dire. Emmanuel Macron se place, néanmoins dans la même position singulière que Nicolas Sarkozy en août 2008, au moment de la crise entre la Géorgie et la Russie. On se souvient que l’ancien président français était à la fois président du Conseil de l’UE et du G8 (englobant, à l’époque encore la Russie, qui en a été exclue en 2014, à l’aune de l’annexion de la Crimée). Emmanuel Macron cherche ainsi, sans doute, à s’inscrire dans cette symbolique, d’un président français, parlant au nom de l’Europe d’égal à égal avec la Russie, dans la région du Caucase du Sud. Le gouvernement de « l’Ampel-Koalition » sous l’égide du Chancelier, Olaf Scholz avec la nouvelle ministre des Affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, se met en place progressivement et laisse ainsi une large marge de manœuvre, pour encore quelques jours encore, à la diplomatie française.

En réunissant Nikol Pachinyan et Ilham Aliyev, le président français se pose aussi en alter-ego occidental de Vladimir Poutine, sans être, quant à lui, juge et parti. Il convient de rappeler, à cet effet, que la  Russie est liée à l’Arménie par le truchement de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Moscou dispose, en effet, de deux bases et environ 4000 soldats sur le territoire arménien. Ce sont désormais près de 2000 militaires supplémentaires qui veillent au respect du cessez-le-feu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, au Karabakh.

En agissant ainsi en facilitateur de la crise du Karabakh, Emmanuel Macron, a aussi, sans aucun doute, en tête, l’activisme politique, diplomatique et militaire de la Turquie, alliée indéfectible de l’Azerbaïdjan. La France n’a eu de cesse, du reste, de se montrer inquiet quant à ce rapprochement militaire entre Bakou et Ankara. Emmanuel Macron l’a sans doute redit à ses deux interlocuteurs arménien et azerbaïdjanais, alors que la Turquie semble tenter un timide rapprochement avec l’Arménie, dont elle ne reconnaît toujours pas la responsabilité de l’Empire ottoman dans le génocide des Arméniens de 1915. Ankara vient, ainsi, de nommer un émissaire pour l’Arménie et l’on évoque, désormais, une possible réouverture de la frontière commune - fermée depuis 1993 - entre les deux Etats.

En réunissant, à Bruxelles, le président azerbaïdjanais et le premier ministre arménien, Emmanuel Macron avait, aussi, sans doute en tête, cet activisme de Recep Tayyip Erdogan, que le président français cherche à contenir, à l’aune des litiges au sujet des délimitations maritimes en Méditerranée orientale au large de la Grèce et de Chypre, et approches migratoires radicalement différentes, entre Ankara d’une part et Paris et Bruxelles, de l’autre.

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