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"Blessé de guerre en Afghanistan, j'attends que la société française me reconnaisse enfin comme tel..."
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Gueules cassées

76 soldats français ont été tués en Afghanistan depuis le début de l'opération en 2011. Mais la guerre a un autre coût humain : des dizaines d'autres ont été blessés et portent sur eux le poids de leur engagement. Le lieutenant colonel Stéphane Caffaro du 21ème Régiment d'Infanterie de Marine de Fréjus raconte l'épreuve de la blessure.

Stéphane Caffaro

Stéphane Caffaro

Lieutenant-colonel au sein de l'Armée de terre.

Officier adjoint du 21ème régiment d'infanterie de marine de Fréjus.

 

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Atlantico : Comment avez-vous été blessé en Afghanistan ?

Lieutenant-Colonel Stéphane Caffaro : J’étais en Afghanistan de mai à juin 2010. J’ai été blessé lors d’un bombardement par les insurgés alors que l’ensemble de mon bataillon était déployé pour la protection des bureaux de vote. Le premier sentiment, c’est l’injustice. Pourquoi moi ? Puis les réflexes de survie se mettent en place. J'ai appliqué tout ce qu’on a appris pendant la préparation opérationnelle. J’ai eu la chance de ne pas perdre conscience. J’ai vu que je ne pouvais pas me mettre debout, que ma jambe avait une "drôle de tête". Quatre de mes camarades m'ont traîné à l'abri et apporté les premiers soins. J'ai ensuite été évacué par hélicoptère vers Kaboul.

J’ai surtout pensé à transmettre toutes mes consignes. Il y a une tension nerveuse vers la mission qui fait oublier tout le reste. Avec l'effet de choc, on ne sent pas la douleur. La première heure, on est capable de faire des choses avec un pied en moins qu’on aurait du mal à faire avec une simple ampoule au pied.

En tout, j’ai subi 14 opérations. D’abord pour tenter de sauver la jambe puis pour l’amputation. Il a aussi fallut désinfecter les plaies car lors des blessures en Afghanistan, on ramène une bactérie multi-résistante qui résiste aux antibiotiques habituels. Nous avons tous ramené ce truc-là ainsi que des infections qui ont souvent demandé des interventions supplémentaires.

Avec une telle blessure, comment continue t-on à vivre ?

Il faut gérer sa propre dignité. Je ne voulais pas me montrer affaibli devant mes proches mais en même temps ça fait extrêmement plaisir de se sentir soutenu. La famille supporte la colère et la rage dont on fait preuve dans ces cas là. Les proches et les infirmiers ramassent souvent, très injustement. Et puis chacun a une force morale différente et va appréhender les choses différemment. Par contre il y a des gens qui sont sur place à l'hôpital militaire de Percy et qui ont une grande expérience de tout ça. Au départ, ce n'est pas forcément leur boulot mais ils jouent ce rôle de manière extraordinaire. Ils gèrent les humeurs du blessé aussi bien dans la détresse que dans la colère.

En tout, je suis resté 5 mois à l’hôpital dont deux attaché au lit avant de pouvoir ne serait-ce que me retourner. Dès qu'on peut se déplacer de manière autonome, on se retrouve entre blessés. Nous voyons les autres familles et ceux qui ne peuvent pas sortir de leurs chambres. Il y a une espèce de communauté qui se crée. Elle est importante, il y a des liens forts. Nous retrouvons même une certaine forme de hiérarchie. Ce retour au rôle de chef m'a redonné un but et m'a évité de penser a mon propre problème.

Quel est le bilan humain du mandat de votre régiment en Afghanistan?

Le régiment a eu 36 blessés et 2 morts. Sur les blessés, il y en a des plus ou moins graves. A ma connaissance, il y en a 3 qui n’ont pas réintégré leur fonction militaire. Leurs blessures demandent trop de soins. Ils sont toujours soit dans le système de soin soit en convalescence dans leurs foyers. Le plus grave, Kévin Emeneya, est complétement tétraplégique. Il peut à peine pivoter de la tête alors qu’il est complétement conscient. Il est lucide et il parle. Il a quitté Percy pour rejoindre les Invalides. Un autre, Alexandre, a été défiguré par un tir fratricide. Les soins sont terminés mais il reste du travail chirurgical pour le rendre présentable.

L’institution prend en compte le blessé. Après l'hôpital, c'est le système des Anciens combattants. Il y a des pensions d'invalidité pour faire face aux soins sur le long terme. Ce n'est ni plus ni moins qu'une forme de sécurité sociale. Nous bénéficions également d'un soutien psychologique.

Le soutien aux familles est un peu moins formel. Il n’est pas pris en compte officiellement par l’institution. Il y a simplement une cellule spécialisée qui coordonne toutes les aides associatives et aident les gens sur la durée. Nous nous sommes rendus compte par exemple après l'embuscade d'Uzbin en 2008 qu’il y avait eu un afflux de dons. Mais la réalité, c’est que les familles n’ont pas besoin d’argent pour enterrer leurs morts. Elles ont besoin d’argent 10 ou 15 ans plus tard quand les enfants, les orphelins, vont attaquer leurs études.

La solidarité se fait d’abord au sein des régiments avec les associations régimentaires. Il y en a deux autres plus généralistes et importantes : Terre fraternité et Solidarité défense qui collectent des dons auprès des grandes entreprises. Cela donne les moyens aux familles de venir sur Paris. Les blessés sont accueillis à Percy, mais les régiments qui partent au combat ne sont pas parisiens. Les familles qui sont à des centaines de kilomètres ont besoin d'aide pour payer trains et hôtels pour visiter leurs blessés. Surtout si ca dure : moi je suis resté 5 mois mais il y en a pour qui c’est encore beaucoup plus long.

Avez-vous l’impression d’être suffisamment considéré au sein de la société française ?

Non, nous ne sommes pas visibles. Un effort a été fait au moment du 14 juillet en terme de communication. Il est fait très ponctuellement avec un coté sensationnel. Cela nous tombe sur la tête du jour au lendemain et tous les médias veulent nous parler, nous filmer. Après, plus rien.  Il y a un réel besoin de reconnaissance dans la durée. Nous n'avons pas besoin d’être mis comme ca sous les feux de la rampe. Aucun blessé ne dit "on ne parle pas assez de moi dans le journal". Par contre, la vraie reconnaissance du statut de blessé pour la France pose problème : il n’existe pas.

Il ne faut pas oublier que dans le cadre de nos blessures, une fois la partie urgente passée, il va falloir que je me soigne toute ma vie. Il va falloir que je le justifie : quand je vais aller consulter l’année prochaine pour ma jambe, je vais devoir fournir des papiers et tout un dossier pour expliquer ma blessure. Si nous avions un statut de blessé pour la France, nous n'aurions pas besoin de le prouver systématiquement. C’est blessant pour nous de devoir nous justifier sans arrêt. Il y a un réel problème de reconnaissance et la solution, ce n’est pas inviter les blessés aux cocktails ou au premier rang du 14 juillet. C’est un geste qui est apprécié mais au final ce que nous voudrions, c’est une relecture du nom d’ancien combattant. Aujourd'hui, les anciens combattants ont 25 ans.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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