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Le président français Emmanuel Macron et le dirigeant américain Joe Biden marchent ensemble après la photo de famille au début du sommet du G7 à Carbis Bay, le 11 juin 2021.
Le président français Emmanuel Macron et le dirigeant américain Joe Biden marchent ensemble après la photo de famille au début du sommet du G7 à Carbis Bay, le 11 juin 2021.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Diplomatie

Joe Biden s’est lancé dans une grande tournée européenne. Alors que son élection avait suscité les espoirs d’une lune de miel retrouvée après la présidence Trump, ses 10 premiers mois au pouvoir ont douché les espoirs.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Atlantico : Joe Biden entame une nouvelle tournée diplomatique en Europe. Comme l’écrit Gilles Paris dans Le Monde, « Joe Biden avait claironné le retour d’un leadership américain, mais ce dernier tarde à se manifester ». Est-ce l’occasion pour l’Union européenne d’accepter l’idée d’un retrait désintérêt étatsunien vis-à-vis du vieux continent ? A quel point la désillusion a-t-elle été forte après 10 mois de présidence Biden ?

Cyrille Bret : En un an, les Européens sont passés d’un enthousiasme excessif à une amertume impuissante concernant la présidence Biden. A l’automne 2019, les Européens avaient appelé de leurs vœux l’élection de Joe Biden contre le président sortant, Donald Trump. L’espoir a cédé la place au soulagement dès la période de transition entre novembre et janvier. Le candidat Biden avait en effet promis le respect à ses alliés européens et asiatiques durant toute sa campagne. J’avais alorssignalé combien les espoirs placés dans Joe Biden étaient excessifs. Joe Biden est bien plus sympathique que Donald Trump. Son attachement au lien transatlantique est réel. Toutefois, comme tout président américain, il a pour premier objectif la défense et la promotion des intérêts nationaux américains, pas ceux des Européens.

La tournée d’automne de Joe Biden en Europe sera bien différente de sa tournée de printemps durant laquelle il avait rencontré les chefs d’États et de gouvernements de l’OTAN et de l’Union européenne. Aujourd’hui, les Européens ont constaté que le retour des Eatts-Unis dans les affaires du monde serait concentré sur l’Asie et donnerait la priorité à la rivalité avec la Chine. Ils devraient se résoudre à affronter l’évidence : la présidence Biden ne compte pas s’investir outre mesure dans les zones et les dossiers qui sont d’intérêt essentiel pour les Européens : les relations avec la Russie, l’instabilité au Moyen-Orient, la déstabilisation du nord de l’Afrique… Toutefois, la fin de la lune de miel intervient à un moment peu propice à cette prise de conscience : d’une part, la transition gouvernementale en cours à Berlin laisse l’Allemagne sans véritable voix sur la scène internationale, d’autre part, la France entre en campagne électorale et sera donc moins extravertie et enfin plusieurs gouvernements européens continuent à nourrir des illusions atlantistes infondées comme la Pologne.

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Aujourd’hui la désillusion est forte à Paris ou à Berlin mais elle ne peut pas se traduire en une prise de conscience européenne générale.

Gérald Olivier : Quand Biden évoque un retour des Etats-Unis sur la scène internationale, il parle en réalité d’un retour au sein des instances internationales.

Il s’agit notamment d’un retour au sein de l’accord de Paris sur le climat, d’une éventuelle remise en place de l’accord vis-à-vis de l’Iran sur le nucléaire, ou encore de la réintégration des États-Unis au sein de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Biden souhaite que les États-Unis réintègrent le jeu international et mette en avant leur diplomatie, plutôt que leur puissance militaire. Ce retour sur la scène diplomatique s’accompagne de la poursuite d’un retrait du terrain militaire. Le départ précipité d’Afghanistan en est l’illustration.  Les États-Unis n’ont plus l’intention d’être les gendarmes du monde et d’envoyer leurs soldats se battre loin du continent américain.

Il est temps que les Européens réalisent que la Guerre Froide est terminée depuis trente ans et qu’à l’heure où les Etats-Unis se désengagent de certains théâtres, eux en profitent pour se désengager des Etats-Unis… La raison voudrait que les Européens bâtissent enfin cette Europe de la Défense dont  ils parlent depuis trente. L’expérience passé porte à penser qu’il n’en sera rien. La protection de l’Otan est beaucoup trop pratique et beaucoup trop bon marché pour qu’ils y renoncent.

Le président américain Joe Biden a d’ailleurs renouvelé l’engagement des Etats-Unis dans le cadre de l’article 5 de la charte de l’OTAN, engagement que Donald Trump avait, un temps, mis en doute, et les Européens se sentent parfaitement rassurés.

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Cyrille Bret : Les Etats-Unis constituent pour les Européens un allié tout désigné pour affronter les différents défis contemporains. L’interpénétration des économies européennes et américaines, la proximité des systèmes politiques, la fascination culturelle mutuelle et les échanges multiples entre sociétés civiles ont créé depuis deux siècles des liens extrêmement puissants entre les deux rives de l’Atlantique. En revanche, l’atlantisme béat surestime le « besoin d’Amérique » des Européens. Les Européens se sont largement reposé sur les Etats-Unis pour la révolution numérique et ils continuent à dépendre des GAFAM pour bien des infrastructures et services dans le domaine. De même, dans le domaine militaire, bien des Etats européens ont placé leur confiance dans la protection américaine presque davantage que dans leurs propres forces armées. C’est encore le cas de l’Allemagne, de la Pologne ou encore de la Tchéquie.

Quant il s’agit du « besoin d’Amérique », il convient de bien distinguer entre l’addiction irrationnelle et les convergences réelles. Aujourd’hui, les Européens ont besoin des Etats-Unis dans bien des domaines technologiques, militaires et financiers. Mais ils ont également un besoin urgent de prendre conscience de l’asymétrie de la relation avec Washington. Les priorités américaines depuis la présidence Obama concernent l’Asie et non l’Europe. Tout attendre de Washington est le chemin le plus court vers l’amertume géopolitique.

Gérald Olivier : L’Union européenne n’a pas les moyens de se passer des États-Unis, que ce soit d’un point de vue politique, économique ou militaire.

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En dehors des pays de l’Union européenne, les Etats-Unis sont le premier partenaire commercial de nombreux pays européens, la France en tête.

Le marché américain et le marché européen sont les deux plus gros marchés mondiaux, entre les deux blocs les plus riches de la planète.

C’est une relation économique privilégié et essentielle, qui se double d’un relation culturelle et stratégique.

Sur le plan de la défense, il revient beaucoup moins cher aux états européens de se reposer sur la protection américaine que de financer leur propre protection. La France est la seule véritable puissance militaire de l’Europe continentale (hormis la Russie bien sûr, mais celle-ci occupe l’espace eurasiatique).

Sur le plan économique, grâce à son marché intérieur, à quel point l’Union européenne a-t-elle besoin de l’extérieur et des Etats-Unis en particulier ?

Cyrille Bret : Le commerce est non seulement un pilier essentiel de la relation transatlantique mais également un des moteurs de l’économie mondiale car il représente à lui seuil plus de 40 % du commerce mondial en 2021. Il assure 8 millions d’emplois et est extrêmement diversifié. Pour assurer son autonomie stratégique dans les domaines militaires, médicaux ou informatiques, l’Europe n’a pas besoin de renoncer à ses exportations et à ses importations vers les Etats-Unis en général. Elle doit plutôt protéger certains de ses intérêts-clés. En matière numérique, elle doit résolument combler son retard par l’intermédiaire de la taxation des GAFAM mais surtout de l’investissement interne . Dans le domaine juridique, les Européens doivent également contrer l’ambition américaine d’imposer toutes leurs normes hors leur propre territoire. C’est de stratégies sectorielles ciblées dont les Européens ont besoin, pas d’un protectionnisme généralisé – il se ferait à leur détriment en les privant d’un marché où ils ont des positions fortes.

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Gérald Olivier : Nous sommes dans un monde globalisé, un pays qui aspire à une position de puissance ne peut se contenter de relations régionales. Les États-Unis et l’Europe sont des partenaires majeurs. Les États-Unis sont le premier partenaire commercial de l’Europe. C’est un client de premier ordre pour l’Allemagne, notamment pour son industrie automobile et électronique. L’Europe et les États-Unis sont les deux blocs les plus développés et les plus riches du monde. Ils ont donc besoin d’une relation commerciale apaisée et ouverte. L’Europe représente d’ailleurs une quantité non négligeable des exportations américaines. La France n’est que le 5ème client des États-Unis mais ils restent des partenaires extrêmement importants.

Sur le plan militaire, dans quelle mesure l’Europe a-t-elle besoin des Etats-Unis ? Faut-il distinguer leur capacité à répondre aux menaces sur leur territoire, par exemple face à la Russie, de leur capacité de projection dans des théâtres d’opérations extérieures ?

Cyrille Bret : Dans ce domaine, les Européens ont surtout besoin de développer leurs propres objectifs stratégiques, leurs propres capacités et leurs propres opérations. Les capacités américaines de projection à l’extérieur sont à la fois quantitativement et qualitativement incomparables. Mais les Européens sont pris dans un cercle vicieux : plus ils comptent sur les Etats-Unis moins ils comptent sur eux-mêmes.

Gérald Olivier : Militairement, l’Europe a 100% besoin des États-Unis. Il n’existe pas d’armée européenne. Les capacités de projection de l’Europe sont extrêmement limitées. Les États-Unis ont d’ailleurs un certain dédain vis-à-vis des armées européennes, à l’exception de l’armée française. Quelles que soient les relations entre la France et les États-Unis, il y a un véritable respect de la part des militaires américains envers leurs homologues français, parce qu’ils reconnaissent leur savoir-faire, leur expérience du terrain et leurs capacités d’adaptation. .

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Si on considère qu’il existe encore un espace que l’on peut appeler « le monde occidental », dont les nations partagent certaines valeurs comme l’attachement à une économie de marché, le respect des libertés individuelles, l’idée d’un gouvernement du peuple par le peuple, à l’opposé d’Etat autoritaires , ou totalitaires, comme peuvent l’être la Russie ou la Chine, alors on pourrait concevoir une approche commune entre les Etats-Unis et l’Europe face à ces adversaires. C’est justement ce que souhaitent les États-Unis. Mais l’Europe ne voit pas les choses de la même façon et considèrent, par exemple,  la Chine, comme un partenaire d’avenir, qui peut leur permettre de gagner beaucoup d’argent et qu’ils ne perçoivent pas comme un adversaire existentiel…  

En retour, ce que l’on peut reprocher aux Etats-Unis, est une tendance à ne pas prendre les pays européens en considération. Dès le début des années 2000, les États-Unis ont mis en place une alliance politique et militaire avec l’Australie, l’Inde et le Japon, avec la zone indo-pacifique en ligne de mire. Cette alliance quadrilatérale existe toujours. La logique aurait voulu que la France, qui est une puissance légitime de l’indo-pacifique de par ses posessions d’outre-mer, soit invité à être un partenaire de cette alliance. Il n’en a rien été. Idem à présent avec l’Aukus ! Les Etats-Unis se sont repliés sur le monde « anglo-saxons » en ignorant leurs partenaires légitimes de l’Europe continentale. C’est une erreur stratégique, qui masque aussi des rivalités économiques. Les Américains auraient dû intégrer la France dans cet accord mais ne l’ont pas fait, parce que la France et aussi un concurrent sur le marché des ventes d’armes, que c’est une puissance nucléaire autonome et que les Français marchent rarement au rythme du pas américain….

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