Affaire de l’IEP de Grenoble : un début de prise de conscience collective des dérives idéologiques au cœur du monde universitaire <!-- --> | Atlantico.fr
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Des étudiants manifestent contre l'islamophobie devant le campus de l'Institut d'études politiques (Sciences Po) à Saint-Martin-d'Hères, près de Grenoble, le 9 mars 2021.
Des étudiants manifestent contre l'islamophobie devant le campus de l'Institut d'études politiques (Sciences Po) à Saint-Martin-d'Hères, près de Grenoble, le 9 mars 2021.
©Philippe DESMAZES / AFP

Bonnes feuilles

Klaus Kinzler publie « L’islamogauchisme ne m’a pas tué » aux éditions du Rocher. Peut-on imaginer, en France, qu'à la suite d'un échange de mails entre enseignants, un professeur se trouve accusé de « fascisme » et d'« islamophobie » par un syndicat étudiant ? C'est la singulière mésaventure dont a été victime Klaus Kinzler, professeur d'allemand à l'IEP de Grenoble depuis vingt-six ans. Extrait 1/2.

Klaus Kinzler

Klaus Kinzler

Klaus Kinzler est professeur de langue et de civilisation allemande.

Voir la bio »

L’IEP de Grenoble a été mon lieu de travail pendant plus de vingt-six ans. J’y ai passé de belles années, dans une liberté pédagogique et intellectuelle que mes collègues du secondaire m’ont souvent enviée.

Agrégé d’allemand, j’y ai exercé mon métier de professeur de langue et de civilisation avec énergie et enthousiasme, avec des hauts et des bas, comme tout le monde, et somme toute sans faire d’histoires.

En mars 2021, tout a changé.

Alain Auffray, dans le portrait qu’il a brossé de moi pour le quotidien Libération, s’étonne que « la mésaventure de Klaus Kinzler, professeur d’allemand publiquement accusé d’islamophobie sur le campus de Sciences Po Grenoble » ait pu, en l’espace de quelques jours, devenir « une affaire nationale ».

Je partage son étonnement.

Pour ceux qui veulent comprendre, une première question relevant du calcul des probabilités s’impose : quelles sont les chances pour que, du jour au lendemain, tous les médias français s’intéressent au destin jusqu’ici peu spectaculaire d’un professeur d’allemand de province, envoient leurs reporters sur place, lui demandent plus d’interviews qu’il n’est capable d’en donner, puis invitent à venir les voir dans leurs studios parisiens ce nobody grisonnant à l’anorak jaune pour qu’il explique aux citoyens français l’état dans lequel se trouvent son IEP, les IEP, l’université, la société, le pays?

Nous sommes d’accord : statistiquement, la probabilité qu’une telle situation se produise tend vers zéro. Comme elle s’est néanmoins produite, posons une deuxième question : quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un tel événement puisse se produire en dépit de sa faible probabilité?

Tout observateur averti du paysage médiatique français a d’excellentes raisons de supposer qu’il sera impératif qu’il arrive à notre vaillant prof d’allemand quelque chose de terrifiant. Disons-le sans ambages : il faudra – mais attention, c’est une condition nécessaire mais pas suffisante! – qu’il passe de vie à trépas.

Il se trouve que notre enseignant est féru de ski de randonnée et de vélo de route. Une avalanche le tue dans la montée du Dôme des Écrins? Un camping-car néerlandais l’écrase dans la descente du col du Galibier?

Ce serait terrible. Mais les journalistes de la capitale se déplaceraient-ils pour si peu ? Un entrefilet dans la rubrique des chiens écrasés du Dauphiné libéré fera l’affaire… En un mot : décéder, fût-ce dans des circonstances dramatiques, ne sera pas suffisant!

Quelques enseignants y sont pourtant arrivés. Même si la plupart d’entre eux auraient pu s’en passer. Samuel Paty par exemple. Pas un Français qui ne connaisse son nom. Professeur ordinaire comme moi, il a accédé à la gloire. Posthume, cela va sans dire. Lors d’une cérémonie à la Sorbonne, le président a parlé de son martyre, l’a nommé commandeur des palmes académiques, a promis, la main sur le cœur, qu’on ne l’oubliera pas.

Tout cela n’a rien à voir avec le fringant prof d’allemand de Grenoble. Au moment où il écrit ces lignes (à l’hôpital), il est toujours bien vivant.

Mais comment diable cet homme a-t-il réussi l’exploit de « monopoliser les médias », comme ses collègues de l’IEP le lui ont reproché?

La question, intéressante en soi, dépasse largement le destin de Klaus Kinzler, et la vraie question que nous devons donc nous poser est celle-ci : comment un parfait non-événement survenu trois mois plus tôt (deux enseignants inconnus se disputent par mail sur un concept piégeux…) a-t-il pu devenir l’« affaire de l’IEP de Grenoble » et déclencher – c’est là son seul mérite – un salutaire débat national sur un ensemble de sujets brûlants qui, tous, touchent au ciment même qui assure la stabilité de notre nation ?

Dans une tribune écrite au tout début de l’affaire, Sylvain Fort, ex-conseiller en communication d’Emmanuel Macron, fournit, dans L’Express, quelques éléments de réponse intéressants, quoique hâtifs, à cette question :

Cette affaire met en lumière avec une sorte de précision entomologique la mécanique de l’islamogauchisme, ses méthodes, son ethos. Nous le voyons s’ébattre dans son biotope naturel. L’IEP de Grenoble en est devenu l’enclos expérimental.

Inutile de dire que j’ai été ravi en découvrant cette tribune et les analyses au scalpel qu’y présente mon collègue germaniste. Dans une prose fluide et hilarante, il brosse un superbe tableau du microcosme très particulier où vivent et se multiplient, à mille lieues des Français ordinaires, les zélotes woke de l’IEP de Grenoble.

En bon spécialiste en communication qu’il est, Sylvain Fort interprète le « succès » médiatique de l’affaire – et celui, éphémère, du professeur d’allemand qui en est l’un des protagonistes – par le fait qu’elle serait un « cas d’école » et une illustration « exemplaire » des pratiques de l’islamogauchisme, ce courant de la nouvelle gauche communautariste qui a pris le pouvoir dans de nombreux départements des sciences sociales des facs françaises.

Tout enthousiaste que je suis devant ce tableau où je reconnais parfaitement quelques-uns de mes collègues de l’IEP, son caractère par trop restrictif ne me convainc pas. Car ce qui se cache derrière les désolants événements grenoblois, c’est un phénomène d’une tout autre ampleur et qui va bien au-delà du débat enflammé autour de l’islamogauchisme. Il va également bien au-delà du microcosme des sciences sociales françaises, même s’il est incontestable que ces dernières années, dans trop d’endroits (dont assurément l’IEP de Grenoble), une insupportable culture de l’intolérance idéologique s’est installée.

Le phénomène dont je parlerai dans ce livre n’est pas non plus limité à la France. Venu des États-Unis, il est en train de s’imposer, avec un succès inégal, dans la plupart des pays du monde occidental.

L’écrivain et philosophe Pascal Bruckner a trouvé une formule concise pour décrire ce phénomène, qui, dit-il, n’est rien d’autre qu’une forme de « guerre culturelle mondiale contre la race blanche » : « La seule identité encore autorisée pour les Blancs est l’identité de contrition » (10 septembre 2021).

Il pense au succès fulgurant des théories communautaristes dans les campus. Mais il pense également au monde des médias et de la culture, où cette idéologie commence à s’incruster et, parfois, à prendre à le pouvoir.

Quand cette évolution a commencé chez nous il y a quelques années, j’étais convaincu que la France – pays de Descartes, de Voltaire et de Jaurès – allait faire de la résistance contre ce ramassis de théories intellectuellement souterraines et aux antipodes d’à peu près toutes les valeurs de la République. Dans un élan d’optimisme naïf, j’avais pensé à Astérix et Obélix : « Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée… »

Mes aventures personnelles à l’IEP de Grenoble m’ont définitivement appris que les Gaulois d’aujourd’hui ne sont pas si « irréductibles » que ça. Au contraire. Trop de cerveaux sont déjà infectés par les virus divers et variés de cette idéologie en train de se propager dans toutes les sphères d’influence. Où est le vaccin qui stoppera cette pandémie?

*

Malgré cet état de fait inquiétant, je ne peux m’empêcher de découvrir dans l’affaire de l’IEP – et surtout dans les très nombreuses réactions qu’elle a suscitées – quelques raisons d’espérer :

– Des journalistes de tous bords lui ont consacré un nombre infini d’articles, de plateaux de télé, de débats et d’interviews (voir mon blog).

– De nombreux intellectuels et chercheurs de premier plan et issus de plusieurs disciplines (politologues, sociologues, islamologues, philosophes, etc.) ont été inspirés par cette affaire pour soumettre aux Français leurs réflexions.

– Un professeur d’allemand « fasciste et islamophobe », absolument inconnu jusqu’ici, a reçu près de 4 000 mails et autres messages de soutien des quatre coins du monde, la plupart venant de parfaits anonymes et issus de tous les milieux de la société française.

L’élément le plus encourageant de toutes ces réactions prises ensemble, c’est que, globalement, un très large consensus y a été exprimé.

Cet étonnant consensus m’inspire une première hypothèse : si la dispute entre deux enseignants totalement inconnus du public autour d’un concept controversé et mal défini a eu pour effet de susciter la curiosité de millions de Français et de déclencher un débat national profond et prolongé, alors cette affaire a dû faire vibrer une corde sensible dans le psychisme à fleur de peau de notre société. Cette corde sensible a trait, il n’y a pas de doute, au malaise grandissant dans le domaine de la liberté d’expression.

Personnellement, je suis convaincu que, dans l’affaire de l’IEP de Grenoble, les citoyens français ont trouvé une véritable démonstration de ce qu’ils soupçonnaient depuis longtemps : sous leurs yeux, le droit d’exprimer librement ce qu’ils pensent – pièce maîtresse de notre démocratie – se réduit chaque jour comme peau de chagrin.

Leurs opinions les plus sincères et frappées au coin du bon sens, l’expression de leurs inquiétudes les plus légitimes, et jusqu’à la défense des valeurs qui sont au cœur même de ce qu’est la France, sont de plus en plus étroitement surveillées, critiquées, violemment remises en question, voire réduites au silence par des forces occultes qui ressemblent étrangement à ce qu’évoque en nous l’expression « Big Brother ».

Dans le monde orwellien de 1984, les représentants de ces forces mystérieuses – que personne ne voit jamais – représentent à peine « 2 % de la population et portent tous des lunettes ». Il va sans dire qu’ils exécutent leurs basses œuvres en dehors de tout cadre légal. Leur moyen répressif de choix est l’intimidation. Comme ce moyen est d’une efficacité redoutable, le recours à la violence physique est rarement nécessaire.

Leurs verdicts, qui sont prononcés sans appel, ne sont pas rendus par de vrais tribunaux. Dans le monde d’aujourd’hui, leur domaine de prédilection est constitué par les réseaux sociaux, un monde anonyme et irresponsable.

J’ajoute une seconde hypothèse : si l’affaire de l’IEP de Grenoble a pu prendre une telle ampleur, c’est qu’une partie grandissante des Français, à tous les niveaux de la société, commence à se révolter contre ces nouvelles formes d’oppression et que nous assistons du moins à une timide prise de conscience collective des dangers qui nous menacent.

Peut-être commençons-nous, lentement mais sûrement, à réaliser que les clowns qui nous terrorisent avec leur jargon à dormir debout songent sérieusement à remplacer nos libertés par une tyrannie.

Extrait du livre de Klaus Kinzler, « L’islamogauchisme ne m’a pas tué », publié aux éditions du Rocher

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