Après la Russie, la Chine : Pékin se lance dans des opérations de désinformation de grande ampleur sur les réseaux sociaux <!-- --> | Atlantico.fr
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Un membre d'un groupe de pirates informatiques chinois utilise un site Web qui surveille les cyberattaques mondiales sur son ordinateur dans la province chinoise du Guangdong.
Un membre d'un groupe de pirates informatiques chinois utilise un site Web qui surveille les cyberattaques mondiales sur son ordinateur dans la province chinoise du Guangdong.
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Intoxication

Un rapport établi par Microsoft et des experts en cyber sécurité s’est notamment intéressé aux opérations chinoises visant à exploiter les incendies catastrophiques survenus à Hawaï cet été.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Atlantico : Une opération de désinformation chinoise de grande ampleur a été démantelée sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram). A quoi sert ce genre de campagnes pour la Chine ?

Drieu Godefridi : La Chine de Xi s’est engagée dans un programme de domination hégémonique assumé. De leur point de vue, il est légitime d’intervenir de façon directe dans les affaires internes des deux cents pays du monde, sans la moindre réserve, si ce n’est l’intérêt bien compris de la Chine. C’est la reprise, avec des moyens nettement plus considérables, de ce qu’est la politique interventionniste de Moscou depuis la fondation de l’URSS, jusqu’à nos jours. Nos contemporains seraient inspirés de se rappeler la différence de nature entre le régime chinois et nos braves vieilles démocraties occidentales — qui n'ont pas que des défauts. Quand, chez nous, l’État ne peut rien faire ni envisager sans mille précautions formelles et recours en justice de citoyens mécontents, l’État chinois broie toute parole dissidente et ne connaît que son intérêt — c’est-à-dire la représentation que s’en fait le Parti communiste chinois, en dernière analyse le seul Xi.

Baptisée « Spamouflage » cette campagne de désinformation a été repérée dès 2019. Pourquoi mettre 4 ans pour la démanteler ?

Fabrice Epelboin : Ce n’est pas si évident car les moyens mis en œuvre ne sont pas toujours conséquents. Cela fait 13 ans qu’on observe ce type d’opérations. Il y en a pléthore : les Etats, les lobbys… ça fait beaucoup de monde !

Ces campagnes se font à l’aide de ce que l’on appelle des fermes de trolls. Ce sont des individus derrière leurs ordinateurs qui publient des messages. Des humains qui contrôlent une multitude de comptes pour manipuler l’opinion publique. On l’a vu en France en 2012 lors de l’opération de rachat du Club Med. Il fallait dézinguer le repreneur italien.  Mais la Chine n’est pas seule à utiliser ce genre de campagne. Ceux qui ont commencé, ce sont les Etats-Unis. Ce sont des opérations militaires qui ont évolué. Ce savoir-faire a été transmis ensuite aux Etats-Unis puis aux lobbys. Aujourd’hui, plusieurs Etats les utilisent : la Russie, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Emirats Arabes Unis et même la France. 

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Quels sont les réseaux de la Chine pour ce genre d'opérations ?

Drieu Godefridi : Le régime totalitaire chinois pratique l’entrisme en Occident depuis deux décennies; dans les entreprises, dans les médias et dans les universités. Maintenant que les hostilités entre Chine et Occident sont virtuellement déclarées, les agents chinois dormant en Occident devraient être débusqués, de façon méthodique, dans le respect des formes et principes de l’état de droit. La naïveté dont en Europe nous faisons preuve dans ce domaine est sidérante. Par essence, le régime communiste totalitaire chinois est aussi peu regardant pour la vie humaine que l’étaient URSS et l’Allemagne nazie. Ouvrons les yeux.

Rien que sur Facebook, les équipes de META ont identifié 7704 comptes, 954 pages et 15 groupes liés à cette campagne ; c’est énorme ! ça veut dire que tout à chacun a vu au moins une fois ces fausses informations ?

Fabrice Epelboin : C’est beaucoup de comptes mais c’est du travail mal fait. Les chinois débutent, ils sont en train d’apprendre. Ils arrivent assez tard dans l’exercice mais ils y mettent les moyens. En terme de ressources humaines, c’est colossal ! On estime entre 1 à 2 millions de chinois qui sont payés à la charge. Si l’Europe veut se défendre, elle devrait mobiliser 1 million de personnes pour modérer les réseaux sociaux.

Qu'espère obtenir la Chine de cette campagne ? Quels bénéfices ? 

Drieu Godefridi :  La Chine souhaite d’une part promouvoir ses politiques, d’autre part instiller la division chez l’ennemi (nous). Mais les Chinois sont plutôt récents dans ce jeu, qu’ils pratiquent avec une part de naïveté. Cela fait un demi-siècle qu’on surestime la Chine — c’est le mythe du ‘XXIème siècle chinois’, ce canard — donc veillons à ne pas exagérer la menace. En fait de manipulations, les Russes sont généralement plus fins. Mais le régime chinois est aujourd’hui dans une situation à maints égards désespérée, une radicalisation sur tous les fronts — dont celui de la manipulation — est à attendre.

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Ce sont de fausses informations ou juste de l’influence étrangère mettant en avant des informations qui ne nous sont pas favorables ?

Fabrice Epelboin : Deux méthodes pour manipuler l’opinion. La première, c’est de fabriquer une fausse information. C’est une stratégie sur du court terme, elle a un impact immédiat. La deuxième consiste à souffler sur les braises. C’est exactement ce qu’a fait Prigojine en Afrique. Il s’est contenté de souligner les rancoeurs contre la France et de les mettre en valeur. Il a empoisonné l’opinion. Sur-saturer la bulle d’information médiatique et vous changez la perspective que vous en avez. 

Comment le grand public peut-il repérer ces fausses informations pour éviter de se faire intoxiquer ? 

Fabrice Epelboin : L’utilisation des médias pour faire de l’influence, ça fait un siècle que cela existe.

Le système change. La télévision a un impact sur ceux qui l’écoutent et la nouvelle génération utilise les réseaux sociaux. Il y a un transfert massif d’audience. 

Mon conseil : chaque fois que vous êtes confronté à une information, il faut croiser les sources. Il faut aussi repérer quand l’émotionnel prend le dessus sur le rationnel. Beaucoup d’influence passe par de l’émotion. 

Il y a une faille dans nos médias pour permettre ce genre d'intoxication de masse ? 

Drieu Godefridi :  Il n’y a pas une faille : nos médias sont autant de failles. En Occident, n’en déplaise à l’Union européenne, la presse est libre. Par conséquent, n’importe quel agent chinois peut fonder ou contribuer à fonder un média en Occident; il n’y a rien de plus simple. Le vrai défi, pour ces médias sous influence — comme pour tous les médias, en somme! — est de se donner une audience. Ce qu’ils peinaient à obtenir jusqu’il y a peu. Motif par lequel ils en sont venus à créer notamment sur le sol américain des fausses manifestations, financées par eux, pour avancer leurs pions. Déjà au temps de l’URSS, les Soviétiques contrôlaient et finançaient des médias, en Occident. La texture ouverte de l’Internet multiple les possibilités de telles manipulations.

À la fin de la journée, il ne faut pas se leurrer : le seul discours qu’un régime totalitaire et liberticide comme le régime chinois entendra, est le discours de la force (et la diplomatie fondée sur la force, ce qui revient au même). Le reste n’est que vain bavardage. La faiblesse actuelle de la Chine offre à l’Occident de nombreux moyens de faire pression sur Xi; il faut s’en réjouir et en user de façon discriminée, mais sans complexe.

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