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Affaire de la tête de cochon sur une mosquée de Mayotte : pourquoi la notion de violence morale à l’égard d’une communauté religieuse, musulmane ou catholique ne peut être retenue
©Reuters

Retour du blasphème

En septembre 2014, trois personnes sont condamnées à de la prison, dont une avec sursis à Mayotte pour avoir déposé une tête de cochon dans le patio de la Mosquée. C’était à l’issue d’une soirée très arrosée de la Saint Sylvestre 2013. En appel, elles viennent d’être relaxées. Une décision logique qui montre bien que le délit de blasphème n’existe plus depuis 1789. Pourtant, l’association propriétaire de la mosquée a formé un pourvoi en cassation. La haute juridiction opérera-t-elle un revirement de jurisprudence en estimant que le dépôt de cette tête de cochon était un délit commis contre l’Islam ?

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • A l’issue d’une soirée arrosée le soir de la Saint-Sylvestre 2013, un couple, aidé par une amie, se rend à la Mosquée de Mamoudzou à Mayotte pour y déposer une tête de cochon dans le patio.
  • Dès le 1 er janvier 2014, lorsque les premiers fidèles découvrent, vers 6 heures du matin, la tête de l’animal, c’est l’ébullition dans la population mahoraise à 95% musulmane.
  • Trois personnes sont rapidement placées en garde à vue et sommées, en compagnie d’une quatrième, de quitter Mayotte.
  • En septembre 2014, trois personnes sont condamnées, pour deux d’entre elles à 9 mois de prison dont 3 ferme. Il y a quelques jours, la Cour d’appel de Mamoudzou les a relaxées estimant qu’aucun délit pénal ne pouvait leur être reproché, la notion de blasphème n’existant plus dans notre droit depuis 1789.
  • L’association propriétaire de la Mosquée, partie civile, a formé un pourvoi en cassation. Si la haute juridiction revenait sur cette relaxe, somme toute logique, ce serait une grande première.

Peut-on retenir le délit de blasphème par le biais d’incrimination de violences morales ? Cette question, la Cour de cassation va y répondre d’ici quelques mois. Si d’aventure, notre haute juridiction y répondait favorablement, ce serait un immense retour en arrière. Et pour cause : la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 a fait disparaitre de notre droit la notion de blasphème. Seule exception : l’Alsace-Moselle, où l’article 166 du Code pénal prévoit un emprisonnement "pour celui qui aura causé un scandale en blasphémant Dieu par des propos outrageants ou aura tenu publiquement des propos outrageants à l’égard d’une communauté religieuse établie." Pour comprendre la résurgence de ce débat autour du blasphème, il nous faire un long détour par Mayotte, ce territoire situé dans l’Océan Indien à plus de 10 000 kilomètres de la métropole.

Nous sommes le 31 décembre 2013. Ce soir-là, dans une maison, on s’apprête à passer le Réveillon entre amis et à fêter la nouvelle année. Ils sont une vingtaine autour d’une table bien garnie. Il y a là pléthore d’uniformes. Des légionnaires. Des gendarmes. Des policiers. Des douaniers. Parmi les convives, trois vont être, malgré eux, les héros d’une soirée -plutôt d’un lendemain- dont ils se souviendront. Le dîner ? Deux cochons préparés à la tahitienne. Tout ce petit monde va montrer de l’appétit, et surtout qu’il a soif. Très soif. Il va boire, boire. Plus que de raison. De mémoire de rapport de police, jamais sans doute une soirée n’avait été autant arrosée. L'un des protagonistes reconnaitra avoir descendu une trentaine de verres, et pas de l’eau de Vittel. Bien sûr, avec tout cet alcool ingurgité, on se laisse aller, pas forcément dans la bonne direction. L’un des invités se propose de jeter une patte de cochon dans le jardin du voisin. Un petit groupe va un peu plus loin : "Et si on mettait une tête de cochon dans une mosquée, qu’est-ce que cela ferait ?" Pari tenu. Puisque tôt le matin un couple prend la route dans un état apparemment peu lucide. C’est un gendarme qui conduit. A sa droite, sa compagne… et dans le coffre, la tête de cochon. Le duo arrive à la mosquée de Labattoir et dépose la tête de cochon dans le patio. Dès 6 heures du matin, les fidèles découvrent la tête. C’est l’émoi immédiat dans la communauté mahoraise à 95% musulmane. Un peu partout des manifestations ont lieu pour demander le respect de l’islam réunissant plus de 10 000 personnes dans les rues de Mamoudzou. Le Parquet de la ville, soucieux d’éviter un embrasement, ouvre une enquête préliminaire. Dans un premier temps, pour "incitation à la haine raciale à raison de l’appartenance à la religion musulmane"… Une qualification vite abandonnée. En effet, comment une tête de cochon peut –elle revendiquer une posture anti-islam ? C’est grotesque. Du coup, le Tribunal suggère, lors de l’audience une nouvelle qualification : "violence volontaire aggravée". Ce qui signifierait que les fidèles de la mosquée seraient victimes. Voilà qui est limite. Dans la foulée, les protagonistes sont placés en garde à vue, avant d’être sommés de quitter Mayotte. Ce qui a lieu courant janvier 2014. Galopent les mois. La tension baisse.

Jusqu’à ce 17 septembre 2014, jour de l’audience devant le Tribunal de Mamoudzou. Me Julien Pinelli, doit plaider dans un climat particulièrement hostile. Les débats sont tendus. D’emblée, le président du tribunal, Jean-Pierre Rieux, très remonté contre les prévenus, interroge leurs avocats : "Ils ont combien de QI, vos clients ?" Ambiance. Me Pinelli, rompu au combat judiciaire, ne se démonte pas. Il argumente : "Les prévenus sont poursuivis pour avoir commis un blasphème, c’est-à-dire une infraction qui n’existe pas dans le Code pénal. Vous n’apaiserez pas la colère des plaignants par une décision juridiquement infondée, le remède serait plus dangereux que le mal. Le parquet et la partie civile exigent leur condamnation au nom de l’émotion et de la paix publique. Je vous demande de statuer à la seule lumière de la loi et de prononcer la relaxe." La défense n’est pas entendue. Aussi, est-ce sans surprise que deux des protagonistes écopent de 9 mois de prison dont trois ferme, tandis que le 3ème est condamné à 6 mois de prison avec sursis. Il n’a fait que conduire les deux autres à la mosquée. Le 21 mai 2015, nouveau procès en appel. Là, les choses se passent mieux pour les trois prévenus, même si le Parquet a sollicité la confirmation du jugement. Pour Me Pinelli, "le Tribunal de première instance a cru faire œuvre de paix sociale… Mais c’est un trouble à l’ordre public beaucoup plus grave que porte en germe une telle jurisprudence, celui qui éclot chaque fois que l’égalité des citoyens devant la loi est rompue." Et l’avocat de solliciter de la Cour d’appel "une décision courageuse, la défense en est pleinement consciente."

Le 9 juillet, c’est le verdict : relaxe pour tout le monde, la Cour d’appel ne se privant pas de souligner que les faits s’ils sont "moralement condamnables" ne peuvent être pénalement sanctionnés. Inutile de le dire, la partie civile, l’association propriétaire de la mosquée, représentée par Me Céline Cooper, fort mécontente de la relaxe, vient de former un pourvoi en cassation. Laquelle devra dire si un délit assimilable à un blasphème tout en ne l’étant pas vraiment, peut être pénalement répréhensible. Une sorte de quadrature du cercle déjà examinée par les Tribunaux avec une réponse claire et nette. Ainsi, lorsque les Femen ont successivement profané la cathédrale Notre-Dame de Paris et l’église de la Madeleine au cours de l’année 2013, ces dernières ont été simplement poursuivies pour dégradation et exhibition sexuelle. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été relaxées. Comme l’a souligné Me Pinelli et ses confrères devant le Tribunal correctionnel puis devant la Cour d’appel de Mamoudzou, jamais la violence morale commise à l’encontre de la communauté catholique par les Femen n’a été retenue pour qualifier leurs agissements.

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