2020, l’année du naufrage de l’université française<!-- --> | Atlantico.fr
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université enseignement supérieur idéologie erreurs bilan 2020 éducation professeur Samuel Paty
université enseignement supérieur idéologie erreurs bilan 2020 éducation professeur Samuel Paty
©ALAIN JOCARD / AFP

Bilan de l'année 2020

A l'occasion de la fin de l'année, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de cette année 2020. Vincent Tournier revient sur les différentes polémiques et sur les enjeux idéologiques au coeur du monde universitaire.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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L’année 2020 se termine par un fait divers aussi consternant que celui par lequel elle a commencé. Le 8 décembre, le site Mediapart a diffusé l’extrait d’un cours de droit diffusé en visioconférence le 27 octobre, soit onze jours après l’assassinat de Samuel Paty. Dans cet extrait, une enseignante de la faculté de droit d’Aix-Marseille tient le discours suivant à des étudiants de Master : « L’un des plus grands problèmes qu’on a avec l’islam, et ce n’est pas le seul malheureusement, c’est que l’islam ne reconnaît pas la liberté de conscience. C’est quand même absolument terrifiant ». L’enseignante poursuit : « La décapitation d’un professeur d’histoire-géographie qui a dit et fait ce qu’il avait le droit et le devoir de faire, vient de là. On n’a aucune liberté de conscience en islam ! Donc, si on naît d’un père musulman, on est musulman à vie. Une sorte de religion sexuellement transmissible, je n’ai jamais compris. On dirait du judaïsme, c’est pareil, c’est par la mère. Une sorte de MST, de RST, de religion sexuellement transmissible ».

Lorsqu’Edwy Plenel, le directeur de Mediapart, a diffusé cette vidéo sur twitter, il n’a pas fait dans la dentelle : « une prof de droit a tenu des propos islamophobes (…) comparant l’islam à une MST puis à une RST religion sexuellement transmissible ». Cette présentation déformée et fallacieuse a sonné le début de la curée. Les médias ont relayé sans scrupules l’accusation d’islamophobie, faisant mine d’oublier que cette étiquette transforme aujourd’hui une personne en cible humaine, surtout lorsque son nom est rendu public, ce qui a été fait par plusieurs médias, dont au moins une chaîne publique.

Pour se donner bonne conscience, les médias ont précisé que l’enseignante en question s’était jadis opposée au mariage gay, preuve supplémentaire de sa perfidie. Pas de pitié, donc. La Ligue des droits de l’homme a porté plainte pour « injure raciale » et le parquet d’Aix-Marseille a ouvert une enquête préliminaire pour le même motif.

Durant cette déferlante médiatique, le monde universitaire a été fidèle à sa réputation : il est resté désespérément silencieux. Silence radio de la part des syndicats ou des institutions telles la Conférences des présidents d’université (CPU). Pas un mot pour défendre la liberté de l’enseignement, le droit à l’image ou le droit de critiquer les religions. Personne ne s’est risqué à faire remarquer que l’enseignante avait soulevé un vrai problème sur la liberté de conscience dans l’islam et le judaïsme, voire sur la manière dont ces religions conçoivent la transmission des identités cultuelles. Dans le France de 2020, ce n’est plus seulement le blasphème qui est condamné, c’est la vérité elle-même. L’enseignante vit désormais sous protection policière.

Revenons maintenant au début de l’année. Le 20 janvier, le directeur de Science Po Lille décidé d’annuler une conférence qui devait se tenir deux jours plus tard sur le thème « A droite, où en sont les idées ». Deux personnalités étaient au programme : l’avocat Charles Consigny (qui fut un temps animateur dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier) et le journaliste Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles. Le directeur de l’IEP de Lille justifie sa décision en expliquant que la participation de Geoffroy Lejeune n’est « pas souhaitable ». « Il ne s’agit pas pour moi de juger ou d’évaluer les idées de cette personne mais simplement de partir d’un constat : le journal pour lequel elle travaille a été condamné en 2015 pour des faits particulièrement graves après la publication d’un dossier dont il avait été l’un des auteurs ». Cette posture juridico-morale est bien commode mais elle soulève de nombreux problèmes. Le directeur de l’IEP entend-il agir de la même façon avec tous les journaux qui ont été condamnés un jour par la justice, ce qui a dû arriver à la plupart d’entre eux, à commencer évidemment par Charlie Hebdo ? Depuis quand une condamnation judiciaire signifie-t-elle qu’un journal doit être interdit, et a fortiori que ses journalistes sont définitivement privés du droit de s’exprimer ? Que l’on sache, les condamnations judiciaires ne marquent pas une mort civique, surtout à une époque où l’on plaide pour le maintien du droit de vote des détenus. On se gardera aussi de rappeler que la Cour de cassation a relaxé Valeurs actuelles pour une condamnation prononcée en 2013 dans un autre dossier, sur l’islam cette fois, ce qui montre que le droit peut donner lieu à diverses interprétations, surtout en matière de liberté d’expression. Enfin, on aimerait savoir quelle attitude le directeur de l’IEP de Lille entend adopter à l’égard des journaux tels que Télérama, Le Monde, Libération ou Mediapart, qui ont fait la promotion de Medhi Meklat, de Tariq Ramadan ou du CCIF, dont le rapport au droit est pour le moins discutable. Dans l’affaire de la conférence annulée à science po, le trouble est d’autant plus grand que le directeur de l’IEP a été amené à participer à plusieurs reprises au congrès de l’UOIF à Lille, où il a dû croiser Tariq Ramadan et les sbires du CCIF. Etrange dissymétrie : d’un côté, contribuer à banaliser les Frères musulmans ne pose aucun problème mais de l’autre donner la parole à Valeurs actuelles est inenvisageable.

Ces deux affaires ne sont pas anodines. Elles constituent des révélateurs qui donnent un aperçu de l’ampleur du désastre dans lequel a sombré une partie de l’université française. Avec un temps de retard sur les Etats-Unis, les mêmes problèmes sont désormais parmi nous. De nouvelles idéologies ont prospéré et se sont installées. Portées par une virulence qui rappelle les heures sombres de la Guerre froide, ces idéologies donnent le ton et règnent en maîtres. Les départements de sciences sociales et politiques consacrent désormais une grande partie de leur énergie et de leurs moyens à des sujets très connotés : le genre, l’intersectionnalité, le décolonial, le « racisme systémique », les violences policières, les discriminations. Seuls ces sujets sont jugés dignes d’intérêt car ils permettent de dénoncer les travers dont est censé souffrir notre pays, tout en passant sous silence ceux qui concernent les minorités.

Pour tous ces sujets, on est très loin d’un simple débat critique : on est dans le procès permanent, celui de la France, de son histoire, de ses valeurs, de ses mœurs. Les analyses objectives sont phagocytées par une entreprise de dénonciation dont les résultats sont courus d’avance. Nombre de chercheurs sont devenus des militants et des inquisiteurs. Ils se croient en lutte contre l’intolérance et le racisme mais ils deviennent parfois les maîtres de l’intolérance ; ils croient éclairer la société, ils ne font que l’aveugler. La pensée déviante est impitoyablement traquée et vilipendée, si bien que la masse des enseignants se tait, par peur ou par complicité tacite. Les voix discordantes sont écrasées sous des tombereaux d’injures par une foule de procureurs au petit pied. Au vocabulaire abscons et ésotérique qu’ils se complaisent à employer vient s’ajouter une écriture inclusive devenue la norme, y compris dans les documents administratifs : elle incarne à elle seule la victoire du camp autodésigné progressiste.

Face à ce rouleau compresseur idéologique, une réaction courageuse s’est esquissée après la mort de Samuel Paty. Une tribune a été signée dans le journal Le Monde par une centaine d’universitaires pour dénoncer le déni et la complaisance à l’égard d’une réalité aussi terrifiante que dérangeante qu’est l’islamisme. Un site a été créé dans la foulée pour organiser une timide résistance. Mais cette tribune a vite été balayée par une puissante réaction. Les contre-tribunes et les contre-pétitions se sont enchaînées, animées par une haine tenace à l’égard de ce qui est perçu comme du déviationnisme. Par un effet classique d’inversion des rôles, les rois de la chasse aux sorcières se sont présentés comme les victimes d’un nouveau maccarthysme. L’histoire ne leur a rien appris : ils se voient comme le rempart contre le fascisme mais ils sont incapables d’identifier les vrais ressorts du totalitarisme et, faute de voir celui-ci à l’œuvre sous leur propre nez, ils lui offrent un boulevard.  

Certes, ce naufrage de l’université française n’a pas commencé en 2020, mais l’histoire retiendra sans doute que c’est en 2020 qu’il s’est révélé dans toute son ampleur. L’assassinat de Samuel Paty, qui a traumatisé les enseignants du secondaire, a laissé les universités dans une profonde indifférence, comme l’annonçait Michel Houellebecq dans son livre Soumission publié le 7 janvier 2015, jour des attaques contre Charlie Hebdo. Après l’assassinat de Samuel Paty, les hommages ont eu lieu, mais ils étaient convenus et minimalistes, se contentant généralement de vanter la liberté d’expression, celle-là même que l’affaire de l’université d’Aix-Marseille vient de fouler consciencieusement aux pieds. Dans ces hommages, il n’a nulle part été question de sursaut civique, de mobilisation collective, de lutte contre ce nouveau fanatisme qui se déploie dans notre pays et dans le monde. Le communiqué de la CPU évoque succinctement la laïcité mais se garde bien d’évoquer les mots qui fâchent comme l’islamisme, le fanatisme ou le blasphème. La CPU aura un communiqué bien plus ferme et plus prolixe pour dénoncer l’accusation lancée par Jean-Michel Blanquer concernant la diffusion de l’islamo-gauchisme sur les campus. Dans le meilleur des cas, les universitaires entendent rester loin de tout ceci, comme on a pu le voir avec le refus d’être associés de quelque manière que ce soit à la détection de la radicalisation.

La mort de Samuel Paty n’a donc rien changé. Ce drame sanglant se clôt par une triste réalité : les Lumières, l’esprit scientifique, le progrès et, surtout, le combat contre le fanatisme et l’obscurantisme désertent progressivement les amphis au profit des idéologies post-modernes fondées sur le respect de toutes les croyances. Assurément, c’est un long et difficile travail qui attend les républicains du XXIème siècle. Mais pour mener à bien ce travail, il ne faudra pas compter sur les universitaires.

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