3,4% de croissance en Espagne au 3e trimestre : faut-il croire au miracle espagnol (et aux vertus de l’austérité…) ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'Espagne a renoué avec la croissance.
L'Espagne a renoué avec la croissance.
©Reuters

¡ Viva España !

L’Espagne fait aujourd’hui figure de modèle au sein d’une économie européenne encore vacillante. Pourtant, la nouvelle icône des partisans de l’austérité affiche un bilan peu enviable après huit années de crise et nombres d'indicateurs au rouge.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

En quelques mois, l’Espagne est devenue la fierté de la zone euro. Le 31 octobre, l’office national de statistiques publiait les chiffres de croissance du troisième trimestre 2015 ; 3.4%. Il n’en fallait pas plus pour sortir les trompettes et annoncer le renouveau de l’économie espagnole. Une situation que décrivait déjà, voici quelques mois, Angela Merkel, en guise d’encouragements :

"Les succès qui se dessinent en Espagne et en Irlande sont seulement deux exemples de ce qui peut être accompli lorsque des pays prennent des actions résolues avec la solidarité et le support européens"

L’histoire est connue. L’Espagne a été profondément irresponsable durant les années précédant la crise de 2008, et ces excès ont dû être purgés par une bonne dose d’austérité. Grâce à leurs efforts, les espagnols retrouvent aujourd’hui le goût de la croissance et de la réussite. Bravo. Malheureusement, cette histoire ne correspond pas exactement à la réalité.

En premier lieu, si la croissance espagnole atteint 3.4% en ce troisième trimestre 2015, le PIB du pays est encore aujourd’hui à un niveau inférieur à celui de 2008, même si l’on tient compte de l’inflation. La baisse atteint encore près de 4%, sur un total de 8 années ; ce qui s’appelle un désastre. 

Evolution du PIB espagnol à prix courants. Espagne (rouge) France (Bleu) et Royaume Uni (vert). 2008-2015. En %

A titre de comparaison, et malgré une situation peu reluisante, la France affiche une progression de son PIB à prix courants de plus de 8%, soit un écart de plus de 12 points entre les deux pays, à l’avantage de la France. Concernant le Royaume Uni, le total de croissance (à prix courants) dépasse les 20% depuis 2008.

De plus, si l’on cherche à comparer le rythme de croissance espagnol avant et après crise, l’écart devient alors gigantesque :

PIB à prix courant (rouge) contre tendance de croissance pré-crise (1995-2008)

Pour en arriver là, plusieurs maux sont pointés du doigt. Comme le budget de l’état. Pourtant, et afin de rectifier le postulat de départ, l’Espagne n’a pas été "irresponsable" durant les années pré-crise. La rigueur budgétaire du pays faisait alors plutôt figure de modèle. En effet, il n’est pas inutile de rappeler que les budgets des années 2004, 2005, 2006,  et 2007 ont été excédentaires.(+0%, +1.2%, +2.2% et +2%)

Excédents et déficits budgétaires. Espagne. 1995-2014. En % de PIB

A l’inverse, l’idée que l’Espagne est aujourd’hui devenue un modèle de vertu en terme de gestion de ses déficits laisse songeur. Avec un budget 2014 en déficit de 5.9% par rapport au PIB, le pays est encore très éloigné des canons de beauté fixés par le traité de Maastricht. 

Et cette situation budgétaire peut également se mesurer à l’aune de la dette publique. Car si l’idée d’un pays "cigale" ; lors du beau temps, a encore la vie dure, le fait est que la dette espagnole plafonnait à 35.5% du PIB en 2007, ceci étant le résultat d’une réduction substantielle de l’endettement au cours des années précédentes. Entre l’espace de quatre années, la dette baissait alors de 12.1%.

Dette publique. Espagne. 2003-2014. En % de PIB

Depuis, la crise et les mesures d’austérité et leurs effets récessifs sont passés par là, pour en arriver à une progression de 280% de l’endettement public, passant de 35.5 à 99.3% du PIB pour l’année 2014. En réduisant massivement ses dépenses publiques, le pays a contribué à faire sombrer son économie, ce qui a rendu impossible l’amélioration du ratio "dette sur PIB". En effet, lorsque le dénominateur s’effondre (le PIB), l’action sur le numérateur (la dépense publique) devient inopérante. Et ce n’est pas fini, puisque la commission européenne vient de tirer le signal d’alarme, indiquant que les objectifs du gouvernement espagnol ne seront pas respectés, et que les déficits publics des années 2015 et 2016 devraient respectivement s’afficher à -4.5% et -3.5% en % de PIB. Contre -4.2 et -2.8% selon les engagements initiaux. 

Avec un tel traitement, le "miracle espagnol", sorte d’affiche publicitaire d’une zone euro en mal d’exemples lui permettant de justifier ses erreurs de stratégie économique, n’a rien produit de mieux qu’un taux de chômage supérieur à celui des Etats Unis lors de la grande dépression des années 30.

Ainsi, après un pic de 22% connu en 1994, l’Espagne était parvenue à résorber son taux de chômage à 7.9% au cours de l’année 2007. Ce que le pays a mis 13 ans à obtenir a été anéanti en quelques années, pour battre le record précédent, en dépassant le seuil de 26% au début de l’année 2013.

Taux de chômage. Espagne. 1986-2015

Depuis, la décrue a lieu, mais l’hypothèse d’un retour à un niveau de chômage inférieur à 10% n’est une perspective "raisonnable" qu’au-delà de l’année 2020. 

Le miracle espagnol est un symbole en carton, tout y est factice. Ou comment une croissance trimestrielle de 3.4% masque la situation d’un pays dont l’économie stagne (au mieux) depuis 8 ans, où le taux de chômage est supérieur à 20%, et où la dette a explosé de près de 300%. La vitrine du succès économique européen a une belle allure. Angela Merkel peut être fière de "la solidarité et du support européens".

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !