2021, l’année où la population chinoise a atteint son pic bien plus tôt que prévu<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Heure de pointe du matin à Pékin, le 11 mai 2021.
Heure de pointe du matin à Pékin, le 11 mai 2021.
©GREG BAKER / AFP

Baisse de natalité

La poursuite de la chute de la natalité, le vieillissement et la réduction de la population active font peser de fortes contraintes sur la croissance et la puissance du pays

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

Voir la bio »

Atlantico : Certains observateurs estiment qu’avec la baisse de la natalité actuellement constatée, la Chine pourrait avoir atteint son pic de population en 2021. Quels sont les indicateurs nous permettant d’attester ce phénomène ?

Emmanuel Véron : Ce sont les estimations de certains observateurs. Dans les faits, on observe une baisse de la natalité depuis plusieurs décennies maintenant, directement liée à la politique de l’enfant unique (il y a 40 ans), mais aussi avec l’urbanisation et la modernisation du pays. Les comportements ont changé. Il est probable que le pic de population de la Chine est déjà dépassé. En d’autres termes, les cercueils sont plus nombreux que les berceaux.

Rappelons que les statistiques font l’objet d’une construction… De fait, il y a plusieurs difficultés. Tout d’abord, les recensements se déroulent sur une période longue, tant le pays est immense et le comptage compliqué, long, redondant… Il se fait du bas vers le haut. Les fonctionnaires enregistrent les comptages par territoires ruraux et urbains, puis font des additions au niveau des provinces, puis l’ensemble est lui-même additionné. L’autre difficultés réside dans le comptage lui-même : qui doit on compter ? comment ? où ? Pensons ici aux populations de migrants et toutes les catégories afférentes, ou encore aux « enfants noirs », ces derniers qui sont des naissances illégitimes, interdites, illégales parce que les parents ont déjà eu un enfant…

Globalement, chaque province fait plusieurs comptages, des réévaluations sont opérées avant transfert des informations aux autorités centrales (selon les politiques du moment et applications des politiques et lois du gouvernement), puis les autorités centrales procèdent encore à un comptage et un « lissage » pour obtenir un résultat connu parce qu’envisagé à l’avance…

À Lire Aussi

Voilà pourquoi le déclin démographique chinois est un défi pour la planète entière

Quelques chiffres montrent bien l’élargissement de la pyramide des âges vers le haut : 20 % de la population chinoise en 2030 et plus de 25 % (soit 330 à 350 millions) en 2050 auront plus de 65 ans, et autour de 500 millions de chinois de plus de 60 ans.

Si le régime a mis fin à la politique de l’enfant unique d’une part et encourage les naissances d’autre part, la natalité ne connait pas d’essor du tout. La transition démographique est bien achevée en Chine. La fécondité ne repartira pas à la hausse. En 2020, a priori, il y aurait eu un peu moins de 10 millions de naissances. L’avenir continuera d’être marqué par une baisse des naissances, un tassement de l’espérance de vie et une augmentation des décès (dans la partie haute de la pyramide). 

Quel va être l’impact de la chute de la natalité sur l’activité économique en Chine ? Les perspectives de croissance et de développement de la Chine sont-elles véritablement remises en cause ? Quelle est l'ampleur du phénomène ?

L’impact immédiat de la chute de la natalité est celui du vieillissement de la population et un moindre dynamisme de l’économie chinoise dans son ensemble. Ceci pose d’importantes questions pour le régime en matière de productivité, mais aussi de dynamisme d’une manière plus générale. 

Le vieillissement de la population chinoise implique une véritable problématique dans la productivité, l’emploi et plus globalement le dynamisme de la société. D’un côté, la société chinoise vieillie rapidement, entraînant avec elle le lot des difficultés liées aux âges avancés et grands âges : santé, vulnérabilité, dépendance, coût global etc. De l’autre, la compétition pour l’emploi chez les jeunes est toujours plus forte, suggérant frustration et déséquilibre, le tout dans un pays qui s’urbanise intensément.

Ces facteurs des mutations sociales de la Chine induisent une recomposition des liens intra-familiaux et inter-familiaux, autant que des sociabilités, plus largement des relations à l’autre. Le schéma familial classique issu de la politique de l’enfant unique a provoqué une structure que les chinois appellent : 4 + 2 + 1. Quatre grands-parents, deux parents, un enfant. Aujourd’hui les générations de cette politique démographique doivent assumer les quatre grands-parents et les deux parents. La pression financière, matériel et morale est énorme. Alors que la Chine s’est enrichie ses 40 dernières années, la répartition de celle-ci ne s’est pas faite de manière égale et homogène, plus encore, aujourd’hui la Chine n’est plus du tout dans une logique d’enrichissement comme hier. Les tensions inter-familiale sont fortes, les choix et possibilités de plus en plus limités.

Le tout provoque une forme de culpabilisation des anciens, une anxiété des plus jeunes et une remise en question de l’ordre confucéen. La plupart des familles assument les personnes âgées dans leur foyer ou à proximité. Cependant, la modernité, l’urbanisation, le chômage et les autres réalités des sociétés contemporaines mettent de plus en plus à mal la possibilité d’accueillir les séniors. Le développement des structures privées est une réponse, très coûteuse et absolument pas globale, ni généralisée.

A l’échelle du pays, l’inquiétude porte sur la capacité des générations les plus jeunes à supporter le coût d’une tranche importante et en plein épanouissement des plus anciens. Une part de plus en plus réduite de la population en âge de travailler provoque et provoquera des déséquilibres et des faiblesses au sein de la société et plus généralement de la puissance elle-même.

La chute de la natalité, le vieillissement de la population et la diminution de la main-d’œuvre menacent-ils plus réellement la Chine alors que les tensions avec les autres pays, notamment les Etats-Unis ? Le projet des nouvelles routes de la soie et plus largement la puissance du pays pourraient-ils en pâtir ?

Ces pour ces raisons que le régime s’inquiète, notamment face aux géants démographiques régionaux ou extrarégionaux. La modification des chiffres est essentiellement le fait d’une compétition qui ne dit pas son nom.

Il y a d’abord la rivalité démographique et de puissance avec l’Inde, qui est probablement le pays du monde le plus peuplé aujourd’hui. Puis viennent d’autres démographies importantes aujourd’hui et surtout demain : Pakistan, Indonésie, mais aussi en Afrique…

Aussi, la fabrication des chiffres « acceptables » par le régime lui permet de masquer les difficultés démographiques, sociales et économiques, à l’ensemble de sa population mais aussi au reste du monde. Le fait de publier le chiffre de 1,411 milliard d’habitants fin 2020 induit une croissance démographique de 5,4% depuis le recensement de 2010. Le régime montre ainsi que la Chine reste démographiquement dynamique malgré les difficultés, les conséquences de la politique de l’enfant unique etc. Dans un sens, les chiffres permettent de sauver la face. L’annonce d’une diminution de la population chinoise (en dessous du seuil de 1,4 milliard) serait un risque politique majeur pour Pékin, surtout pendant la crise protéiforme de la pandémie de Covid-19, l’année du centenaire du PCC et pour l’année prochaine avec le 20e Congrès du PCC…

D’une manière générale, c’est l’ensemble de la politique intérieure et dans une moindre mesure, pour le moment, la politique étrangère qui sont impactées par ces processus démographiques. 

Le pouvoir chinois et le régime de Xi Jinping vont-ils pouvoir apporter des solutions à ce dilemme et inverser cette tendance ? 

Le régime a mis fin à la politique de l’enfant unique, il y a peu, afin de relancer la natalité et pallier les problématiques démographiques évoquées. Sans succès jusqu’à ce jour. La question est de savoir si la natalité va redémarrer et connaitre un épanouissement à l’instar de l’application drastique et autoritaire de la politique de l’enfant unique…. Tous les signaux sont au rouge. Le Plan national de développement de la population (2016-2030) a peu de chance d’aboutir, tant les naissances par an sont faibles au regard d’autres dynamiques démographiques (décès, maladies, vieillissement etc.). Globalement, les jeunes ménages n’ont pas les moyens d’appliquer la nouvelle norme familiale urbaine de deux à trois enfants par couple. C’est l’une des difficultés essentielles pour le régime à court, moyen et long terme. La transition démographique de la Chine étant achevée, il semble donc impossible de connaitre une situation démographique avec une forte natalité. Le régime devra s’en accommoder. Il y aura à l’avenir, un effort sur les diasporas dans le comptage démographique, un accent sur la robotisation et un élargissement du travail et de l’économie dite « argentée » - « silver economy ».

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !