3 arguments pour comprendre pourquoi ceux qui veulent s’attaquer à l’ultra richesse et à l’accaparement passent à côté du sujet <!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestation du mouvement Extinction Rebellion, sur le site d'un magasin Nature & Découvertes.
Une manifestation du mouvement Extinction Rebellion, sur le site d'un magasin Nature & Découvertes.
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Bon adversaire ?

Les activistes du climat appellent de plus en plus à s’attaquer à l’ultra richesse. La taxation des ultra-riches et des super profits serait, selon eux, la solution pour répondre aux besoins socio-économiques et climatiques contemporains.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Libération publiait, ce mercredi 17 mai 2023, une interview de l'activiste Camille Etienne, connue notamment pour son engagement en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique. Dans les colonnes du quotidien, elle appelle à un soulèvement écologique capable de faire converger classes sociales diverses et générations multiples. Ce dernier, insiste-t-elle, serait impossible "si on ne demande plus à ce qui peuvent le plus". Et elle d'ajouter : "Qu'est-ce qu'on attend pour s'attaquer à l'ultrarichesse, à l'accaparement ?" Ce genre de discours semble de plus en plus récurrent dans la sphère politique. Que faut-il en penser, selon vous ? S'en prend-on au bon adversaire ?

Pierre Bentata : C'est pour moi une illustration d'une pensée illusoire: on suppose dès le départ qu'il existe un lien évident et très fort entre l'existence d'ultrariches et le changement climatique. Sans préciser ce lien d'un point de vue logique ou théorique, on se met alors à considérer qu'il suffit que les ultrariches soient moins riches pour que l'environnement soit mieux protégé. Et dans cette croyance, on ne fait même pas l'effort de définir les termes et les méthodes. C'est donc un pur slogan, une pensée creuse; ou pour être plus précis, l'illusion d'une pensée. Car si on leur demandait concrètement comment la fin de l'ultrarichesse permettrait de répondre au défi climatique, ils n'auraient précisément rien à dire. Et pour cause, il n'y en fait aucun lien entre l'existence des premier et la persistance du second. 

Les défenseurs d'un "nécessaire" combat contre "l'ultra richesse" et l'accaparement appuient leurs discours sur différents arguments, allant de l'accroissement des inégalités à la finalité des ressources mondiales, entre autres. Au-delà des erreurs, de l'éventuelle mauvaise foi et des potentielles approximations, quels sont les arguments et les chiffres qu'il est possible de leur opposer ?

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- Argument 1 : 

Une étude de Stephen Morse portant sur 180 pays, publiée dans Sustainable Development en 2017 (Relating environmental performance of Nation States to income and income inequality), observe que les relations entre niveaux de revenus, inégalités et performance environnementale sont complexes: il y a existe une corrélation entre le niveau de revenu par habitant et la performance environnementale, mais celle-ci n'est pas linéaire; à partir d'un certain niveau de richesse, la corrélation s'affaiblit. De même, il existe une corrélation entre la distribution des revenus et la composante sanitaire de la performance environnementale, mais celle-ci s'avère très faible pour les pays les plus riches et les plus égalitaires. Et plus contre-intuitif encore, il n'y a pas de corrélation entre la vitalité des écosystèmes et les inégalités de revenu. 

Autrement dit, affirmer que les inégalités ont un impact sur la protection de l'environnement n'a pas de fondement scientifique, et pour l'heure, c'est bien l'augmentation de la richesse par tête qui semblerait avoir une influence positive sur les écosystèmes. Les défenseurs de l'environnement, de la biodiversité, et de l'écologie devraient donc se concentrer sur des propositions visant à augmenter rapidement les revenus par habitant - donc promouvoir la croissance - et particulièrement dans les pays les plus pauvres. 

- Argument 2 : 

Les inégalités de revenus n'ont pas d'impact direct et univoque sur la qualité de l'environnement. Il en va de même pour le dynamisme économique. Une étude de 2021, publiée dans Environmental Modeling & Assessment, par Eirini Boleti et coauteurs - Economic Complexity and Environmental Performance: Evidence from a World Sample - observe que la complexité d'une économie, définie par la diversité des produits et services vendus à l'étranger, est positivement corrélée aux performances environnementale du pays. Autrement dit, les nations ayant une économie plus ouverte, plus diversifiée, et laissant plus de place à l'entrepreneuriat sont aussi celles qui réussissent le mieux à protéger l'environnement, aussi bien en terme de contrôle des risques sanitaires que de protection de l'habitat et de la vitalité des espèces.

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- Argument 3 :

Si lutter contre les "ultrariches" paraît séduisant - car personne ne se rangeant dans cette catégorie, tout le monde se dit que les taxes pèseront sur les autres - il est nécessaire de s'interroger sur la façon de les définir. En France, pour appartenir aux 10% les plus riches, il faut gagner 3800€ par mois. Est-ce cela qu'on appelle "ultrariches"? Si oui, taxer davantage cette population, qui assume déjà 60% du fardeau fiscal, paraît totalement inutile, car l'excèdent récupéré par une augmentation des impôts ne permettra jamais de mettre en place des politiques environnementales d'ampleur. 

Et si "ultrariches" représente autre chose, alors comment le définir? A lire les promoteurs du ciblage de ces "ultrariches", on suppose qu'ils pensent en réalité aux gens qui se déplacent en jet privé, traverse le globe plusieurs fois par mois et polluent énormément. Combien de personnes cela représente? Deux cents? Cinq Cents? Mille? Quand bien même ce serait plus, leur nombre est si faible que même en les taxant à 100%, les recettes augmenteraient à peine; sauf à effectuer la confusion que répète Oxfam à longueur d'études, qui consiste à croire que les revenus des dirigeants d'entreprises se confondent avec la capitalisation boursière de leurs entreprises cotées. Mais nous avons montré ailleurs que cette approche n'a aucun sens et que par conséquent toute proposition fondée sur cette "vision" doit être ignorer (voir notre rapport dans L'Express, "Oxfam et la loi du plus riche: les 7 erreurs du rapport de l'ONG sur les inégalités", Oxfam et "la loi du plus riche" : les 7 erreurs du rapport de l’ONG sur les inégalités - L'Express (lexpress.fr)

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Nombreux sont ceux qui, en France, demeurent persuadés que les inégalités explosent et que le problème trouve racine dans une mauvaise redistribution des richesses et des gains liés à la croissance. Dans quelle mesure ce type de certitude est-elle raccord avec la réalité des indicateurs ? Ne s'agit-il pas, en soi, d'une erreur ?

Les inégalités sont restées stables depuis plus de dix ans dans la plupart des pays développés. En France, le coefficient de Gini s'élève à 30.7 en 2020 (estimations Banque Mondiale), il s'élevait à 33.7 en 2010 (son plus haut depuis 1990). La tendance est la même dans la majorité des pays développés: une stabilité de la distribution des revenus, voir une baisse des inégalités. Et dans le même temps, sous l'effet de la globalisation, une partie importante de la population chinoise et indienne est sortie de la pauvreté, ce qui a eu pour effet de réduire les inégalités de revenus à l'échelle du monde. 

C'est d'ailleurs ce qu'observait en décembre dernier Branko Milanovic, le père de la "courbe de l'éléphant" qui observait la croissance des revenus par décile de population dans le monde (Global income inequality: time to revise the elephant (socialeurope.eu)) Dans cet article passionnant, il observe que les revenus des plus pauvres augmentent plus rapidement que ceux de la classe moyenne qui augmentent eux-mêmes plus rapidement que ceux des plus riches. Il y a donc un phénomène nouveau depuis 2010: une répartition de plus en plus égalitaire des revenus mondiaux. 

Si la lutte contre les inégalités est l'objectif premier des écologistes, ces derniers devraient donc se féliciter de la situation actuelle et défendre la globalisation et le libre marché.  

Le combat que mène aujourd'hui Camille Etienne, et ses camarades, apparaît-il pertinent tant d'un point de vue économique que du côté écologique ? Ces efforts ne vous apparaissent-ils pas... contre-productifs ?

Au final, l'appel au soulèvement écologique n'est rien d'autre qu'une réactualisation du grand soir. Il fait fi des réalités économiques, et ne propose rien de concret. Ce que les chercheurs en économie nous disent est pourtant assez simple: les relations entre économie et écologie sont complexes et multifacettes, et souvent contre-intuitives. Dans les pays riches, le développement économique et l'innovation jouent un rôle positif: plus les revenus augmentent, plus les écosystèmes sont protégés. Mais cette relation n'a pas la même intensité dans tous les pays et diffère d'un indicateur à l'autre. Cela signifie qu'il n'y a pas de solutions simples pour répondre au défi climatique; mais cela signifie aussi que ce que nous faisons dans les pays riches, et particulièrement en France fonctionne plutôt bien. 

Ainsi, vouloir faire table rase d'un système qui fonctionne pour imposer une nouvelle société dont on ne connaît rien, ni les modalités, ni la structure, ni les impacts économiques et climatiques, semblent davantage relever d'un idéal révolutionnaire dénué de tout rapport à la réalité que d'une véritable volonté d'améliorer les choses. 

Pour cette raison, il m'a toujours semblé que les véritables écologistes étaient du côté de l'innovation technique, de la créativité et du marché; c'est-à-dire du côté d'un Etat de droit et d'un marché libre!

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