6% sur le prix des cigarettes : une recette fiscale immédiate qui oublie l'impact de la stimulation de la contrebande sur le coût social global du tabac<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Cette nouvelle augmentation des prix de cigarettes permet au gouvernement d'espérer faire rentrer plus d'un milliard d'euros en un an.
Cette nouvelle augmentation des prix de cigarettes permet au gouvernement d'espérer faire rentrer plus d'un milliard d'euros en un an.
©DR

Mauvais calcul

A compter de ce lundi, plus aucun paquet ne sera vendu à moins de 6,10 euros. Une hausse qui devrait rapporter plus d'un milliard d'euros par an à l'Etat. Mais à long terme, cette augmentation ne rapportera rien à la collectivité, les coûts sociaux du tabagisme étant supérieurs aux taxes récoltées.

Benoist  Rousseau

Benoist Rousseau

Benoist Rousseau est informaticien et historien économiste diplômé de l'Université Paris Sorbonne.

Il partage sur Andlil.com sa vision iconoclaste sur l'économie et les marchés financiers. Ancien professeur d'histoire, il dirige une société de conseils en informatique tout en étant un blogueur actif et un trader en compte propre.

Voir la bio »

L'augmentation du prix du paquet de cigarettes est un sujet récurrent en France : l'Etat sous couvert de politique de santé publique augmente régulièrement les taxes sur le tabac. Ainsi, depuis 2001, le prix d'un paquet de cigarettes a augmenté de plus de 100%, passant d'un peu plus de 3 euros à 6,10 euros l'unité pour le moins cher et 6,60 euros l'unité pour le plus cher avec la nouvelle augmentation applicable au 1er octobre 2012. Durant le même laps de temps l'inflation cumulée n'est que de 23,2%.

Ces taxes ont rapporté 13,8 milliards d'euros à l'Etat en 2011, soit trois fois plus que l'ISF. Nous pouvons alors légitimement nous poser cette question : est-ce que l'Etat a vraiment intérêt à lutter contre le tabagisme ? Surtout en cette période de crise où il faut trouver de l'argent coûte que coûte.

Ainsi cette nouvelle augmentation permet au gouvernement d'espérer faire rentrer plus d'un milliard d'euros en un an (les taxes et droits à la consommation représentent 80,39% du prix d'un paquet de cigarettes) sans provoquer de trop vives protestations puisque ce type de mesures est systématiquement présenté comme une mesure de salubrité publique.

Mais dans la réalité cette augmentation est calibrée par Bercy plutôt que par le ministère de la Santé. En effet, selon l'OMS (1), seule une augmentation de l'ordre de 10% du prix du paquet de cigarettes permet de réduire la consommation de tabac. Ainsi les fortes augmentations du tabac en 2002 et 2004 ont eu un impact réel. "C'est de l'ordre de 1,8 million de fumeurs qui s'étaient arrêtés sur moins de deux ans alors que les recettes fiscales augmentaient sur la même période de 6,7%", "la France n'a pas défini d'objectifs de santé publique pour sa fiscalité laissant ainsi Bercy seul à la manœuvre...", souligne le député UMP Yves Bur (2). En effet, depuis 2004, la politique fiscale des produits du tabac s'est limitée à de faibles augmentations (inférieures à 10%) permettant de conserver le vivier des fumeurs. La part des fumeurs quotidiens a même augmenté de deux points entre 2005 et 2010, passant de 27,1% à 29,1% de la population. Nous sommes donc en pleine hypocrisie étatique.

Et pourtant, la lutte contre le tabagisme devrait être une priorité majeure. Le tabac tue selon les estimations moyennes 66 000 personnes prématurément par an en France (et 5 millions dans le monde). Ces chiffres ne veulent rien dire dans l'absolu, nous avons du mal à nous représenter cette réalité. En comparaison, le nombre de tués sur les routes de France a été de 3 994 en 2010, soit 16 fois moins, mobilisant pourtant considérablement l'énergie des pouvoirs publics. Nous avons la sensation que l'insécurité routière est une priorité plus médiatique que la lutte contre le tabagisme. Il est vrai qu'un accidenté ne rapporte rien. Osons enfin une comparaison qui a le mérite de frapper les esprits : les historiens évaluent entre 540 000 et 600 000 les pertes civiles et militaires françaises durant la Seconde Guerre mondiale. Tous les 9 ans, le tabac tue prématurément autant de français, le bilan d'une guerre.

Au-delà de la vision à court terme du gouvernement, faire entrer rapidement de l'argent sans décourager réellement les fumeurs, il nous faut nous poser la question du coût réel du tabac pour notre société, est-ce une si bonne affaire pour les caisses de l'Etat ?

Le coût social du tabac, autrement dit la somme des coûts directs et indirects supportée par la collectivité en raison de l'existence même du tabac (cancers, arrêt maladies...), a été évalué à 47,7 milliards d'euro en 2003.

Des études, telles que les recherches de Philippe Fénoglio et de Pierre Kopp (3), montrent que le tabac ne rapporte rien à la collectivité, les coûts sociaux du tabagisme étant supérieurs aux taxes récoltées par l'Etat... et étant évalués en hypothèse moyenne à 1,1% du PIB (en comparaison le coût social des drogues illicites s'élève à 0,16% du PIB). Des études canadiennes et suisses vont dans ce sens, évaluant l'impact du tabagisme entre 1,5% et 2% du PIB.

Cyniquement, il est pris en compte dans ces calculs que certains fumeurs décèdent précocement (un fumeur régulier sur deux meurt prématurément des suites de son tabagisme, dont la moitié avant l'âge de 65 ans), c'est-à-dire avant d'avoir profité de leurs années de retraite, ce qui soulage un peu la note. Ainsi, le mythe du fumeur vache à lait de l'Etat s'effondre. Un fumeur en moyenne coûtera donc plus cher à la collectivité qu'il ne "rapportera", d'autant plus que les achats transfrontaliers de cigarettes (4) sont en forte progression ainsi que le trafic de cigarettes (5) où l'Etat ne perçoit pas ses taxes.

Et la situation pourrait bien s'aggraver. La génération des femmes nées entre 1945 et 1965 est celle de l'émancipation féminine, qui s'est accompagnée d'une entrée dans le tabagisme. La consommation "tardive" de tabac par les femmes, historiquement en France, laisse supposer que le coût social du tabac pourrait augmenter considérablement dans les prochaines décennies. En effet, l'Inpes relève que l'augmentation du nombre de fumeurs en 2010 apparaît "particulièrement forte, de 7 points chez [les femmes] âgées de 45 à 64 ans (passant de 16,0 % à 22,5 %)" (6).

Les bénéfices pour les finances publiques du tabagisme sont sujets à de très fortes réserves pour le long terme, le gouvernement se concentre essentiellement sur les rentrées fiscales à court terme sans réellement prendre conscience qu'il amorce une bombe à retardement, mais le principe de réalité finira par s'imposer, comme pour les retraites...

Sources et références bibliographiques :

  1. (1) ARC/CIRC, Methods for evaluating tobacco control policies, IARC handbooks of cancer prevention, vol 12, 2008
  2. (2) Rapport Parlementaire du député Yves Bur, Propositions pour une nouvelle politique de lutte contre le tabac, Février 2012
  3. (3) Kopp P., Fenoglio P., Le coût social de l'alcool, du tabac et des drogues illicites en France, Ofdt, 2000
  4. (4) Ben Lakhdar C., Lermenier A., Vaillant N., Estimation des achats transfrontaliers de cigarettes 2004-2007, Ofdt, 2011
  5. (5) DGDDI, Bilan annuel Douane 2011, conférence de presse du 26 janvier 2012, DGDDI
  6. (6) Beck F., Guignard R., Richard J-C., Wilquin J-L, Evolutions récentes du tabagisme en France, Inpes, 2011

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !