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120 000 emplois détruits dans l'industrie en 3 ans : pourquoi la grande purge ne fait que commencer
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Question de capacité

Plus de 1 000 usines fermées et 120 000 emplois perdus. Tel est le constat dressé par une étude publiée par Trendeo. Faut-il croire qu'il y a trop d'emplois dans le secteur industriel et que le phénomène est amené à se poursuivre ?

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Plus de 120 000 emplois auraient disparu dans le secteur industriel ces trois dernières années selon une étude de Trendeo. De même, plus de 1000 usines auraient fermées. Combien d'emplois sont réellement menacés dans l'industrie ? Ce phénomène peut-il durer ?

Jean-Pierre Corniou : Toutes les études publiées depuis quelques années illustrent l’ampleur de la réduction des effectifs industriels en France depuis 30 ans. De 1980 à 2007, donc avant la crise, la France a perdu 36% de ses effectifs industriels. Ce phénomène s’est accéléré depuis 2000, et s'est encore accru depuis 2008 sous l’effet de la crise. La part de l’industrie (hors construction) dans la valeur ajoutée totale, en France, est passée de 18 %, en 2000, à un peu plus de 12,5 %, en 2011. Mais il faut souligner qu’une partie de l’emploi naguère considéré comme industriel est désormais externalisé auprès d’entreprises de services spécialisés. Il y a donc une partie de destruction nette, et une part de transfert vers des activités de service.

La principale cause de réduction d’emplois est l’amélioration de la productivité qui représente 65% des pertes d’emploi depuis 2000. Les délocalisations ne représentent que moins de 20% de la réduction des emplois industriels.

Faut-il croire qu'il y a "trop" d'emplois dans l'industrie par rapport aux besoins. Par conséquent, les emplois perdus pourront-ils être recréés ?

La notion de surcapacité est toute relative : elle dépend de la nature de l’offre, de l’intensité de la demande, désormais mondiale, mais surtout de la productivité du travail. D’une part pour toutes les catégories d’actifs, la part du travail dans la vie va continuer à diminuer. Depuis le début du XXe siècle, la durée moyenne, toutes catégories confondues, du travail effectif est passée de 200 000 heures à 67 000 heures. Nous vivons désormais grâce à l’allongement de la vie, et à l’amélioration de l’efficacité productive, deux vies complètes, une vie de travailleur et une vie de rentier. Comme on a gagné plusieurs centaines de milliers d’heures de vie en un siècle pour vivre désormais 700 000 heures, le travail ne représente plus que 12% de notre existence, contre 40% à la fin du XIXe siècle. Cette réalité bouleverse nos conceptions souvent moralisatrices quant au temps de non-travail.

Dans ce vaste mouvement de reflux de la place du travail, le travail industriel va continuer sa contraction. Le développement des robots, l’usage encore plus intense des technologies de l’information, la multiplication des outils connectés directement à internet sans intervention humaine va accroître la productivité du travail industriel, mais aussi de plus en plus celle des services. Il faudra moins de travail pour produire les objets du futur, même s’ils sont produits en France, ce qu’autorisera une robotisation accrue de nos industries.

Comment l'industrie française peut-elle inverser la tendance ?

Soyons lucides. Le temps des grandes concentrations industrielles est révolu en Europe. La mécanisation, puis l’automatisation et enfin l’informatisation ont cassé le lien linéaire entre le volume de travail et le volume de production. La croissance économique s’est construite par la réduction du volume de travail, qui est le produit du nombre de travailleurs par la durée du travail pour une technique donnée.

L’industrie a alimenté son essor par la maîtrise de ce processus de transformation. L’automobile illustre clairement ce phénomène. Au début du XXe siècle les premières voitures automobiles étaient construites à l’unité à la main. C’étaient des produits artisanaux, extrêmement coûteux, réservés à une élite. Il a fallu Henry Ford dès 1908 pour comprendre que ce produit rencontrerait une demande forte si on en abaissait considérablement le prix de production, et pour cela il fallait casser le modèle de production unitaire pour passer à la grande série. Standardisation et mise en place de chaînes d’assemblage servies par des ouvriers exécutant des tâches simples et répétitives ont permis le décollage de cette industrie. Ce processus s’est amplifié avec la robotisation qui a conduit à un accroissement de la qualité, à la réduction de la pénibilité du travail et, in fine, à la contraction du nombre de travailleurs. Le volume de travail direct engagé pour construire une voiture moderne est très faible. L’usine Renault de Flins est passée de 21 000 salariés dans les années 70 à moins de 3 000 aujourd’hui pour une production seulement inférieure de 50 %.

La désindustrialisation affecte la plupart des grandes nations industrielles, sauf l’Allemagne qui a su résister par une offre de biens industriels, notamment d’équipement, qui a trouvé dans la croissance des BRIC des débouchés naturels.

L’industrie française peut continuer son développement grâce au renouvellement de son offre dans les secteurs puissants comme l’industrie du transport ou l’agro-alimentaire. L’exemple de l’aéronautique démontre que l’effet qualité de l’offre l’emporte sur les effets coûts de main d’œuvre, qui sont aujourd’hui globalement de même niveau que dans l’industrie allemande. Grâce aux pôles de compétitivité, et aux investissements d’avenir, notamment, le renouvellement de cette offre fait l’objet d’un intense effort collectif. Elle doit s’accompagner pour être efficace d’un renouvellement de l’appareil industriel, vieilli, et le développement de la robotisation de la production indispensables à l’efficience du processus industriel et à la qualité des produits. Le stock de robots installés au 31 décembre 2011 était plus de quatre fois supérieur en Allemagne et presque deux fois supérieur en Italie. La France ne comptait alors que 34 500 robots, contre 62 300 en Italie et 157 200 en Allemagne et 29 900 en Espagne.

C’est au prix de ce double effort que la France pourra maintenir une offre industrielle compétitive au plan mondial, créatrice de valeur ajoutée, d’emplois qualifiés et de revenus fiscaux et sociaux. Néanmoins, les nouvelles activités productives feront moins appel à la main-d’œuvre qu’au « cerveau d’œuvre ». Design, intelligence fonctionnelle, qualité, durabilité, efficience énergétique seront les caractéristiques des produits industriels de demain qui pourront sans difficulté être produits en France dans des unités petites, réparties sur le territoire, hautement productives et faisant moins appel à une main-d’œuvre généraliste, mais pilotées par des techniciens et ingénieurs mettant en œuvre des techniques et des outils automatisés.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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