Apprentis en politique : Louis XVI, du trône à l’échafaud<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme observe les portraits du roi de France Louis XVI par Joseph Siffred Duplessis et de la reine Marie Antoinette par Elisabeth Vigée Le Brun lors d'une exposition à Tokyo en octobre 2016.
Une femme observe les portraits du roi de France Louis XVI par Joseph Siffred Duplessis et de la reine Marie Antoinette par Elisabeth Vigée Le Brun lors d'une exposition à Tokyo en octobre 2016.
©BEHROUZ MEHRI / AFP

Bonnes feuilles

Dominique Jamet publie "Apprentis en politique" aux éditions De Borée. Qu'est-ce que le pouvoir ? Le choc, d'une ambition et de la réalité. La conquête du pouvoir est parfois une partie de plaisir, mais la prise de pouvoir ne couronne trop souvent que la reine d'un jour. Dominique Jamet évoque le destin de ces gouvernants, parvenus au sommet par la grâce de l'hérédité ou du hasard, trop jeunes, mal préparés, mal formés et politiquement inexpérimentés. Extrait 2/2.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Gouverneur des enfants de France, à savoir des quatre fils du dauphin, le duc de La Vauguyon s’était complu, pour son usage personnel, à les rebaptiser « les quatre F. ». En partant de l’aîné pour aller jusqu’au plus jeune, il y avait donc Bourgogne, alias « le Fin », Berry, « le Faible », Provence – futur Louis XVIII –, « le Faux », Artois enfin, futur Charles X, « le Franc ». « Le Faible », celui que son propre père, sans penser à mal, appelait, mi-affectueusement, mi-ironiquement, le « gros benêt », serait un jour Louis XVI.

Sur la fin des années 1750, dans le cercle étroit de la famille royale, dans son proche entourage, dans le microcosme versaillais, il n’était personne qui ne se récriât, qui ne s’extasiât, qui ne se sentît ou ne se dît au bord de la pâmoison au seul nom et bien sûr à la vue du jeune duc de Bourgogne. D’une vive et précoce intelligence, d’une incomparable aisance, réfléchi, taquin, spirituel, cet enfant exceptionnel serait à coup sûr, le jour venu, un très grand roi. Son père en était fou, sa mère, comme dans le conte, plus folle encore. Il tomba brusquement malade. Son mal s’aggravant – c’était une forme de tuberculose, alors incurable –, il fut bientôt hors d’état de quitter sa chambre puis son lit et on eut la curieuse idée de lui donner, comme un jouet et un souffre-douleur, pour compagnon d’études et de jeux, le petit duc de Berry. Il mourut âgé de dix ans à peine, en 1761, laissant ses parents inconsolables.

Le chouchou disparu, il fallut bien préparer le duc de Berry, désormais aîné de la fratrie et deuxième dans l’ordre de la succession au trône, à un rôle où on ne l’avait pas imaginé et pour lequel on ne le jugeait pas fait. Le dauphin et son épouse, également dévots, et jusqu’à la bigoterie, veillèrent à ce qu’il reçût l’éducation nécessaire en s’attachant plus particulièrement, pour ce qui relevait d’eux, à en faire un bon chrétien. En revanche, ils ne tentèrent même pas de lui faire croire qu’ils reportaient sur le cadet l’amour qu’ils avaient nourri pour son prodigieux aîné. L’enfant de sept ans perçut parfaitement qu’aux yeux et dans le cœur de ses parents, il n’était et ne serait jamais qu’une solution de remplacement, un pis-aller, la pâle doublure de celui dont il avait pris la place, et il en conservera, adulte, une défiance envers lui-même, une mésestime de soi qui constitueront un trait saillant et permanent de sa personnalité.

On a fait très tôt à Louis XVI, avec sa collaboration involontaire, la réputation peu flatteuse d’un roi-soliveau, d’une bûche, d’un idiot, voire d’un ivrogne couronné. Il est vrai que, gros mangeur, bon buveur, grand chasseur et grand taiseux, les apparences ne plaident pas en sa faveur. Mal à l’aise dans sa peau, pas d’accord avec son corps, inhibé devant les dames, timide face aux hommes, il apparaît inapte au dialogue comme à la représentation. Il a horreur de se montrer et plus encore de prendre la parole en public. Aurait-il parfois les mots qu’il faut, soit qu’il les ait trouvés tout seul soit qu’on les lui ait préparés, il ne sait pas y mettre le ton ? Il parle quand il aurait intérêt à se taire, il se tait quand il devrait parler. Que ce soit sur le parquet ciré d’une salle de bal, où il est parfois contraint de hasarder sa carrure et sa démarche d’ours, ou sur le terrain encore plus scabreux de la politique, il ne sait littéralement sur quel pied danser, si ce n’est sur ceux de sa cavalière. Il est le spécialiste du contrepied et le roi de la gaffe, jamais dans le tempo. La nature lui a donné la pesanteur sans la grâce, et l’éducation n’a pu y remédier.

Le roi serait-il donc le « gros benêt » que disait son père ? Eh bien non. L’homme vaut bien mieux que sa caricature. Balourd tant qu’on voudra, et plus encore, mais aucunement ballot. En fait, des quatre jeunes rois qui montent sur le trône de France entre 1610 et 1774, il est celui qui a reçu l’instruction générale la plus satisfaisante, celui dont le bagage est le plus solide et le plus étendu. On s’est étonné ou offusqué et généralement gaussé de son goût pour la maçonnerie, la menuiserie, la serrurerie. Un roi qui se commet et se complaît dans des tâches indignes de son rang, pensez donc ! Et alors ? Ce ne sont jamais que d’innocents hobbies. À côté de cela, il a aussi le goût de la lecture, dont on parle moins. Enfant studieux, appliqué, travailleur, il maîtrise la culture classique, français, latin, histoire. Il a une prédilection pour les sciences. Doué pour les mathématiques et la physique, il est particulièrement attiré par la géographie et passionné par les explorations. Enfin, il parle italien mais surtout, parfaitement anglophone, il est abonné à des journaux britanniques, en particulier le fameux Spectator, qui sont pour lui comme une fenêtre ouverte sur un autre monde, d’autres équilibres, d’autres choix de société, une autre organisation politique, qu’il regarde avec intérêt, mais aussi avec suspicion. La monarchie constitutionnelle, ce régime où le souverain, paré des titres, revêtu des honneurs et des hochets de la royauté, mais tenu en lisière par un Parlement et un Premier ministre tout-puissants, règne mais ne gouverne pas, n’est pas véritablement sa tasse de thé.

Louis XVI, comme ses trois prédécesseurs, est né et a grandi dans l’idée, on pourrait même dire la croyance, que le trône et le pouvoir qu’il a hérités de ses ancêtres sont d’institution divine. Il tient comme eux pour vérité d’évangile – une vérité bien commode – qu’il n’appartient pas à ses sujets d’examiner et de juger sa conduite, et qu’il ne doit de comptes qu’à une entité placée plus haut qu’eux et que lui-même. Lorsqu’il recevra dans la cathédrale de Reims l’onction du sacre, il jurera avec ferveur de respecter, de maintenir et de transmettre à son tour, dans son intégrité, le legs qui lui a été confié et qui comporte, indissolublement liées, la sainte alliance du trône et de l’autel ou la division de la société en trois ordres de statut distinct et de dignité différente.

L’absolutisme, tel que le conçoit le jeune prince, a toutefois vocation à être tempéré, sous les auspices de la religion, par la piété, la bonté, la justice et la vertu. Où l’on constate l’effet durable de l’exemple que lui ont donné et des principes que lui ont inculqués ses parents tant qu’ils ont vécu et peut-être aussi une certaine perméabilité à la sensibilité ambiante. Louis, en tout cas, n’a pas changé depuis que, petit garçon, il rédigeait et éditait sur sa petite imprimerie portative un Mémoire de quelques pages que ponctuait cette forte sentence : « Les rois sont responsables de toutes les injustices qu’ils n’ont pas su empêcher. »

C’est peu dire que Louis XVI est un monarque de bonne volonté. Il déborde de bonnes intentions, il en ruisselle. Son chemin en est pavé, ce qui contribuera sans doute à en faire un calvaire. Il voit son avenir comme un tableau de Greuze, où, bienveillant et patriarcal, il irait répandant les bienfaits autour de lui et récolte[1]rait en retour les bénédictions de « ses » peuples agenouillés et reconnaissants.

Il y a malentendu. Adoucir la société sans en changer les bases, améliorer la condition des uns sans toucher aux privilèges des autres, desserrer le carcan sans émanciper l’esclave, c’est un beau rêve, mais c’est d’abord un rêve. La quadrature du cercle. Dans l’esprit de Louis XVI, les réformes sont des cadeaux du ciel, des « bontés » octroyées par le souverain, les libertés ne sont pas des droits naturels. Loin de lui l’irrévérencieuse envie de taguer, a fortiori de fragiliser la statue équestre dédiée par Louis le Grand à sa propre gloire. Les quelques retouches qu’il apporte aux bas-reliefs du piédestal, si elles inquiètent ou scandalisent les tenants de l’immobilisme, encore puissants et influents, semblent bien peu de choses aux zélateurs du changement, chaque jour plus nombreux.

Dès 1780, Louis XVI décrète l’abolition de la question préalable, cette procédure légale, si longtemps prisée et utilisée par la justice, qui amenait indifféremment innocents et criminels à passer aux aveux sous la torture. En 1788, un nouvel édit abolira la question préparatoire, autre petite merveille de l’arsenal judiciaire, qui avait pour but et souvent pour effet de persuader les détenus reconnus coupables de dénoncer les complices, avérés ou inventés, des crimes qu’ils avaient ou n’avaient pas commis. Entretemps, en 1787, l’édit de Versailles, annulant partiellement l’édit pris par Louis XIV à Fontainebleau en 1685, avait autorisé l’inscription des protestants, en tant que tels, sur des registres particuliers d’état civil : un premier pas vers leur pleine réintégration dans la communauté nationale, qu’achèvera l’application de la Déclaration des droits de l’homme.

Si modestes, si partielles qu’elles soient, ces ouvertures sur la modernité sont autant de brèches pratiquées dans la muraille de l’ordre ancien. Dès lors qu’elles répondent évidemment à une préoccupation de tolérance, d’humanisme et de progrès inédite au sommet de l’État, leur signification est plus importante que leur contenu : elles démontrent avec éclat que le virus des Lumières a infiltré et imprègne désormais les couches les plus élevées de la société. Au-delà même des malades déclarés qui se sont multipliés dans les rangs de la haute noblesse et jusqu’au sein de la famille royale, tels le duc d’Orléans, voire, à l’occasion, le comte de Provence, le monarque en personne ne serait-il pas positif aux idées nouvelles, et donc porteur asymptomatique de la maladie du siècle, fût-ce à l’insu de son plein gré ?

Ni défenseur inconditionnel d’un système usé et récusé par un nombre grandissant de Français, parmi lesquels, en première ligne, certains qui sont censés en être les piliers et les gardiens, ni porte-drapeau et moins encore porte-parole de propositions et de revendications à proprement parler subversives parce qu’in[1]compatibles avec le statu quo, Louis XVI aurait-il pu se poser en arbitre au-dessus des factions, diriger et assurer le passage pacifique de l’ancien au nouveau monde, être l’homme de la situation ?

Louis est, malheureusement pour lui, un homme qui doute profondément. Et d’abord de sa propre légitimité. Entendons-nous. Il ne s’agit pas ici de légitimité génétique. Ni lui ni personne n’ont la moindre raison de remettre en question la vertu de sa pieuse mère. Mais de légitimité, ou de capacité personnelle. « Ai-je bien fait ? Ai-je dit ce que je devais dire ? Aurais-je mieux fait de me taire ? Aurais-je dû sévir ? Aurais-je dû céder ? Ai-je pris la bonne décision ? Me suis-je vraiment conduit en roi ? » Tel est le genre de questions que se pose en permanence ce brave homme, taraudé par l’envie de bien faire, mais pénétré du sentiment de son insuffisance, qui voit trop souvent et verra de plus en plus s’inscrire en lettres de feu sur le petit miroir que lui tend la suite des jours les réponses mêmes qu’il redoutait d’y lire : « Tu n’es pas à la hauteur » (de tes devoirs, de tes ancêtres, de ton frère, de ton rang, de la situation) ; « Tu es dépassé par les événements » ; « Tu es nul ».

D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours été mis devant le fait accompli, et chaque fois pris de court. Quand il a perdu son frère aîné, si brillant, et qu’à sept ans il a été brutalement sommé de reprendre son rôle. N’est-ce pas Bourgogne qui aurait dû régner plutôt que lui ? Quand la disparition prématurée de son père a fait de lui, à onze ans, le nouveau dauphin. N’était-il pas dans l’ordre des choses que l’aîné passât avant le cadet, et le père avant le fils ? La santé, apparemment parfaite, de son grand-père, si vert à son âge, semblait devoir lui laisser tout le temps nécessaire pour s’initier aux affaires et tout loisir, en attendant de se familiariser avec la si jolie et si intimidante femme-enfant que la grande politique a mise dans le lit sans l’accompagner de son mode d’emploi, de courre le cerf et de déjeuner en paix. Et voici que la mort de Louis XV, en le propulsant sur le trône, lui confère, avec des responsabilités qui l’effraient, un pouvoir pour lequel il ne se sent pas prêt, voici que la couronne lui dégringole sur la tête, voici que la France lui tombe dans les bras et sur le dos.

L’histoire a immortalisé l’image et les paroles du nouveau couple royal, hébété, désemparé, Louis et Marie-Antoinette, pareillement affolés et agenouillés côte à côte, chacun sur son prie-Dieu, pour implorer la grâce du Seigneur : « Mon Dieu, protégez-nous, nous régnons trop jeunes ! » Et lui d’en rajouter et d’invoquer les mânes du dauphin son géniteur : « Ah, mon père ! Mon père ! Que n’êtes-vous là pour faire mon bonheur et celui d’un grand peuple qui n’a que ma jeunesse pour ressource ! »

On a parfois souri, on s’est même gaussé de ce grand dadais qui s’épouvante d’un rien alors même que des ovations sans fin saluent son avènement, qu’on célèbre à l’envi au milieu de transports de joie, sa jeunesse, sa piété, sa vertu et l’aube d’un nouvel âge d’or. À dix-neuf ans accomplis, bientôt vingt, n’est-on pas assez grand pour faire ses premiers pas tout seul ? Après tout, au même âge, Louis XIII avait depuis belle lurette dépêché Concini dans l’autre monde. Au même âge, Louis XIV piaffait d’impatience dans la salle d’attente du dottore Mazzarino. Assurément, les personnalités en cause sont très différentes. Mais les circonstances et l’époque aussi. Certes, la peur panique qui s’est emparée de Louis XVI peut être mise au compte d’une pusillanimité que ses proches et ses fidèles auront maintes occasions de lui reprocher. Mais pour nous, qui connaissons la suite et la fin de l’histoire, il est permis de trou[1]ver quelques fondements à cette peur et d’y déceler à la fois un témoignage d’humilité et une preuve de lucidité. Il n’est ni absurde ni déraisonnable qu’un jeune homme qui vient de voir le cortège funèbre du feu roi son grand-père s’éloigner dans la nuit sous les huées et les quolibets se posent quelques questions. Les injures visaient-elles seulement la personne d’un homme discrédité par ses fautes et ses dévoiements ? Ou traduisaient-elles un malaise plus profond et plus étendu ? L’air du temps est à la fébrilité, à l’agitation, à la contestation. À mille signes se découvre l’instabilité d’une société, dont les bases, réputées immuables, sont ébranlées, et que démange en tout cas un prurit général de changement. La forme du régime, son principe, le contrat social même sont visés par des mises en cause et des attaques de plus en plus hardies. Le souverain malgré lui est assez bon physicien pour savoir qu’il n’y a pas loin de l’effervescence à l’ébullition. Il n’est que trop conscient de ses lacunes et de ses limites, que celles-ci tiennent à son ignorance, à son inexpérience ou à son caractère.

Que sait-il de la France au-delà du périmètre habituel de ses parties de chasse quotidiennes et de ses rares déplacements officiels, circonscrits à Versailles, Rambouillet, Saint-Germain, Compiègne et Fontainebleau ? Quelle connaissance a-t-il des paysans qui accourent sur le bord de la route pour le saluer au passage ? Quelles images ceux-ci retiennent-ils de leur roi, autres qu’un profil sur des pièces de monnaie, le saccage de leurs champs par une nuée de cavaliers et une meute de chiens, un carrosse environné de gardes du corps qui disparaît dans un nuage de poussière ? Une fois, une seule fois dans le cours de ses quinze années de règne effectif – depuis son avènement jusqu’à la réunion des états généraux – le roi franchira la frontière de l’Île-de-France pour une visite, au reste triomphale, à Cherbourg, dont il inaugure le port en eau pro[1]fonde. À cette occasion, le monarque, alors âgé de trente-deux ans, découvre à la fois la Normandie et la mer, qui lui font une forte impression, mais ne cache pas sa satisfaction de retrouver Versailles, son petit monde, ses épagneuls, son établi, ses lectures, ses pantoufles et ses chères habitudes. Son exploration de la France profonde se résumera à cette mémorable aventure, sauf à y inclure l’excursion malheureuse, ni touristique ni officielle, qui lui permet, en juin 1791, de traverser la Champagne, de jour, d’entrevoir l’Argonne, au crépuscule, et dont il ne gardera pas un bon souvenir.

À défaut de connaître ceux qu’il va gouverner, Louis XVI, au moment où il monte sur le trône, a-t-il la moindre pratique du gouvernement ? Persuadé que rien ne pressait et sollicité par des préoccupations d’un autre ordre, Louis XV ne s’est intéressé que très peu et très tard à son successeur, ce gros garçon gauche et mutique, dont personne n’attendait de prouesse. Paralysé par la timidité et convaincu lui aussi qu’il n’y avait pas urgence, le jeune dauphin n’a cherché ni à être initié aux affaires ni à travailler sous la direction de ceux qui avaient la charge de traiter les dossiers les plus sensibles. À l’incurie du grand-père a répondu l’inertie du petit-fils. Il regardait de bas en haut, comme un enfant les grandes personnes, sans oser les aborder, les personnages chevronnés et chamarrés, spirituels, désinvoltes, bien disant et mystérieux, en qui s’incarnait l’État. Devenu le roi, il l’avouera de bon cœur, avec une déconcertante ingénuité : « Je suis accablé d’affaires et je n’ai que vingt ans… Il y a quatre mois encore, on m’avait accoutumé à avoir peur quand je parlais à un ministre. »

Emporté par une maladie qu’il n’avait pas inscrite à son agenda, le défunt roi n’a légué au roi débutant ni consignes, ni conseils, ni conseillers. Il ne lui a même pas suggéré le nom d’un mentor qui pourrait le guider et lui éviter les erreurs et les écueils.

Si jeune et si seul, si terriblement seul ! N’y aurait-il donc personne, dans le proche entourage du tout nouveau roi, dans le cercle étroit de sa famille, sur qui il puisse compter, à qui il puisse faire confiance ? Le tour est vite fait. Ses deux frères cadets ? Malin comme un singe, mauvais comme une gale, le comte de Provence ne prend même pas la peine de dissimuler le peu de cas qu’il fait de son aîné et son regret permanent que l’ordre de leur naissance n’ait pas été inversé. Ce n’est pas sans raison que le duc de La Vauguyon l’avait surnommé « le Faux ». Le comte d’Artois ? Il a une bien jolie tête, mais rien dedans. La reine ? Il n’y faut pas penser. Le malheureux Louis n’est que trop bien placé pour savoir qu’en dehors du sacrement qui les unit et du grand lit froid où on les incite de plus en plus clairement à faire au plus vite œuvre utile, il n’y a rien de commun entre lui et la charmante et hautaine enfant que le mariage a arrachée à ses poupées et à ses traîneaux. Il sait, tout Versailles et tout Paris savent, qu’elle aime le chant, la danse, la comédie, qu’elle raffole des bals, qu’elle est l’esclave et la reine de la mode. Mais qui est-elle ? Une étrangère ? Une alliée ? Une indifférente ? Elle ne s’intéresse pas ou feint de ne pas s’intéresser aux affaires du royaume. Si elle n’a garde d’oublier que, reine de France, elle est aussi l’envoyée spéciale permanente de l’Autriche à Versailles, comme le lui rappellent jusqu’à plus soif l’impératrice Marie-Thérèse, sa mère, et l’ambassadeur Mercy-Argenteau, elle n’a pas acquis l’assurance qui ne lui viendra que trop vite et ne maîtrise pas encore les recettes assez simples qui lui permettront de conduire son mari par le bout du nez sans paraître le gouverner.

Louis XVI aura toujours du mal à choisir, entre les politiques, entre les hommes. En l’occurrence, il se heurte à une difficulté majeure. Les noms qui lui viennent à l’esprit ou qu’on lui suggère ne sont pour lui que des noms. Il ignore tout du caractère, des qualités, des compétences, des faiblesses, des alliances, du passé, de la fiabilité de ceux qui les portent. Or, le temps presse. Les ministres en fonction – essentiellement le fameux « triumvirat » que constituent le duc d’Aiguillon, l’abbé Terray et le chancelier Maupeou – ont été fort opportunément mis en quarantaine pour avoir côtoyé le roi varioleux jusqu’au dernier moment. Le jeune monarque, qui a résolu de s’en séparer, tient absolument à ce que la nouvelle équipe soit formée avant que l’ancienne soit sortie de son confinement, ne serait-ce que pour éviter d’entrer dans des discussions et des explications dont, se connaissant, il sait qu’il ne se tirerait pas à son avantage. Il tourne en rond…

A lire aussi : Apprentis en politique : Louis XIV, des rayons et des ombres

Extrait du livre de Dominique Jamet, « Apprentis en politique », publié aux éditions De Borée.

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