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Allemagne, France, Grande-Bretagne: la crise du leadership
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraëli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Pékin, 

Le 9 septembre 2018

Mon cher ami, 

Me voici parti dans mon voyage annuel de la fin de l’été ou de l’automne pour m’enquérir de l’état des persécutions religieuses dans la Chine de Xi Jinping. Demain je ferai la tournée des services appropriés au gouverment pour prendre la température et vérifier qu’on ne me mettra aucun obstacle insurmontable aux visites que je vais effectuer. La condition de réussite de cette expédition annuelle est la confidentialité totale à laquelle je m’engage envers les autorités chinoises. Vous savez donc, comme chaque année, que je vous en raconterai le minimum. Mais, vu le trajet que je vais effectuer, j’aurai l’occasion d’observer bien des sujets dont vous parler. 

Ce soir, je voulais vous dire ce qui me frappe concernant l’Europe, au moment où votre président est aussi critiqué par les médias qu’il était adulé précédemment. Peut-être est-ce la distance qui me fait assimiler les différentes nations européennes les unes aux autres, ou en tout cas leurs gouvernements; mais, vu de Pékin, je suis frappé par la ressemblance des crises du leadership à Berlin, Londres et Paris. 

A première vue, Emmanuel Macron, Theresa May et Angela Merkel ont des personnalités très différentes. Comment comparer Emmanuel le Fougueux, la « Dame de Roseau » et Angela l’Impertubable? Mais, justement, ce ne sont plus les personnalités qui comptent. Les trois premières nations d’Europe occidentale sont plongées dans une crise politique. Cette crise, en soi, est assez facile à désigner: c’est la crise du néolibéralisme, qu’Emmanuel Macron préfère appeler progressisme. En Allemagne, la Chancelière a fait lentement glisser la démocratie-chrétienne, encore largement conservatrice avant qu’elle n’en prenne la tête, vers un centre de gravité progressiste; en France, Emmanuel Macron fait le pari qu’un libéralisme cohérent, revendiqué haut et fort sera à même, par les fruits qu’il portera, de surmonter la crise du progressisme; en Grande-Bretagne, Theresa May essaie tant bien que mal de trouver un compromis entre les libéraux et les conservateurs du parti Tory, afin de préserver l’unité de son parti. Une fois que l’on a dit cela, il surgit une évidence: aucun des trois leaders dont nous parlons n’est à même de proposer une solution à la crise politique. Mais il faut faire attention, derrière des institutions et des contextes différents,  il y a des racines communes à cette situation. 

Tout d’abord, les trois responsables politiques ont une vision apolitique de leur action. Emmanuel Macron est le plus brillant des hauts fonctionnaires français. Issu de l’inspection des finances, il voit la France comme un « espace de réforme pur et parfait», sans droite ni gauche. Theresa May, au fond, n’a pas envie de transformer le Brexit  en affaire politique; elle espère infiniment trouver un accommodement avec la Commission Européenne et son plan de Chequers en est l’illustration; il lui évite d’aller jusqu’au bout de la relance d’un affrontement droite/gauche au Parlement. Quant à Angela Merkel, elle a réussi à presque toujours éviter les débats droite/gauche sur les grandes questions: elle leur substitue un processus de recherche d’un consensus, qu’elle cherche quelquefois à accélérer par une décision prise sans consultation avec son gouvernement. 

Ensuite, ils refusent de débattre rationnellement d’un conservatisme moderne. Angela Merkel a refusé absolument de ramener la CDU vers la droite, pour la réconcilier avec ses racines. Fille d’un pasteur compagnon de route du communiste est-allemand, elle a gardé de son enfance un rejet foncier de tout ce qui est ou a l’air d’être de droite. Theresa May n’arrive pas à faire aboutir dans son parti  la sortie du néolibéralisme des ères Thatcher et Blair; elle se réclame souvent de Benjamin l’Ancien mais n’a pas encore mis en oeuvre une mesure sérieuse pour illustrer le souhait disraëlien de réconcilier les deux nations. Quant à Emmanuel Macron, il ne travaille pas suffisamment son électorat de centre-droit, alors même que ce serait le socle électoral le plus solide pour lui. 

Enfin, ils ne croient pas à la nation. Je ne reviens pas sur l’épisode des « Gaulois récalcitrants », sinon pour souligner que votre président y parlait en termes d’identités, alors qu’une nation c’est un cadre stable et protecteur à l’intérieur duquel les individus peuvent se mouvoir, s’adapter, se transformer, inventer, créer....Theresa May a bien lancé le slogan de « Global Britain » mais elle ne lui a pas donné de contenu convainquant, comme si elle restait gênée d’affirmer la vocation britannique de l’Angleterre, de l’Ecosse, de l’Irlande, du Pays de Galles. Quant à Angela Merkel avez-vous remarqué qu’elle ne peut jamais dire « les Allemands »; il faut toujours qu’elle utilise l’expression « Die Menschen hier im Lande » (« les gens dans ce pays »)? 

Emmanuel Macron avait commencé en décollage vertical mais il vient de devoir se reposer précipitamment pour vérifier son matériel. Theresa May ne s’est jamais remise de ne pas avoir provoqué une élection législative juste au lendemain du Brexit. Et Angela Merkel entre dans une année très difficile, qui sera marquée par les élections bavaroises du 14 octobre, les élections européennes du printemps 2019 et les élections en Saxe de l’automne 2019. Pourtant, ces trois leaders, avec leur talent politique pourraient reprendre la main. Pour cela, il faudrait qu’ils acceptent néanmoins de faire de la politique, de laisser se réinstaurer un débat droite/gauche et de rendre à leur peuple la fierté d’être une nation qui rayonne dans le monde, pour elle-même, mais aussi qui intègre les plus fragiles et les plus pauvres. 

Il y a encore du chemin pour rétablir le leadership au sein des trois nations. 

Bien fidèlement

Benjamin Disraëli

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