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Anti-terrorisme et bugs de fonctionnement : quand la direction centrale du ministère de l’intérieur et la préfecture de police se sont révélées incapables de s’entendre au soir des attentats
©Reuters

Mettre un peu d'eau dans son vin

En moins d’une semaine, la police a neutralisé les auteurs des attentats de Paris. Certains ont joué les kamikazes. Un, deux, plus encore peut-être, sont encore dans la nature. Pourtant, le début des investigations se présentait mal. Avec de l’électricité dans l’air entre la PJ de la préfecture de police et la Direction centrale de la PJ du ministère de l’Intérieur

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Depuis plusieurs mois, on le pressentait. Quelque chose de terrible allait se produire. Pire encore que Charlie Hebdo. Les services de renseignement le prévoyaient. Le Premier ministre le laissait entendre. Mais où ? Quand ? Et puis c’est arrivé, le vendredi 13. Le carnage absolu. Jamais Paris n’avait été si frappé. Et pourtant, les services connaissaient les Salah Abdeslam et autres Abdelhamid Abaaoud présenté, lui, comme le chef d’orchestre des attentats du Stade de France, du Bataclan et des deux cafés restaurants. Depuis des mois, les services pistaient les deux hommes ainsi que d’autres. Tous faisaient l’objet de la fameuse fiche S, Abaaoud avait vu son nom cité dans la tuerie du Musée juif de Bruxelles. Dans le projet d’attentats contre une église de Villejuif. C’était lui encore qui projetait de tuer des policiers à Verviers en Belgique. On savait aussi qu’ils se baladaient dans la ville Molenbeek, la ville-fabrique de terroristes.

On savait qu’ils venaient en France. Mais jamais ils n’ont été arrêtés. Ainsi Abaaoud s’est trouvé un temps en Grèce. Puis en Syrie. Faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international, voyageant en Europe, il échappait  à la police… Il passait à Molenbeek (Belgique), mais personne ne le voyait.. Il a fallu que les services marocains donnent un tuyau à leurs homologues français pour qu' Abaaoud soit finalement localisé à Saint-Denis et abattu mercredi 17 novembre. D’autres courent encore. Comme Salah Abdeslam recherché par toutes les polices d’Europe. Il aurait été vu dans le métro le vendredi 13 aux stations Chatelet et Les Halles, avant que l’on ne perde sa trace. Peut-être s’est-il planqué à Molenbeek. Pour l’heure rien.

Certes, depuis les attentats de vendredi, les forces de l’ordre, fonctionnaires de la DGSI, PJ et policiers de la sous-direction anti-terroriste ont fait un énorme travail  en portant un  coup d’arrêt  aux terroristes qui ont déferlé sur Paris.  Même si un, deux voire plus semblent s’être évaporés dans la nature. La collaboration entre différents services de police a bien fonctionné. Encore qu’au début de cette soirée du vendredi 13 novembre, les choses ne se présentaient pas bien. C’est ainsi qu’Atlantico peut révéler qu’entre la préfecture de police et la direction centrale du ministère de l’Intérieur il y a eu de l’électricité dans l’air.

Voici ce qui s’est passé. Dès l’annonce du carnage, des policiers de la PJ parisienne, sur place par nature, dont bon nombre de la sous-direction des affaires économiques et financières, spontanément, font savoir qu’ils sont prêts à travailler pour recueillir les témoignages des rescapés et commencer le travail de procédure. Un travail long et méticuleux, car il faut recueillir le témoignage de nombreuses personnes, voire de blessés qui ont assisté au carnage des terroristes. Ce qui représente l’audition, sur procès-verbal, de 300, voire 400 personnes. Plus on va vite, mieux c’est, pour le déroulement de l’enquête. Eh bien non et non, le concours de la PJ de la préfecture de police est refusé par la direction centrale de la PJ du ministère de l’intérieur. Résultat, une perte de temps. Et pour cause : on est obligé de solliciter l’aide de fonctionnaires d’Orléans et de Lille, dépendant eux de la DCPJ, qui mettent un certain temps, forcément, avant d’arriver dans la capitale !

En dehors des querelles de services – elles existent depuis des lustres, entre la forteresse Préfecture de police et la place Beauvau- s’ajoutent la superposition de strates, de structures d’enquête qui dépendent de directions différentes  et risquent de ralentir les investigations. "Quand vous avez un renseignement en or massif, vous avez parfois envie de le traiter vous-même quitte à ne pas en informer un autre service peut-être plus à même d’obtenir un meilleur résultat" confie un haut policier. Illustration de cette superposition de strates : l’UCLAT, Unité de coordination de lutte contre le terrorisme, créée en 1984 dépend de la direction générale de la police nationale. La sous-direction de lutte contre le terrorisme est rattachée à la direction centrale de la PJ ( Place Beauvau) . Le service central du renseignement territorial (SCRT) dépend de la direction de la sécurité publique.

Enfin un nouveau venu,  l’Etat-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), qui ne dépend que du Ministre de l’ Intérieur, Bernard Cazeneuve - c’est son bébé - est chargé  de centraliser les informations en matière de lutte antiterroriste. Composé d’une dizaine de fonctionnaires, il est dirigé par un préfet… Ce qui fait grincer des dents, on les comprend, quelques hauts gradés de la police. Pourquoi ne pas donner un seul chef à tous ses organismes, auquel il faut rajouter la DGSI ? Et qui sait, envisager un secrétariat d’Etat à la sécurité intérieure, chargé exclusivement de la lutte contre le terrorisme ? Certes avec l’état d’urgence décrété et prorogé de 3 mois, les perquisitions administratives – 600 en une semaine qui ont permis de récolter beaucoup d’armes et des sommes d’argent en espèces conséquentes - et l’abandon – on espère définitif - de tout angélisme, le combat contre les djihadistes est enfin engagé.

Reste un problème qui n’est, semble toujours pas réglé : la fameuse fiche S.  Sur ce document  qui concerne 10 000 personnes, est mentionné un certain nombre d’informations : marié ou pas, profession, condamnations éventuelles, caractère de l’individu, nombre de voyages à l’étranger etc... Bref, une foultitude de renseignements qui permettent à la police de tout ou presque connaitre sur une personne, encline le cas échéant à faire le djihad ou qui semble se radicaliser.  On surveille. On scrute l’activité du bonhomme ou de la dame. Quand il (elle) semble rangé (e) des voitures, on l’oublie un peu. Parfois beaucoup. Mais là où le bât blesse, c’est que 120 critères figurent sur la fiche S. Faites un rapide calcul : avec 10 000 individus recensés sur les fiches S, avec  ces fameux 120 critères, cela fait 1 200 000 critères ! Quel ordinateur assez puissant peut intégrer ces données ?

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