Alerte rouge sur la production de céréales européenne en raison des vagues de chaleur de l’été 2023 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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la disponibilité et le prix des engrais sont susceptibles de devenir un problème de taille.
la disponibilité et le prix des engrais sont susceptibles de devenir un problème de taille.
©Anatolii Stepanov / AFP

Inquiétudes

Avec les vagues de chaleur du début de l’été 2023, notamment pour le sud de l’Europe, la production de céréales européenne suscite l’inquiétude. Mais est-ce bien si alarmant que ça ?

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Atlantico : Avec les vagues de chaleur du début de l’été 2023, notamment pour le sud de l’Europe, la production de céréales européenne suscite l’inquiétude. Quel a été et quel sera l’impact des vagues de chaleur pour les productions de céréales en Europe cette année ? Lesquelles sont susceptibles de connaître une moindre production, voire un seuil inquiétant ?

André Heitz : Nous vivons à l'ère Petit Poulet ou Chicken Little : tout ou presque est prétexte à invoquer le dérèglement climatique et à verser dans le catastrophisme. Nous commencerons à voir plus clair quand les moissons seront finies. Pour le moment, il n'y a pas de quoi paniquer. 

Selon le bulletin du Monitoring Agricultural Resources (suivi des ressources agricoles – MARS) du Centre commun de recherche de la Commission européenne publié le 24 juillet 2023, la prévision de rendement toutes céréales confondues s'établit à 5,46 tonnes/hectare (54,6 quintaux/hectare), légèrement au-dessus de la moyenne quinquennale de 5,44 t/ha, et en baisse par rapport à la prévision de juin (5,52 t/ha). 

Les chiffres varient évidemment selon les espèces (et le maïs n'est pas encore récolté). Nous sommes très proches de la moyenne quinquennale en blé tendre (notre pain), en-dessous en blé dur (nos pâtes).

En France, Agritel a réalisé une enquête de terrain entre le 20 et le 25 juillet 2023. La production s'établirait à 34,82 millions de tonnes (+3,3 % par rapport à 2022 et +1,3 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années). Le rendement moyen est estimé à 73,02 q/ha (+1,4 % par rapport à la moyenne quinquennale). Ce n'est pas plantureux comme a pu l'écrire le Monde le 6 juillet 2023.

« Nous avons perdu 2 à 3 millions de tonnes de potentiel sur mai-juin » selon M.  Gautier Le Molgat, directeur général d'Agritel. La qualité est hétérogène, mais conforme aux normes pour la majorité de la production.

On peut mettre cela en perspective avec un graphique d'Agritel publié, avec d'autres très instructifs sur la récolte de 2022, par Terre-net l'année dernière.

Un regard sur le monde : On s'achemine – mais il faut toujours rester prudent avec les prédictions – vers une récolte record en céréales pour la campagne 2023-2024 selon le Conseil International des Céréales (CIC) : 2,3 milliards de tonnes, avec des hausses en maïs et en riz, mais une baisse en blé (784 millions de tonnes, en repli de 2,4 % par rapport à l'an dernier où les récoltes russe et australienne avaient été exceptionnelles).

Ces chiffres tendent à contredire les oiseaux de malheur et les Philippulus qui nous annoncent des chutes de production. Ou tout au moins à prendre ces annonces avec une pointe de sel.

La production agricole est soumise à de nombreux aléas. Les vagues de chaleur en sont un, mais ce n'est pas le seul. Et il serait désastreux de se focaliser sur lui. Qui se souvient de la campagne 2016-2017, avec un printemps et un début d'été pourri, où le rendement moyen est tombé à 54 quintaux/hectare (le niveau du début des années 80) ?

Le bulletin du MARS précité contient une mine d'informations sur les différents facteurs qui ont influé sur le rendement en Europe. C'est résumé par une carte. Chaleurs extrêmes dans le sud de l'Espagne et le nord de l'Italie, déficit de pluies dans le nord-ouest de l'Europe, excès de pluies dans l'Europe méditerranéenne...

Néanmoins, les vagues de chaleur au moment du remplissage des grains sont un gros problème. Mais il ne date pas d'hier... il s'appelle « échaudage ». Pour en savoir plus, M. Serge Zaka est une référence incontournable (voir notamment ici et ici).

L’Europe est-elle suffisamment armée pour faire face sur le plan de la sécurité alimentaire et de l’approvisionnement en cas de fortes hausses des températures et de canicules records ? Certains pays européens essentiels, les greniers de l’Europe, sur le plan agricole et de l’approvisionnement global sont-ils menacés face au réchauffement climatique ?

La réponse est sans doute ambivalente.

Mais il faut pour commencer, à mon sens, raison garder. Et ne pas se focaliser sur les conditions estivales. Les gelées printanières tardives ou les invasions de ravageurs exotiques sont par exemple d'autres problèmes de taille.

En admettant que les années 2022 et 2023 sont devenues les références pour, disons, la décennie à venir, il n'y a pas de quoi paniquer. Notons aussi que le blé et d'autres céréales sont cultivés plus au sud et dans d'autres régions connaissant des été chauds comme l'Australie.

Sur le plan géographique, nous disposons aussi d'une diversité de climats qui permet de penser qu'il y aura des compensations, la production pouvant être maintenue au niveau requis.

Air connu, constamment entonné par une fraction de notre monde politique, médiatique et activiste, nous pourrions réorienter nos productions agricoles et, en particulier, réduire la part des céréales qui part à l'alimentation animale. Je mets ici un conditionnel : c'est vite dit par les stratèges de canapé, c'est beaucoup plus complexe sur les plans agronomique, économique, etc.... et environnemental.

L'Europe est aussi suffisamment armée sur le plan, disons, intellectuel et économique. Un leitmotiv de M. Julien Denormandie, un des meilleurs ministres de l'agriculture des temps récents : « ...Et donc, en fait, cette révolution agricole, cette 3ème révolution agricole, elle est très simple à comprendre, elle est fondée sur 3 choses, le numérique, la robotique et la génétique. »

Mais... Mais sommes-nous armés sur le plan de notre approche, de notre attitude vis-à-vis de l'agriculture, de l'environnement, du système économique ?

Pour la génétique, par exemple, on a créé en Argentine – avec le concours d'une entreprise du domaine des variétés et des semences (et des biotechnologies) français, Florimond Desprez – un blé résistant ou tolérant à la sécheresse. Oh ! Juste avec un gène de tournesol ! Mais il est génétiquement modifié, GM ! Pas de ça chez nous ! Saurons-nous adopter une réglementation des nouvelles techniques génomiques (NGT) performante, stimulatrice et non inhibitrice ? Rien n'est moins sûr. Ne parlons pas d'évoluer sur les OGM issus de la transgenèse...

Une autre réponse est l'irrigation – qui, soit dit en passant, rafraîchit la température quand elle est pratiquée par aspersion le jour, avec des pertes d'eau limitées sauf en cas de vent. Dites « mégabassines »... ou plus simplement retenues d'eau... Tenez, une proposition de loi tendant à interdire l'irrigation du maïs vient d'être déposée par le LFI Loïc Prud'homme

S'ajoutent à cela des techniques agronomiques connues comme le décalage des semis, le choix de variétés adaptées, les techniques culturales simplifiées et le semis direct (avec du glyphosate, autre totem).

Mais... Mais... Un autre mais est la politique européenne, notamment du Green Deal, du pacte vert. C'est déjà un désastre pour l'agriculture dans les conditions climatiques actuelles.

Songez par exemple qu'en interdisant l'enrobage des semences avec des néonicotinoïdes – fort injustement vilipendés pour cet usage – nous avons perdu quelque 30 % de la récolte de betteraves en 2020.

Songez par exemple que l'Union Européenne ambitionne de porter la part de l'agriculture biologique à 25 % de la surface agricole utile (les Allemands de la coalition « feux tricolores », 30 %) et que le rendement moyen du blé bio peine à dépasser la barre des 30 quintaux/hectare (le niveau du début des années 1960) – et aussi que les idéologues du bio refusent bon nombre d'éléments du progrès génétique, agronomique et technologique (et donc économique et environnemental).

Songez que, plus près de nous dans le temps, il est toujours question d'imposer 4 % de terres mises en jachère l'année prochaine. Le commissaire européen à l'agriculture Janusz Wojciechowski veut attendre les résultats des moissons pour faire, éventuellement, une proposition de retrait de l'obligation. C'est irresponsable.

Pour ne pas oublier la situation politique actuelle : la disponibilité et le prix des engrais sont susceptibles de devenir un problème de taille.

Les situation de tensions autour des céréales en Ukraine ou le jeu de la Russie avec les pays africains au niveau des livraisons de céréales et de denrées alimentaires à consommer sont-elles liées à des bras de fer géopolitiques ou ces crises risquent-elles réellement de bouleverser la sécurité alimentaire en Europe sur les céréales ?

La guerre en Ukraine et ses effets sur la production et le commerce des denrées alimentaires ont surtout un effet sur le marché mondial, et par voie de conséquence sur la stabilité politique et sociétale de nombreux pays.

On peut penser que le monde trouvera une solution. Mais je doute que le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires +2 tenu à Rome du 24 au 26 juillet 2023 ait été d'une grande utilité à cet égard.

Les productions ukrainiennes peuvent transiter par l'Union Européenne – les ports du Danube comme c'est déjà le cas actuellement et les ports de la Baltique. Les ports des États baltes ont une capacité annuelle combinée de 25 millions de tonnes pour les grains (la capacité ukrainienne était de 33 millions de tonnes par an). Mais il se pose la question de la logistique et des coûts... et les procédures de l'Union européennes ne sont pas connues pour leur agilité.

Point n'est besoin d'insister sur l'utilisation par la Russie de son blé à des fins géopolitiques et géostratégiques. Et, pendant, ce temps, dans l'Union européenne, nous envisageons de réduire notre capacité d'influence en utilisant – osons le terme – l'arme alimentaire.

La guerre en Ukraine a aussi des conséquences en Europe car nous sommes importateurs de produits comme l'huile et les tourteaux de tournesol, les morceaux de poulets et... qui oserait le croire... de l'alimentation animale pour l'agriculture biologique. Mais tout cela est gérable. Nos importations ne sont pas négligeables.

Enfin, n'oublions pas les autres acteurs mondiaux comme la Chine, grand importateur pour assurer sa sécurité alimentaire, ou l'Inde, qui vient d'interdire les exportations de riz « normal » après l'avoir déjà fait pour les brisures.

Le monde actuel est compliqué. Et dans ce monde, tout au moins actuellement, les canicules et les événements connexes ne sont pas les plus importants, sauf pour celles et ceux qui ont fait du changement climatique leur fonds de commerce.

Avec la hausse des températures, les alertes sur la sécurité alimentaire ne vont-elles pas s’intensifier en Europe notamment dans les décennies à venir ? Quelles sont les parties du monde qui sont les plus à risque à l’avenir sur le plan de la sécurité alimentaire ?

Je ne m'aventurerai pas à faire des prédictions... surtout si elles concernent l'avenir. La réponse simple est que je n'en ai pas la moindre idée.

Nous sommes calés – peut-être davantage encore en France que dans d'autres pays – sur la conviction que l'apocalypse est prochaine. Nous y sommes notamment incités par des gens qui sont ou se disent experts en climat, y compris certains qui se réclament aussi du GIEC, et qui ont leur rond de serviette sur bien des plateaux où l'on cause.

Nous courons donc à la catastrophe. Nous allons périr rôtis tout cuits... Pourtant...

Le monde reverdit selon la NASA. La Chine plante une barrière forestières contre le tempêtes de sable. L'Inde plante aussi des arbres. Le Sahel reverdit... Et il y a un grand plan de muraille verte.

Si la planète se réchauffe conformément aux prédictions, des surfaces nouvelles s'offriront à l'agriculture dans les contrées nordiques (un certain Vladimir Poutine n'est certainement pas inquiété par le réchauffement climatique!). Les vignes seront déplacées vers le nord (c'est déjà en cours), des cultures de pays chaud seront adaptées à nos climats aujourd'hui tempérés.

Le génie de l'Homme – oublié ou renié par les déclinistes et décroissants – est de savoir s'adapter. Je terminerai donc sur ces mots de Winston Churchill : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté. »

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