21 milliards d'économies à trouver sur la Sécurité sociale : quelles pistes pour maîtriser les dépenses sans trahir l'esprit de l'Etat-providence<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls a annoncé mercredi 9 avril des économies supplémentaires sur la Sécurité sociale.
Manuel Valls a annoncé mercredi 9 avril des économies supplémentaires sur la Sécurité sociale.
©Reuters

Casse-tête hollandais

Après avoir présenté une partie des orientations budgétaires lors de son premier discours de politique générale, Manuel Valls a annoncé mercredi 9 avril des économies supplémentaires sur la Sécurité sociale, portant l'ensemble à 21 milliards d'euros sur trois ans. Un défi qui pourra difficilement être mené à bien si l'on ne se penche pas sur une réforme des structures de l'Etat protecteur.

Atlantico : Au regard de la conjoncture actuelle et de la pression fiscale pesant sur les ménages, quel peut-être l'impact des économies plus qu'ambitieuses annoncées par Manuel Valls ? Est-on préparé à un tel choc ?

Christian Saint-Etienne : Ces économies sont nécessaires puisque l’on sait que sur les dépenses de protection sociale s’élèvent à 33% du PIB, soit près de la moitié de ce que représente l’ensemble des prélèvements obligatoires (57%). Pour les simples dépenses de santé, ce chiffre est de 20.5%, ce qui n’est clairement pas négligeable. A titre de comparaison, on note que la plupart des grands pays sociaux-démocrates ont des dépenses sociales bien moindres, oscillant généralement entre 25 et 30%. Cela nous laisse une marge de 30 à 40 milliards d’économies, et les 10 milliards annoncés sur la simple santé par le gouvernement Valls semblent d’après moi représenter le bon ordre de grandeur.

Reste à savoir quelle marche à suivre pour réaliser ces réformes. Si l’on fait des réductions de dépenses à structures constantes, il est clair que l’on créera des goulets d’étranglement qui finiront par être problématiques. La question se situe davantage sur les méthodes de réorganisation et de management au sein des différents services offerts par ces structures.  

Nicolas Bouzou : Tout dépend de la façon dont ces économies sont réalisées. Il faut bien garder à l’esprit que les dépenses sociales (santé, chômage, retraite) représentent plus de la moitié de la dépense publique (près de 650 milliards pour un total 1151 milliards d’euros en 2012). C’est non seulement là que la dépense progresse le plus mais aussi là qu’elle progresse le plus rapidement, cela s’expliquant par notre vieillissement démographique ainsi que par des systèmes de soins de plus en plus personnalisés, donc plus coûteux. Les économies s’avèrent donc nécessaires, mais elles devront passer par une réforme en profondeur de notre système, ce qu’a semblé évoquer Manuel Valls à travers une réorganisation de l’offre de soins. Il est en tout cas clair que l’exécutif ne pourra pas se contenter comme par le passé de réformes à la marge en diminuant le prix des médicaments et des examens médicaux s’il souhaite trouver les 21 milliards sur lesquels il s’est engagé. La stratégie du coup de rabot a aujourd’hui fait son temps, et nous sommes au bout d’une telle logique actuellement. Il faut aujourd’hui changer de logiciel en rentrant dans une politique d’efficience se concentrant sur la productivité

En réduisant fortement les cotisations patronales, mais aussi salariales, le gouvernement devra faire face à une perte de ses recettes en plus des économies déjà annoncées. Y est-il préparé actuellement ? Ne risque-t-on pas d'être confronté à un cercle vicieux ?

Christian Saint-Etienne : Les bases ne sont pas les mêmes, puisque les recettes reposent pour l’essentiel sur la masse salariale du privé. Si l’option des économies via la réorganisation du système est retenue, on sera donc plutôt sur une logique gagnant-gagnant puisque la baisse du coût du travail renforcera logiquement le secteur marchand, développant les recettes de l’état et réduisant ses dépenses. C’est donc plutôt un cercle vertueux qui pourra se mettre en place si les bonnes mesures sont adoptées en la matière.

Nicolas Bouzou : Le gouvernement n’est effectivement pas totalement préparé à cet effet à la baisse, même si 50 milliards de réductions de la dépense publique ont été prévues. En vérité, s’il souhaite financer les nouvelles mesures annoncées et respecter dans le même temps les engagements devant la Commission européenne sur le plan des déficits, l’ordre de grandeur des économies devrait plutôt se porter entre 60 et 70 milliards d’euros. Il était intéressant à ce titre de voir que bon nombre de mesures étaient très détaillées dans  le discours de politique général du Premier ministre alors que celles concernant les dépenses de l’Etat sont restées assez floues.

Face à l'insolvabilité chronique de notre système de sécurité sociale, les bonnes idées ne manquent pourtant pas. Quelles pistes semblent le plus justifiables au regard de la situation ? Comment faire en sorte qu'elles soient les moins douloureuses possible et les moins pénalisantes pour la croissance ?

En 2012, l'Institut Montaigne avait organisé une conférence citoyenne pour réfléchir aux mesures les plus efficaces dans l'amélioration du système de soins français face à la dérive des coûts. Plusieurs éléments en étaient ressortis :

  • Une meilleure gestion des dépenses

Pallier au gaspillage en limitant les prescriptions abusives voire inutiles alors qu'un nombre conséquent de médicaments achetés ne sont pas consommés

Regrouper les différents régimes de Sécurité sociale pour simplifier et optimiser les dépenses alors que l'on retrouve aujourd'hui un trop grand nombre d’acteurs à trop de niveaux administratifs dans un système alourdi par une succession de lois court-termistes. 

Il faut aussi mettre en place le Dossier Médical Personnel pour un meilleur contrôle vertical des soins, sensibiliser les praticiens et les patients à la modération des prescriptions des médicaments et des actes. Une réflexion sur une simplification du mode de financement ainsi que sur le contrôle u système de collecte serait des plus louables. 

  • Revoir les sources de financement 

Aujourd’hui, les sources du financement de la santé sont le travail (à travers les cotisations sociales patronales et salariales), la CSG, la CRDS ainsi qu'un ensemble de taxes mineures. 

Cependant, étant donné la conjoncture actuelle, alléger les charges du travail nous semble indispensable. L’idée de moins taxer le travail est très largement partagée au sein du groupe. Il conviendrait d’élargir l’assiette du recouvrement à condition qu’il soit plus juste. Cependant nous ne privilégions pas tous les mêmes pistes : certains favorisent la TVA, d’autres la CSG. D’autres pistes à inventer sont évoquées dans le groupe. Pour certains, la CSG semble plus adaptée qu’une augmentation de la TVA car elle semble pouvoir rapporter plus et être plus juste. D’autres au contraire accepteraient une augmentation de la TVA, considérant la CSG comme un impôt injuste.

  • Mettre en place un "bouclier sanitaire"

Nous souhaiterions que le bouclier sanitaire soit étudié (nous avons compris qu'il en existe différentes formules : franchise identique pour tous, ou montant proportionnel au revenu) de manière à renforcer la justice concernant le reste à charge. Pour quelques-uns d’entre nous, minoritaires, le bouclier sanitaire aurait pour fonction aussi de faire des économies et de limiter le rôle des complémentaires santé.

  • Plus de transparence

Nous souhaitons connaître et que soient affichés les coûts de fonctionnement et d’investissement du système de santé, ainsi que le coût individuel de la santé. Nous demandons, d’une façon générale, plus de transparence et plus d’accessibilité (et de lisibilité) concernant le budget et les financements de la santé

Pour plus de détails sur les propositions de l'institut Montaigne quant au financement du système de santé, lire l'article publié sur notre site en janvier 2013 : Les non-experts au chevet du système de santé : où trouver l’argent pour le sauver ?

Christian Saint-Etienne : L’axe central pour faire évoluer le système est de jouer sur la prévention plutôt que sur le curatif comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. La mise en place d’une réelle politique, construite et aboutie, en termes de prévention dans la santé publique me semble ainsi plus que nécessaire, bien que rien n’ait été fait concrètement à ce jour pour abonder dans ce sens. On peut notamment réfléchir à la mise en place de maisons de santé territoriales qui fonctionnerait sur le mode libéral et rassembleraient plusieurs médecins pour assurer un service quasi-continu (6h/minuit). Cela serait bien plus efficace que le système actuel en offrant un suivi précis des patients sur le long-terme, évitant ainsi la surcharge des services d’urgence qui génèrent des coûts importants.

Nicolas Bouzou : On peut déjà réaliser des gains de productivité littéralement colossaux au niveau de l’hôpital grâce aux avancés technologiques. On peut notamment développer ce que l’on appelle la « chirurgie ambulatoire » qui consisterait à ne pas garder les patients qui peuvent rentrer chez eux le soir, cette pratique pouvant éviter des dépenses faramineuses en termes de frais de structures. Plus largement, de nombreux développements peuvent être faits dans cette logique alors que l’on sait que les femmes enceintes restent à l’hôpital 20 jours de plus que la moyenne des pays de l’OCDE. Il faut plus largement s’intéresser à une meilleure séparation entre ce qui relève du domaine de la solidarité et ce qui relève de l’assurance pure : si l’on peut considérer que soigner un cancer est un devoir collectif que la société doit prendre en charge, on peut affirmer qu’une personne s’étant cassé une jambe lors des sports d’hiver doit plutôt se reposer sur une assurance classique (complémentaire santé). Au-delà des économies réalisées, il s’agirait là d’un système autrement plus simple que les usines à gaz actuelles.   

La question des coûts administratifs est un autre débat (puisque l’on sait que la France dépense en la matière 35 milliards d’euros par an, soit 6 Milliards de plus que l’Allemagne, ndlr), et il faudrait à ce titre que l’Etat et l’assurance maladie s’impliquent dans de véritables politiques de ressources humaines, notamment à travers la formation et la reconversion des personnels. Ce n’est pas des plus faciles à mettre en pratique, puisque l’on sait que cela peut poser problème même aux entreprises mais des exemples positifs comme ceux de La Poste permettent d’affirmer que ce type de restructuration est envisageable.

Au-delà des mesures techniques, la question de la forme de l'Etat-providence au XXIe siècle vient à se poser. Comment le réinventer pour l'adapter aux réalités contemporaines sans pour autant trahir son esprit de départ ? 

Christian Saint-Etienne : L’Etat-providence doit évoluer vers un filet minimum de protection sociale afin de conserver un outil de prévention contre la chute dans la pauvreté extrême. Au-delà de ce régime de base, les individus pourront passer par des acteurs associatifs ou privés afin d’avancer vers davantage de responsabilisation. D’un côté un système public universel puissant assumant la prise en charge des citoyens afin qu’ils restent opérationnels. Les deux grandes libertés fondamentales dans le monde actuel sont, d’après moi, la santé et l’éducation, ce qui justifie que des services stratégiques soient mis en place par l’Etat pour assurer un certain minima dans ce domaine. La situation actuelle de nos finances démontre toutefois assez bien que ce même Etat ne peut pas prendre en charge les services complémentaires sans en payer lourdement le prix au niveau budgétaire, d’où le recours à l’associatif et au privé à partir d’un certain point.

Contrairement au système libéral américain où l’on considère qu’un individu peut s’éduquer et se soigner par lui-même, on peut considérer en s’appuyant sur l’histoire des sociétés démocratiques développées que l’Etat se doit d’assurer un certain nombres de services, bien délimités, pour que les individus les moins aisés puissent s’en sortir financièrement et bénéficier d’un socle minimum de connaissances. Le maintien d’un noyau dur ou les services seraient mieux régulés et évalués m’apparaît donc essentiel plutôt que de persister dans une logique très large qui est loin de toujours fournir ses résultats : le fait que 20% des jeunes sortent aujourd’hui du système éducatif sans diplôme n’est qu’une illustration parmi d’autres de ces errements.

Nicolas Bouzou : Notre modèle d’Etat-providence a été forgé par le Conseil national de la Résistance au sortir de la Seconde Guerre mondiale alors que l’on était dans un contexte de croissance, de dynamisme démographique et de plein emploi. La situation économique est toutefois nettement différente aujourd’hui et le besoin d’adaptation devient de plus évident.

Il peut y avoir deux méthodes à partir de là : l’adaptation à chaud et l’adaptation à froid. La première se fait lorsque le système est en crise et qu’il se retrouve incapable de se financer à courte échéance (c’est notamment ce qui arrivé en Espagne ou en Grèce) la seconde se faisant dans la négociation avec la prise en compte de l’opinion publique. C’est notamment ce qui s’est passé en Allemagne où les partenaires sociaux ont su insuffler plusieurs pistes de réformes alors que l’on percevait que le système social devenait de plus en plus déficient.

Quels pays ont déjà mené à ce titre des expériences probantes. Est-il possible de s'en inspirer ?

Christian Saint-Etienne : L’évolution du système de protection suédois depuis une quinzaine d’années nous offre plusieurs enseignements, notamment sur le développement du suivi médical afin d’anticiper l’émergence de maladies chroniques qui coûtent en aval des sommes importantes en termes de soins. Il pourrait être à ce titre intéressant de réfléchir à un moyen d’inciter les individus à un suivi détaillé afin qu’ils se maintiennent en bonne santé, respectant ainsi le contrat de solidarité collectif et évitant le développement de surcharges financières.

Nicolas Bouzou : Tous les pays développés réfléchissent et continuent de réfléchir sur ces sujets. Les pays scandinaves sont parmi ceux qui ont développé les exemples les plus probants bien que l’Autriche (régime du paritarisme), la Suisse (modèle décentralisé sur les collectivités) et le Luxembourg ont envisagé des pistes intéressantes, d’autant plus qu’ils les ont instaurés en anticipant les difficultés futures. 

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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