Affaire Outreau : le désastre institutionnel et les défaillances des services sociaux et judiciaires chargés de la protection de l’enfance<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise depuis la salle de contrôle des médias de la chaîne de télévision parlementaire montrant sur les écrans le juge français Fabrice Burgaud lors de son audition devant une commission d'enquête parlementaire, le 08 février 2006 à Paris.
Une photo prise depuis la salle de contrôle des médias de la chaîne de télévision parlementaire montrant sur les écrans le juge français Fabrice Burgaud lors de son audition devant une commission d'enquête parlementaire, le 08 février 2006 à Paris.
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Bonnes feuilles

Gilles Antonowicz publie « Outreau L’histoire d’un désastre » aux éditions Max Milo. L’affaire d’Outreau ne raconte pas seulement l’histoire d’un fiasco judiciaire, mais aussi l’histoire d’un désastre médiatique, institutionnel, culturel et moral, où la faiblesse et la médiocrité des hommes s'est exprimée de manière accablante. Extrait 2/2.

Gilles Antonowicz

Gilles Antonowicz

Gilles Antonowicz est avocat honoraire et historien.

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En reprenant dans l’ordre chronologique l’intervention des différents acteurs de l’affaire, on pèse le poids du caractère et de la conscience des hommes qui ont eu à en connaître, dans son développement et ses dérives. Ce qui n’est pas sans faire songer, toute proportion gardée, à la fameuse phrase de Sartre disant :

« Jamais, nous n’avons été plus libre que sous l’Occupation », pour exprimer combien, face aux événements les plus dramatiques, l’indépendance et la liberté des hommes demeurent.

À chacun de prendre ses responsabilités, de faire des choix, et d’influer (ou non) sur le cours des événements.

(…)

L’Aide sociale à l’enfance (ASE), le juge des enfants et le parquet suivent la famille Delay depuis l’année 1992. Chérif, alors âgé d’à peine 2 ans, fait déjà l’objet de placements provisoires dans des familles d’accueil, au gré des demandes de Myriam Badaoui, qui informe les services sociaux de la violence dont Thierry Delay fait preuve à l’égard de cet enfant légitimé par mariage qu’il ne parvient pas à accepter comme fils.

Le 13 avril 1995, Chérif manifestant une crainte de plus en plus grande à l’égard de son père, l’ASE transmet une note au procureur de la République dans laquelle elle sollicite une protection judiciaire pour l’enfant. Dans cette note, il est accessoirement fait état des perturbations comportementales à connotation sexuelle de Dimitri, alors âgé de 2 ans et demi. Le juge des enfants est saisi : il ordonne le placement de Chérif en famille d’accueil, sans s’inquiéter de Dimitri.

Un an passe. Le 2 avril 1996, un rapport scolaire transmis à l’ASE indique : « Dimitri régresse, se déshabille en classe, se masturbe, bave, est incontrôlable, pousse des hurlements. » Le service social en informe le procureur de la République le 6 mai, en ces termes : « Cet enfant a été signalé en raison de ses troubles de comportement importants. Sa mère, Myriam Badaoui, sollicite auprès de tous les intervenants son placement. Nous pensons que la santé, la sécurité, le développement psychoaffectif de l’enfant risquent d’être gravement compromis et nous sollicitons pour lui une mesure de protection judiciaire. »

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Trois jours plus tard, le parquet classe ce signalement sans y donner la moindre suite ! Il estime qu’il n’y a pas « suffisamment d’éléments pour que le juge des enfants en soit saisi ». L’ASE n’insiste pas. La responsable du secteur dira à la commission parlementaire « pouvoir entendre » que le procureur « aborde différemment la notion de danger... » Le juge des enfants, à qui copie du signalement a été transmise, n’estime pas devoir réagir non plus. Interrogée lors du procès de Saint-Omer, la directrice de l’école constatera que son rapport n’avait pas été pris au sérieux :

« On a fait en sorte de me donner une explication logique. Si Dimitri était constipé, c’est qu’il ne mangeait pas assez de fruits et légumes. S’il se mettait de la terre dans la bouche, c’est qu’il en était encore au stade anal… »

Le 23 décembre 1997, une note du service social tire à nouveau la sonnette d’alarme : « M. et Mme Delay rencontrent tous deux des problèmes d’ordre psychiatrique qui les mettent en grande difficulté quand il s’agit d’assumer l’éducation de leurs enfants. L’équipe est très inquiète quant à l’évolution de Dimitri, âgé de 5 ans, et de Jonathan, âgé de 4 ans. Si Chérif a, de manière évidente, perdu sa place à la maison puisqu’il n’y vit plus et qu’il est, de manière évidente, non désiré, Dimitri et Jonathan n’y ont pas plus forcément la leur. » Cette invitation au placement adressée au juge des enfants demeure lettre morte.

Au printemps 1998, un nouveau rapport scolaire fait état des troubles du comportement de Dimitri qui « hurle », « met très souvent la main à l’intérieur de sa culotte pour se toucher le sexe », dessine « des scènes pornographiques », s’allonge à plusieurs reprises « sur une petite fille durant la récréation avec simulacre de coït », fait de même sur un puzzle géant représentant une fillette, « prend plaisir à être sale » et apostrophe ses camarades de classe en leur demandant si leur mère, « elle suce ? »

Un autre rapport indique que Jonathan se comporte « comme un petit animal, se traîne par terre, hurle, met lui aussi facilement sa main dans sa culotte, est sale, a souvent des bleus évoquant des chutes ». Quant à Dylan, il est décrit « boudeur, peu souriant, têtu et sale ». Le juge des enfants est saisi. Le 16 juin, il ordonne prudemment une mesure d’investigation et d’orientation éducative (IOE), confiée à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

À l’automne, une note de la PJJ datée du 28 octobre 1998 fait état du refus de la famille Delay de collaborer à cette mesure :

« Aucun travail avec la famille n’est possible. […] Notons qu’au domicile se trouve une bibliothèque remplie de cassettes vidéo de nature pornographique. Dimitri mime souvent des scènes sexuelles, ce qui pose question quant à ce qu’il peut entendre ou voir à la maison. » Pas de réaction.

Le 2 décembre, l’ASE effectue un « signalement judiciaire concernant des révélations faites par Mme Badaoui-Delay quant à des sévices sexuels sur Dimitri ». La note annexée conclut de la façon suivante : « Les troubles du comportement et les propos de l’enfant laissent à penser que Dimitri et peut-être Jonathan auraient été victimes de sévices. » Une mention manuscrite au bas de la première page indique : « Transmission parquet 12-98, classement sans suite. »

En juin 1999, le travailleur social en charge de la mesure IOE rend un rapport dans lequel il conclut à la nécessité d’une mesure éducative judiciaire pour les trois enfants. Le juge des enfants reçoit les parents. Devant la commission parlementaire, il déclarera : « Les notes de l’ASE témoignaient d’une suspicion d’agression sexuelle. Mais démontrer l’existence d’abus sexuels n’est pas le travail du juge des enfants. Les cassettes pornographiques étaient quelque chose de très commun dans le Pas-de-Calais. Je ne pense pas que, pour les majeurs, ce soit interdit par la loi. J’avais demandé qu’elles soient retirées de la vue des enfants. Les parents avaient indiqué qu’ils avaient effacé ces cassettes, pour les remplacer, d’ailleurs, par des films d’horreur. Il n’y avait pas d’autres éléments. » Il considère en conséquence que la situation ne justifie pas le placement des enfants. La responsable de l’ASE dira devant la commission parlementaire qu’elle « pouvait entendre » que le juge eût « une appréciation sensiblement différente » de la sienne…

Ce n’est finalement qu’en février 2000, à la demande expresse de Myriam Badaoui suite à une crise de violence inouïe de son époux, complètement saoul, mettant l’appartement à sac, que Dimitri, Jonathan et Dylan sont placés en urgence dans des familles d’accueil. Mais, dans l’esprit du juge, ce placement ne doit être que temporaire. Il demande aux services sociaux de mettre en place un hébergement maximum, les week-ends comme les jours fériés et les ponts qui vont avec, afin de préparer le retour des enfants au domicile des parents pour le mois de septembre. Sa position ne varie pas malgré les notes des services sociaux mentionnant que les enfants rentrent perturbés de ces hébergements. Le 25 mai, la responsable de secteur signale l’angoisse de Dimitri, Jonathan et Dylan à la perspective de retourner chez eux le week-end : « Si c’est pour se faire frapper, disent Dimitri et Jonathan, ce n’est plus la peine. » Le juge des enfants maintient cependant le droit d’hébergement et conserve dans son esprit l’idée du retour des enfants dans leur famille. « Des conseils pour canaliser l’énergie des enfants sont donnés aux époux Delay ainsi que d’autres punitions que de les battre. » (sic)

Il faudra attendre les révélations des quatre frères Delay à l’automne 2000 pour que, quelques jours avant Noël, huit ans après le premier placement provisoire de Chérif, le juge des enfants suspende enfin le droit de visite et d’hébergement reconnu aux parents. Et encore, comme on l’a vu, le fera-t-il avec une maladresse sans pareille, motivant sa décision en raison des « agressions sexuelles dont [les enfants] auraient été les témoins ou les victimes dans le cadre familial parental », alors que le parquet et la police n’ont pas encore commencé leur enquête…

Questionnés par la commission parlementaire sur les raisons de leur lente prise de conscience, les deux juges des enfants ayant eu à connaître la situation de la famille Delay se réfugièrent derrière les articles 375 et suivants du Code civil, qui posent le principe du maintien des enfants au domicile « chaque fois qu’il est possible ». Dans le cas présent, était-ce possible ? Il est permis d’en douter. Pour envisager un placement, le juge doit constater que les conditions de santé, de moralité, d’éducation et de sécurité des enfants sont gravement compromises. Ces conditions n’étaient-elles pas remplies ?

Le sujet est délicat. Florence Aubenas, on l’a vu, se scanda- lisera du placement des enfants Rouqueyrol et Pommel, qui n’avait sans doute pas lieu d’être. Le placement des enfants Delay a en revanche toutes les raisons d’apparaître comme bien tardif. Les services sociaux et les juges des enfants sont pris entre deux exigences. D’un côté, le principe de précaution, la nécessaire protection des enfants. De l’autre, l’injonction qui leur est faite de préserver le lien familial. Que faire ? Les décisions sont certes difficiles à prendre. La qualité des hommes et des femmes appelés à en juger est alors essentielle. À Outreau, force est de constater que, du côté du parquet comme du côté du juge des enfants ou des services sociaux, chacun s’est réfugié derrière la lettre de la loi, s’est cantonné dans sa fonction, s’est isolé dans son petit domaine, sans prendre la peine d’une concertation pourtant nécessaire avec les autres acteurs concernés. Dans un classique mouvement de balancier, on est passé d’un extrême à l’autre, passant d’une insuffisance de précaution et du lien familial considéré comme une religion à un excès de prudence, au gré de l’humeur de l’opinion et de l’émotion née des événements.

Le barreau

« Durant mes deux ans d’incarcération, je me suis toujours demandé à quoi servait un avocat. L’avocat ne sert à rien. » Le propos est sans appel et il est tenu par Dominique Wiel devant la commission parlementaire. Parmi les acquittés d’Outreau, il n’est pas le seul à le penser et Christian Godard a le même sentiment :

« Je vous dis tout de suite une chose, ça ne sert à rien de dépenser de l’argent pour prendre un avocat… »

Roselyne Godard est plus nuancée : « Quant aux avocats, dit-elle, il y a avocat et avocat. » Effectivement. Reste que, dans l’ensemble, le bilan du barreau dans l’affaire d’Outreau n’est pas glorieux. « La difficulté, reconnaîtra Éric Dupond-Moretti, c’est que certains accusés n’ont pas été défendus. Je pense que les avocats doivent balayer devant leur porte. » Des avocats aux abonnés absents, des avocats muets, des avocats transparents, il y en eut. Et même un avocat marron.

Le nombre d’interrogatoires où le juge Burgaud se retrouva dans la position d’interroger, seul à seul, tel ou tel mis en examen à son corps défendant, les avocats concernés ayant été informés de la date de l’interrogatoire en temps et en heure, est accablant. Durant les six premiers mois de l’affaire, c’est quasiment la règle pour Myriam Badaoui, Sandrine Lavier ou Thierry Dausque. Florence Aubenas affirme que certains avocats ne seraient jamais allés consulter le dossier, quand d’autres n’auraient même pas pris la peine d’en demander copie.

L’avocat fantôme a sa variante : c’est l’avocat « courant d’air » qui va et vient, pénètre dans le bureau du juge pour s’y asseoir quelques minutes, puis s’en retourne, appelé par d’autres tâches plus urgentes, avant d’y revenir une ou deux heures plus tard. Toutes ces allées et venues étant consciencieusement enregistrées par le greffier qui note scrupuleusement sur chaque procès- verbal : Maître Untel sort du cabinet, Maître Untel entre dans le cabinet et ainsi de suite, à la manière d’un auteur dramatique réglant les entrées et sorties de ses personnages dans une pièce de théâtre.

Absent ou courant d’air, le résultat est quasiment le même, car l’avocat doit être là. Pourquoi ? Parce qu’aucun avocat ayant fréquenté assidûment les cabinets d’instruction ne peut dire qu’en dix, vingt ou quarante ans de carrière, il a jamais entendu un greffier dire à un juge : « Non Monsieur le juge, ce que vous dictez ne correspond pas à ce qui a été dit. » La présence de l’avocat est essentielle, lui seulestenmesured’authentifier les propos tenus. Que dire de la responsabilité de l’avocat de Myriam Badaoui, absent lors de l’interrogatoire au cours duquel celle-ci parla pour la première fois des Legrand, du taxi Martel et des époux Marécaux ? S’il avait été présent, il aurait pu intervenir, faire noter les questions posées, contester la manière dont était conduit l’interrogatoire comme la manière dont étaient notées les réponses de Badaoui, et, nous avons toutes les raisons de penser que, dans cette hypothèse, il n’y aurait jamais eu d’affaire d’Outreau : ni les Legrand, ni le taxi Martel, ni les époux Marécaux n’auraient jamais pris le chemin de la maison d’arrêt. Et si cet avocat se trouvait en vacances (on était au mois d’août), il avait le devoir de demander le renvoi de cet interrogatoire à une autre date ou, au minimum, de se faire substituer par un confrère.

Être présent est une nécessité, mais encore faut-il jouer son rôle, et si l’avocat est là, mais demeure désespérément muet, cela n’a aucun intérêt. Parfois, il est vrai, parler est inutile et, dans ce cas, comme disait George Eliot, « heureux celui qui, n’ayant rien à dire, s’abstient de le prouver par des paroles ». Mais dans l’affaire d’Outreau, compte tenu de la manière dont le juge Burgaud posait ses questions, bien rares étaient les auditions à ne pas susciter quelques remarques ou questions complémentaires. Ainsi voit-on le premier avocat de Dominique Wiel considérer que les questions posées par le juge sont uniquement à charge et demander qu’il soit fait mention de cette observation au procès- verbal, mais, curieusement, n’en poser aucune susceptible de venir rétablir l’équilibre.

De même, à en croire le second avocat de Pierre Martel, la confrontation collective organisée le 17 janvier 2002 entre son client et le trio Badaoui-Grenon-Delplanque, époque à laquelle il n’était pas encore le conseil du chauffeur de taxi, se serait déroulée de la manière suivante : « Mme Badaoui déverse son flot d’accusations contre Pierre Martel. Mais Aurélie Grenon dit : “Ce n’est pas vrai, ce n’est pas lui”. Aux dires de mon client, le juge serait entré dans une colère noire, il aurait suspendu cette mesure d’instruction pour qu’elle puisse se calmer et boire un petit café ou un verre d’eau. Il l’aurait fait rentrer quelques instants plus tard pour reprendre le cours normal des choses, à savoir le petit train- train de l’accusation, qui amènera Pierre Martel jusqu’à ses trente mois d’incarcération provisoire. S’il y avait eu une caméra ou un greffier pour authentifier tout ce qui se passait dans le cabinet d’instruction, tout cela ne serait pas arrivé. » Si cela est vrai, si les choses se sont réellement passées de cette façon, c’est grave. Parce que l’avocat qui était à l’époque celui de Pierre Martel était présent ! Et il n’aurait pas réagi, s’abstenant de faire mentionner auprocès-verballarétractationd’AurélieGrenonsuiviede la colère du juge, de la suspension de la confrontation et de la pause-café ? On a peine à le croire, tout en pensant que cela peut être malheureusement vrai …

Transparent surleversantinstruction(« étrangement discret », dira Jean-Michel Decugis210), l’avocatpeutaussi l’être sur le versant détention.Certainsavocats,constate Éric Dupond-Moretti, « ne sont jamais allés voir leur client ». Certains, affirme Florence Aubenas, ne déposèrentmême jamais de demande de permis de communiquer. À la décharge de quelques-uns, leurs clients n’étaient pas toujours détenus à proximité de leur lieu d’exercice. Ainsi, le premier avocat de Sandrine Lavier, commis d’office, aurait dû parcourir près de quatre cents kilomètres aller-retour entre son cabinet (situé à Boulogne) et le lieu de détention de sa cliente (incarcérée à Rouen).

Aucun avocat, à trois exceptions près, ne déposa de mémoires devant le JLD au soutien d’une demande de mise en liberté.

De même, à une exception près, aucun avocat ne rendra de visite au juge Lacombe, le successeur de Burgaud, un ancien confrère pourtant, pour le sonder et « tâter le terrain » en vue d’une remise en liberté éventuelle de tel ou tel.

Ce manque de pugnacité, on le retrouve devant la chambre de l’instruction. Rares seront les avocats à déposer des mémoires ou à venir présenter des observations orales pour obtenir la libération de ceux dont ils étaient censés assurer la défense. Aucun ne songera à demander l’annulation des mises en examen décidées par le juge Burgaud. C’était pourtant le seul moment où la chambre de l’instruction aurait pu éventuellement considérer qu’en l’absence de charges suffisamment sérieuses, la mise en examen n’avait pas lieu d’être ou que le statut de témoin assisté pouvait être suffisant.

Selon Florence Aubenas, cette défense rachitique résulterait du sujet – une sale affaire de pédophilie – et du manque de moyens financiers, bref, « un dossier peu glorieux à se traîner des mois en perdant de l’argent ». Le sujet est pourtant ordinaire en matière criminelle (rappelons que plus de 70 % des affaires jugées par la cour d’assises de Saint-Omer sont des viols) ; quant à l’indemnité financière perçue par les avocats commis d’office, elle avoisina tout de même les 15 000 euros pour le suivi de l’instruction et des deux mois d’audience. Mais cela, les premiers avocats commis d’office l’ignoraient. Rien ne laissait au départ présager un procès d’une telle durée. Rien ne laissait présager les retombées média- tiques qui, après l’arrestation des « notables », ne vont cesser de croître, au point que certains avocats dont la notoriété n’était jusque-là que locale ou régionale, tel Éric Dupond-Moretti, doivent à Outreau le fait d’avoir accédé à une notoriété nationale. Aussi la plupart d’entre eux n’accordèrent-ils aucun intérêt au dossier. Mal leur en pris puisqu’ils furent les uns et les autres progressivement remplacés par d’autres confrères disposant d’une plus grande conscience professionnelle et d’une plus grande lucidité. C’est ainsi que, pour le plus grand bien de Daniel Legrand père, ‘’l’extraordinaire’’ Antoine Duport céda la place à Julien Delarue. On en arriva d’ailleurs au plus extravagant des paradoxes : ce dossier dont, au départ, personne ne voulait, va susciter des convoitises ! In fine, tout le monde « voulait en être », reconnaît très franchement Caroline Matrat qui, désigné en remplacement d’un confrère manifestement défaillant, permit à Thierry Dausque de recouvrer espoir et confiance, deux ans après le début de son incarcération.

Dans leurs relations avec les médias, tous ne furent pas irréprochables. À en croire Jean-Michel Decugis, ce serait l’avocat de l’un des « notables », futur acquitté, qui aurait attiré son attention sur ce dossier en prenant l’initiative de lui téléphoner au mois de novembre 2001 pour lui expliquer que c’était une affaire hors norme, « horrible », et que les charges pesant sur les personnes incarcérées – et notamment son client – étaient accablantes. C’est à la suite de cet appel et sur la base de ces informations que Decugis devait rédiger dans Le Point son fameux article sur la « maison de l’horreur» que, confessera-t-il avec franchise devant la commission parlementaire, « il aurait aimé ne jamais avoir écrit », jurant d’être désormais « beaucoup plus attentif », de manière à éviter « d’écrire des bêtises ».

« Je peux citer des noms d’avocats qui peut-être voulaient se grandir », déclarera de son côté Christian Godard devant la commission parlementaire. « Quand j’ai été remis en liberté par le JLD, seul mon avocat le savait. Pourquoi l’information est-elle parue dans la presse ? Elle a été dévoilée par des avocats, pas par le juge ! » Du coup, le parquet fit appel. « Il a fallu repartir une journée à Douai avec mon avocat. Vous savez combien ça coûte une journée d’avocat pour un ouvrier : 1 500 euros. »

Extrait du livre de Gilles Antonowicz, « Outreau L’histoire d’un désastre », publié aux éditions Max Milo

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