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Argent du diable ou de l’espoir ? Ce qu’il faut savoir pour comprendre ce que le gouvernement et le G20 envisagent pour encadrer Bitcoin et crypto-monnaies
©KAREN BLEIER / AFP

Pile ou face ?

Les ministres des Finances du G20, se retrouvent les 19 et 20 mars à Buenos Aires pour évoquer la question du Bitcoin et des cryptomonnaies qui ont défrayé la chronique ces derniers mois.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Sur ces questions relatives aux cryptomonnaies, comment trier les "bons" aspects de ces technologies des dangers qu'elles peuvent représenter ? En conséquence, quelles seraient les solutions pour relever ce défi pour le G20 ? 

Michel Ruimy : Lors du G20 d’aujourd’hui et de demain, les discussions relatives aux cryptomonnaies  tourneront notamment autour de leur régulation et autour des risques liés au blanchiment d’argent. Rappelons que s’ils le souhaitent, les ministres des finances peuvent tout simplement interdire l’usage du bitcoin dans leur espace économique mais ce n’est pas l’option privilégiée. Ils peuvent également se mettre d’accord sur une fiscalité excessive dans le but de décourager les investisseurs. 

Les banques centrales, quant à elles, sont déjà montées au créneau, une très grande majorité d’entre elles considérant le bitcoin et autres cryptomonnaies comme des actifs dangereux en raison de leur forte volatilité. 

Lors de cette réunion, la France et l’Allemagne ont prévu de fournir des propositions communes, en particulier la création d’un cadre juridique commun. Le Japon sera particulièrement attentif aux débats car il a choisi de se montrer ouvert aux crypto-actifs. Le bitcoin y est reconnu comme un moyen de paiement légal depuis le printemps 2017 et de nombreuses entreprises nippones se lancent dans le secteur. 

Ce pays fait figure de laboratoire mondial. Selon The Nikkei, le principal quotidien économique de l’archipel, environ 22 500 commerces acceptaient le bitcoin à la fin 2017. Cette ouverture s’est accompagnée d’une forte régulation : les plateformes d’échanges sont soumises à des normes élevées en matière de vérification de l’identité des clients. Tokyo entend ainsi prévenir les activités illicites sans pour autant étouffer sa nouvelle économie.

C’est une des pistes qui pourrait être envisagées à l’issue de G20. En effet, si le bitcoin repose sur une technologie qui permet de tracer ses utilisateurs, certaines plateformes d’échanges restent peu regardantes sur les renseignements réclamés à leurs clients. Ainsi, un dispositif exigeant de type KYC (« Know Your Customer » / « Connaître son client ») pourrait leur être imposé.

De manière plus large, les banques centrales ont 3 attitudes possibles vis-à-vis des cryptomonnaies : les isoler, les réguler, les intégrer.

Les isoler signifierait que le bitcoin, entre autres, vive en circuit fermé et reste une monnaie privée c’est-à-dire sans possibilité de conversion avec les « monnaies réelles » comme le dollar, l’euro ou le renminbi chinois. C’est ce que la Chine a décidé l’an dernier en interdisant à ses institutions financières de traiter les cryptomonnaies, dont les Chinois sont pourtant très friands. Mais cela reviendrait à jeter le « bébé » (la technologie de la blockchain) avec l’eau du bain. Or, l’environnement technologique de la blockchain sur lequel s’appuie la circulation de certaines cryptomonnaies est susceptible d’offrir de nombreuses possibilités en termes d’usage pour les banques et pour les entreprises commerciales.

Concernant la régulation, il est exclu que les cryptomonnaies demeurent des lieux de « non droit dans le système financier et monétaire mondial. Cela pourrait passer par la mise en place d’un statut de prestataires de services en cryptomonnaies et / ou une limitation de la possibilité pour certaines entreprises régulées comme les banques, les compagnies d’assurance, les sociétés de gestion… d’intervenir sur ces cryptomonnaies. 

Enfin, les banques centrales peuvent avoir la tentation d’intégrer les cryptomonnaies en créant les leurs. Telle est l’attitude de la banque centrale chinoise, dont le projet est bien avancé ou le Venezuela, qui a créé le petro. Mais, n’oublions pas qu’à l’usage de ces cryptomonnaies est associé un coût environnemental non négligeable. Pour la validation d’une seule opération en bitcoin par exemple, la consommation d’électricité était estimée, en décembre 2017, à 215 kWh soit l’équivalent de 6 mois de travail sur un ordinateur allumé jour et nuit. Cette consommation énergétique fait l’objet d’une réévaluation constante, à la hausse, en raison de la concurrence accrue associée à l’élargissement du réseau de validation des opérations. On voit donc que la régulation est, à ce jour, l’attitude la plus sereine.

Dans un article paru jeudi 16 mars, Les Échos rapporte que le ministère de l’Économie français voudrait proposer un projet de loi pour offrir un cadre réglementaire favorable aux levées de fonds numériques. Ce cadre consacré devrait se traduire par la délivrance de visa par l’AMF comme gage de crédibilité de l’opération et du respect de certaines garanties vis-à-vis des investisseurs. Celui-ci ne serait toutefois pas obligatoire. Ces mesures vous semblent-elles répondre à la problématique des crypto-monnaies ?

Les concepteurs de la blockchain sont imprégnés de libertarisme, courant de pensée qui appelle à une disparition progressive de l’Etat et des autorités. Cette technologie défie donc les Etats et les banques centrales en s’attaquant à la régulation et au privilège d’émission. Toutefois, l’intérêt des banques centrales pour la blockchain tient aussi aux missions de régulation et de protection des consommateurs qui lui sont confiées.

Pour l’anecdote, la Banque de France recourt à cette technologie pour gérer le registre des identifiants créanciers Sepa, permettant aux fournisseurs d’électricité ou à des opérateurs de téléphonie de prélever, tous les mois, le compte d’un client.

En fait, je crois qu’il est préférable, à court terme, d’avoir une réglementation ciblée plutôt qu’un encadrement global. Une bonne stratégie pourrait être d’empêcher les institutions financières régulées, telles que les banques, d’acheter, de détenir ou de vendre des cryptomonnaies.

Une autre priorité réside dans l’information des consommateurs. Cette stratégie devrait éviter d’accorder une quelconque reconnaissance officielle à un secteur qui est encore très hétérogène, qui change rapidement, et qui est en tant que tel, difficile à réguler et à superviser.

Ceci devrait également envoyer aux utilisateurs et investisseurs un message clair et crédible sur le fait qu’il n’y a pas de protection publique de ces investissements dans ces actifs souvent hautement spéculatifs.

Dans une étude, Bitcoin.com a révélé que sur les 902 ICOs lancées en 2017, 142 n’ont pas atteint le montant requis pour un lancement et 276 se seraient volatilisées.

Dans une étude, Bitcoin.com a révélé que sur les 902 ICOs lancées en 2017, 142 n'ont pas atteints le montant requis pour un lancement et 276 se seraient volatilisées. Au regard de ce semi-échec, la volonté de la France de se placer comme pionnière en la matière est-elle vraiment justifiée selon vous ? Qu'a-t-elle vraiment à y gagner et quels peuvent être les enjeux d'une telle position ?

Tout d’abord, essayons de décrire rapidement ce qu’est une ICO (Initial Coin Offering).

Ces opérations, parfois perçues comme les introductions en Bourse de l’ère digitale et décentralisée, constituent, en fait, la transposition en crypto-actifs du concept de financement participatif. Dans ce type de montage, les internautes qui contribuent à un projet par l’apport de fonds, soit en cryptomonnaie, soit en monnaie réelle, reçoivent, en contrepartie, des actifs digitaux qu’on nomme token. En pratique, ces tokens représentent une forme d’intérêt économique dans le projet c’est-à-dire qu’ils s’apparentent, en quelque sorte, à une forme supplémentaire de crypto-actifs, enrichis de droits spécifiques comme un droit d’accès privilégié au projet financé, un droit de vote… L’activité de financement a donc tiré parti du développement des cryptomonnaies avec les ICO

Toutefois, sur un panel de 902 ICO réalisées en 2017, 15% ne sont pas parvenues à lever l’argent espéré, 31% ont échoué du fait d’arnaques ou faute d’intérêt de la part des investisseurs et enfin, 13% n’ont pas atteint la taille critique et sont tombées dans l’oubli, soit 59% au total, qui ont été des échecs à des degrés divers !

Dans ce contexte, la décision de la France de favoriser, par une réglementation incitative, le développement de ces levées de fonds d’un nouveau genre, peut surprendre.

En pratique, les émetteurs des ICO qui le souhaitent pourraient demander à l’Autorité des marchés financiers (AMF) un visa - qui constituerait un gage de crédibilité de l’opération - qui leur sera délivré que si certaines garanties sont données aux investisseurs comme, par exemple, la clarté de l’information, l’existence d’une société commerciale portant le projet, l’utilisation de la blockchain de manière sécurisée, un mécanisme de séquestre des fonds, attestation d’expert ou notation du projet… Quant aux ICO sans visa, elles ne seraient pas interdites. La loi Pacte sera vraisemblablement le véhicule privilégié pour accueillir cette nouvelle réglementation, avant toute modification du Code monétaire et financier.

La voie dans laquelle la France s’engage, diffère toutefois de celle des États-Unis. La Securities and Exchanges Commission, l’équivalent de l’AMF, a déclaré que les ICO devaient être entourées des mêmes mesures de précaution que les offres publiques de vente dans le cadre d’introductions en Bourse traditionnelles. Or, cette démarche est très contraignante pour les entreprises : notamment, il faut des années d’activité derrière soi, des avocats et l’opération coûte environ 500 000 dollars alors qu’une ICO peut lever des millions d’euros en quelques jours - voire seulement quelques minutes pour certaines - si le projet séduit les investisseurs. 3,5 milliards de dollars ont été levés de cette façon en 2017 dans le monde !

Par cette initiative, la France veut attirer les crypto-entrepreneurs du monde entier qui pourraient ainsi développer un courant d’affaires en s’appuyant notamment sur la « French Tech », ce qui pourrait dynamiser l’économie. Toutefois, pour réussir, la France doit offrir aux entreprises une palette de services. En effet, avant même de trouver un financement, l’une des difficultés pour un crypto-entrepreneur est d’expliquer à ses interlocuteurs les concepts de blockchain et de cryptomonnaies. Et, c’est souvent très compliqué. Donc, un grand effort de pédagogie et de formation doit être envisagé afin de pouvoir faciliter la création d’une start-up en quelques jours.

Par ailleurs, la régulation des ICO doit être complétée par un meilleur cadre fiscal des crypto-actifs. Actuellement un investisseur peut se faire taxer jusqu’à 60% de ses plus-values.

Au final, le danger ne se situe pas forcément là où l’on croit : plus encore que dans certains usages illicites des crypto-actifs, il réside dans le risque de pénaliser le secteur et ainsi de passer à côté d'une innovation de rupture qui ouvre la voie de l’économie numérique de demain

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