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30 ans d'espérance de vie supplémentaires en un siècle : merci qui ?
©Reuters

Ad vitam æternam

L'espérance de vie en 1913 était de 50,45 ans en France, en 2013 elle a atteint 81,8 ans. Et pour 2014, l'Ined prévoit une hausse à 81,9 ans.

Gilles  Pison

Gilles Pison

Gilles Pison est démographe, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, conseiller de la direction de l’INED (l’Institut National d’Etude Démographique). Gilles Pison a publié « Atlas de la population mondiale » aux éditions Autrement. 

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Atlantico : L'espérance de vie moyenne en 1914 était d'environ 35 ans en France. Un chiffre très bas en raison de la mortalité des soldats partis au front – en effet, un an auparavant, l'espérance de vie moyenne était de 50,45 ans. Aujourd'hui, l'espérance de vie moyenne a atteint les 81,8 ans (2013), toujours en France. Et pour cette nouvelle année, l'Ined prévoit 81,9 ans. C'est un peu plus de 30 ans de gagné sur la mort. De manière globale, l'espérance de vie s'améliore partout en Europe. Quelles innovations médicales ont permis une telle évolution ?

Gilles Pison : Si l’espérance de vie à la naissance a augmenté de plus trente ans en France  au cours des cent dernières années, c’est d’abord grâce à la baisse de la mortalité infantile.  En 1913, plus d’un nouveau-né sur dix mourrait avant d’atteindre son premier anniversaire (116 pour mille), un niveau qu’on n’observe plus aujourd’hui que dans les pays africains détenant les records mondiaux de mortalité infantile comme la Centrafrique (116 pour mille) ou la Sierra Leone (128). Son niveau a depuis été divisé par près de trente en France, seulement un nouveau-né sur 300 mourant aujourd’hui avant un an (3,3 pour mille en 2012). Cette formidable baisse tient aux succès de la lutte contre les maladies infectieuses, principales causes de décès d’enfants autrefois, grâce notamment aux vaccinations et aux antibiotiques, la baisse se poursuivant aujourd’hui avec les progrès de la néonatalogie.

La mortalité des adultes n’a-t-elle pas évolué elle aussi ?

La mortalité infantile est si basse qu’elle ne représente plus désormais qu’une part infime de la mortalité, et même si son recul se poursuit, il n’a quasiment plus d’effet sur l’espérance de vie. Celle-ci ne progresse qu’en raison des succès rencontrés dans la lutte contre la mortalité adulte, en particulier aux âges élevés où se concentrent de plus en plus les décès. Les progrès dans ce domaine sont relativement récents : au milieu du XXe siècle, l’espérance de vie à 60 ans était encore proche de son niveau du XIXe, notamment du côté masculin : un homme de 60 ans pouvait espérer vivre encore 13 à 14 ans. Ce n’est qu’après la fin de la deuxième guerre mondiale qu’elle commence à augmenter chez les hommes, les progrès s’accélérant ensuite jusqu’à atteindre 22,6 ans en 2012, soit 7 ans de plus qu’en 1962. La progression a commencé plus tôt chez les femmes, dès les premières décennies du XXe siècle, et elle s’est accélérée aussi après 1945 jusqu’à atteindre 27,2 ans en 2012, soit 7,6 ans de plus qu’en 1962.

Au milieu du XXème siècle, les maladies infectieuses étaient encore la cause d’une partie importante des décès d’adultes et de personnes âgées. Leur recul a entraîné une augmentation sensible de l’espérance de vie à 60 ans. Mais, comme pour les enfants, la part de ces maladies dans la mortalité totale a beaucoup régressé et les gains à attendre de la poursuite de leur recul est faible. Les maladies cardio-vasculaires et les cancers sont désormais les principales causes de décès à ces âges. Et ce sont les succès rencontrés dans la lutte contre ces maladies qui ont fait reculer la mortalité des adultes et des personnes âgées à partir des années 1970, et fait progresser l’espérance de vie. La mortalité due aux maladies du cœur et des vaisseaux a fortement diminué depuis un demi-siècle grâce aux progrès de la prévention et des traitements. La mortalité par cancer, qui avait augmenté, régresse maintenant grâce aux diagnostics plus précoces et au recul des comportements à risques comme le tabagisme et l’alcoolisme.

Chaque année on note un écart entre l'espérance de vie des femmes et celle des hommes. Comment expliquer cette inégalité démographique ?

Les femmes vivent en moyenne près de cinq ans de plus que les hommes dans le monde - en 2013, leur espérance de vie à la naissance est de 72,5 ans contre 68,0 pour les hommes. Tout au long de la vie, les hommes prennent plus de risques que les femmes et ont plus fréquemment des comportements nocifs, notamment ils fument plus et boivent plus d’alcool. Ils sont en général moins attentifs à leur santé et fréquentent moins souvent les médecins. Si les femmes sont plus familières du suivi médical, c’est d’abord parce qu’elles s’occupent traditionnellement des enfants et les emmènent se faire vacciner ou consulter. Elles ont aussi plus souvent l’occasion de consulter pour elles-mêmes, pour la contraception ou le suivi gynécologique.

Mais on observe aussi que cet écart tend à se réduire. Quels phénomènes permettent cet ajustement entre les espérances de vie féminine et masculine ?

Dans les pays développés, l’inégalité entre les sexes s’est d’abord creusée au cours du XXe siècle, l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes ayant atteint par exemple plus de 8 ans en France dans les années 1980. Mais l’avantage féminin a commencé à se réduire récemment, d’abord dans les pays anglo-saxons et nordiques, puis en France et dans les pays méditerranéens. Il n’est plus que de  6,4 ans en France en 2012, l’espérance de vie atteignant 84,9 ans pour les femmes et 78,5 ans pour les hommes. L’espérance de vie progresse désormais plus vite chez les hommes : la mortalité par cancer liée au tabac diminue chez eux et ils adoptent les comportements féminins favorables à la santé.

Nous vivons plus longtemps, mais pas forcément mieux, notamment en raison des maladies chroniques. Vivre en 2014, est-ce finalement plus pénible qu'il y a un demi-siècle ?

Une personne de 60 ans vivant aujourd’hui est en meilleure santé qu’une personne de même âge vivant il y a cinquante ans, et c’est vrai à tous les âges. La durée de vie s’est allongée, les années gagnées étant des années en bonne santé. Pour une partie des personnes, la fin de vie s’accompagne d’une période d’incapacités et de dépendance dont la durée moyenne ne semble pas s’être allongée. Cela dit, il est souvent difficile de distinguer la "bonne" de la "mauvaise santé". La frontière n’est pas toujours nette entre les deux. Dans les enquêtes qui cherchent à mesurer l’état de santé de la population, et notamment à mesurer la proportion de personnes en bonne et en mauvaise santé, on se fie en général aux déclarations des intéressés quand on leur pose la question : "êtes-vous en bonne santé ?". Mais utilise-t-on aujourd’hui les mêmes critères qu’il y a cinquante ans pour apprécier sa propre santé ?  Malgré les efforts pour améliorer l’outil de mesure, il reste imparfait pour repérer les tendances de long terme.

La science progresse de jour en jour et les scientifiques travaillent sur les molécules en cause dans le vieillissement. Est-ce à dire que nous pouvons espérer l'immortalité ? Quel serait l'âge culminant de cette évolution au-dessus duquel il semble peu probable de vivre ?

Dans les pays développés, l’espérance de vie arrive à des niveaux très élevés que jamais nous n’imaginions atteindre il y a encore peu. L’idée a en effet longtemps été que les progrès allaient buter sur un plafond. Pourtant, l’espérance de vie continue de progresser y compris dans les pays où elle est la plus élevée. On gagne par exemple trois mois par an d’espérance de vie en France, grâce à la lutte pour enrayer la montée des maladies de civilisation (accidents de la circulation, alcoolisme, tabagisme) et aux succès remportés contre les maladies vasculaires comme déjà mentionné, les courbes de mortalité par cancer ayant de leur côté commencé à s’inverser pour certains d’entre eux.

Quand les gains à attendre de ces progrès seront épuisés, la hausse de l’espérance de vie ne pourra se poursuivre que si on gagne sur d’autres terrains. Il n’est pas exclu que l’on découvre des molécules retardant le vieillissement biologique, ou que l’on puisse guérir des maladies grâce à des thérapies géniques. Mais les innovations technologiques futures, comme celles qui ont permis dans le passé de lutter contre les maladies infectieuses et les maladies de civilisation, ne seront susceptibles d’allonger encore plus l’espérance de vie que si elles bénéficient au plus grand nombre.

Cette évolution démographique vers la hausse ne met-elle pas en péril la pérennité de notre système social ?

L’allongement de la vie entraîne un vieillissement de la population. Il est inéluctable, et au lieu de se lamenter, mieux vaudrait adapter nos sociétés à cette évolution. On ne va quand même pas se plaindre parce que notre espérance de vie a augmenté de plus de trente ans depuis un siècle ! On pourrait déjà commencer par changer notre regard sur les âges de la vie et intégrer les évolutions récentes. Aujourd’hui, dans les pays industrialisés, les jeunes font des études de plus en plus longues. Par conséquent, ils entrent plus tard dans la vie dite active. Et par ailleurs à 60-65 ans, beaucoup de seniors sont encore en pleine forme. Être vieux est une convention sociale et culturelle avant d’être une réalité biologique. La vie, particulièrement en France, est très cloisonnée : l’école, les études, l’emploi puis la retraite. Alors que l’on pourrait imaginer un temps d’activité plus long mais entrecoupé de périodes de formation, comme cela se fait plus facilement en Allemagne par exemple.

Notre système de retraite n’est pas vraiment menacé. En axant notre économie sur les services et la consommation des seniors et en jouant sur les taux de cotisation, le niveau des pensions et l’âge de départ en retraite d’autre part, on devrait y arriver. Le véritable défi se situe dans les pays du sud, où la population a commencé à vieillir, et où le vieillissement va être très rapide, plus rapide qu’au Nord. Or, comme chez nous, les jeunes n’ont pas du tout l’intention de prendre en charge leurs aînés. Si la solidarité familiale s’érode, il faut impérativement que la solidarité collective prenne le relais. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Les États doivent s’en préoccuper dès maintenant si l’on veut éviter que les adultes d’aujourd’hui ne finissent leur vie dans la misère quand ils seront âgés.

Pour en savoir plus :

France Meslé – « Espérance de vie : un avantage féminin menacé ? »Population et Sociétés, juin 2004, 402

Gilles Pison – « France 2004 : l'espérance de vie franchit le seuil de 80 ans. »Population et Sociétés, mars 2005, 410

Jacques Vallin, France Meslé – « Espérance de vie : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ? »Population et Sociétés, décembre 2010, 473

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