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"Sans Alésia, point de Gaulois, sans Alésia, point de nation"
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Bien souvent, les nations se souviennent des victoires militaires qui ont fait la grandeur de leur pays, et occultent les défaites. Pourtant, les débâcles militaires ont, elles aussi, fait la France. Extrait de "Veni, Vedi, … ces grandes défaites militaires qui ont fait la France" de Carl Aderhold, publié chez First. (2/2)

Carl Aderhold

Carl Aderhold

Historien de formation, Carl Aderhold a été éditeur - il a cofondé Vendémiaire, maison d'édition spécialisée en Histoire - avant de se consacre à l’écriture. Il est l’auteur de plusieurs romans, dont très remarqués, Mort aux cons (Hachette Littératures), Les poissons ne connaissent pas l’adultère, Fermeture éclair (tous deux parus chez JC Lattès). Il a également publié Avant/Après, en collaboration avec Vincent Brocvielle. Aux Editions First, il a publié l'essei Droit d'inventaire avant l'élection (2017).

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Le passage sous la domination romaine offre aux Gaulois quatre siècles de paix, la fameuse pax romana, « paix romaine », l’accès à des fonctions publiques importantes et une prospérité certaine : ouverture au marché de l’ensemble de l’Empire, circulation monétaire… La transformation au lendemain d’Alésia a été profonde et irréversible. Et surtout, la défaite, loin d’entraîner un chaos profond, a au contraire accouché d’un monde nouveau, pacifié et prospère, qui a formé les bases juridiques, culturelles et civilisationnelles de la future France. C’est ce qui faisait dire à Voltaire au xviiie siècle que la défaite avait été une bénédiction, permettant à la Gaule d’entrer dans l’orbite de l’Empire romain, à la différence des Germains restés à la frontière.

Jusqu’au XVIIIe, en effet, Alésia est perçue comme une victoire ! Non pas un succès militaire mais une chance : la France a ainsi profité des bienfaits de la civilisation gréco-latine. Il faut attendre la Révolution pour que cette vision se modifie. La contestation croissante des privilèges de la noblesse amène certains aristocrates à avancer la justification de leurs avantages par l’Histoire : ils seraient les descendants des Francs qui ont conquis la Gaule romaine. Du coup, les intellectuels du tiers état se cherchent des origines du côté des Gaulois, selon le vieil adage : le premier occupant est celui qui est propriétaire.

Dans cette vision, les Francs ne sont que des usurpateurs, des voleurs.

Au XIXe siècle, la mode des Celtes et des druides mise au goût du jour par les romantiques favorise l’étude des Gaulois et leur revalorisation. Le retour de l’Empire avec Napoléon III marque la dernière grande étape de glorification de la conquête romaine. L’empereur écrit même un ouvrage sur le sujet : L’Histoire de Jules César, en 1866, tout entier dédié à la gloire de la conquête romaine. Ainsi note-t-il à propos d’Alésia : « Dans ces plaines fertiles, sur ces collines maintenant silencieuses, près de 400 000 hommes se sont entrechoqués, les uns par esprit de conquête, les autres par esprit d’indépendance ; mais aucun d’eux n’avait la conscience de l’œuvre que le destin lui faisait accomplir. La cause de la civilisation tout entière était en jeu. » Et d’ajouter : « Aussi tout en honorant la mémoire de Vercingétorix, il ne nous est pas permis de déplorer sa défaite. […] n’oublions pas que c’est au triomphe des armées romaines qu’est due notre civilisation. » On ne saurait mieux dire… Au nom du césarisme, cette forme de dictature qui permet de guider les peuples vers leur bonheur, Napoléon III vante les bienfaits de la romanisation. Il est à ce point passionné par la guerre des Gaules et son grand homme qu’il finance sur ses propres deniers des recherchesdans toute la France pour mettre au jour les traces dans le paysage du récit de Jules César.

Beaucoup de vestiges sont alors exhumés. On reconstitue l’armement romain, on mène même des expériences de catapultes dans le parc de Saint-Cloud… Le résultat est paradoxal : lancées pour célébrer l’armée de Jules César, ces fouilles révèlent à l’inverse la force de la résistance gauloise. Et Alésia qui a donné lieu à une longue campagne de fouilles tend à devenir un lieu de mémoire.

Le premier sursaut national

Il faut attendre la IIIe République pour que le renversement s’opère. La défaite de 1870 plonge les élites en plein doute. Passés sans transition de la glorieuse mémoire des guerres napoléoniennes à la réalité de la foudroyante campagne des troupes prussiennes, les républicains s’interrogent sur les raisons d’une telle défaite. Ils chargent bien sûr le régime de Napoléon III de toutes les turpitudes, mais la question principale est : « Comment redresser le pays ? » Il s’agit de forger une nation unie, forte. Par le biais notamment d’une histoire commune.

Nos ancêtres sont désormais les Gaulois. Des ancêtres qui ont toutes les caractéristiques des Français d’alors, querelleurs, râleurs, un peu soupe-au-lait, mais braves, courageux. L’assimilation Gaulois/Français de 1870 est née. Comme les malheureux Gaulois, le peuple français doit être éduqué et encadré pour qu’il puisse exprimer toute sa force, sa grandeur, et accessoirement prendre sa revanche sur l’Allemagne. Dans ce xixe siècle marqué par l’essor des états-nations, où chaque pays se cherche des ancêtres fondateurs, les plus anciens possible, afin de damer le pion aux nations concurrentes, les Gaulois deviennent pour les Français le peuple premier.

Quant à Alésia, elle fait l’objet d’intenses polémiques : des savants contestent l’identification officielle du lieu de la bataille à Alise-Sainte-Reine. Ils plaident pour Alaise dans le Doubs. Plus tard suivront d’autres suggestions, comme Chaux-des-Crotenay dans le Jura. La bagarre est si virulente que l’historien Joël Le Gall évoque une « seconde bataille d’Alésia » ! Le désastre d’Alésia, qui a entraîné la disparition de la civilisation gauloise et a transformé radicalement le pays, est devenu emblématique. Il marque la naissance de la France, non plus comme au xviiie siècle parce qu’il a fait passer la Gaule sous la domination romaine. Au contraire, la bataille est glorifiée comme le premier sursaut national. Et Vercingétorix devient un héros pour avoir réalisé l’union de toutes les tribus gauloises. Union éphémère mais fondatrice.

Le berceau de la nation

Alésia est désormais le berceau de la nation. Dans cette constitution d’un mythe national, on aurait pourtant pu s’attendre à ce que ses concepteurs choisissent non pas une défaite mais une victoire. Gergovie plutôt qu’Alésia. Il n’en a rien été. Sans doute parce que les Romains ne sont pas perçus comme des ennemis mais plutôt comme des cousins latins, et aussi parce que la présence d’une armée de secours gauloise à Alésia a offert l’image d’une Gaule enfin unie et que cette image était plus importante aux yeux des républicains que la défaite elle-même.

On ne peut qu’être frappé du parallèle. Les Gaulois étaient divisés et Rome avec son administration, sa citoyenneté et sa langue leur a donné une nation. La République reprend la même démarche : le Second Empire était une construction sans âme, le régime républicain donne aux descendants des Gaulois la citoyenneté, la langue et une administration qui en font une nation. Dans notre perspective, Alésia apparaît comme un point de départ. Sans Alésia, point de Gaulois, sans Alésia, point de nation.

Alésia à toutes les sauces 

Cette défaite est tellement devenue synonyme de renouveau, de reconstruction, que durant la Seconde Guerre mondiale, elle est mise au service aussi bien du gouvernement de Vichy que de la France libre. Le premier organise à Gergovie en 1942 une grande manifestation en présence du maréchal Pétain. Les orateurs qui se succèdent opèrent un rapprochement entre le chef arverne et le vieux maréchal : en glorifiant le « sens du sacrifice » et la « cohésion morale », la Gaule comme la France se relèveront de la défaite au sein d’un grand empire civilisateur, Rome pour les uns, le IIIe Reich pour les autres… Du côté de la France libre, c’est le chef rebelle qui est glorifié. « Vercingétorix le premier des résistants », affirme de Gaulle. Alésia bénéficie ainsi d’une double caractéristique originale par rapport aux grands désastres de l’histoire de France.

D’une part, cette défaite s’est traduite concrètement par une mutation profonde du pays à la fois politique, économique et culturelle. Cette mutation est visible dans le territoire avec l’émergence de nouvelles cités, la construction de nombreux bâtiments, de voies quadrillant le territoire, et aussi dans la perception même du pays : ce ne sont plus une soixantaine de tribus divisées mais un ensemble cohérent dirigé depuis Lyon. À tel point qu’au fil des siècles la Gaule apparaît comme la plus fidèle des provinces romaines et l’une des plus importantes économiquement, car elle est devenue le véritable grenier à blé de l’Empire. L’intégration sera encore renforcée par l’introduction du christianisme en Gaule à partir du i er siècle. D’autre part, cette défaite s’est ancrée dans la mémoire collective non pas comme une catastrophe, mais comme une naissance. La naissance d’une nation…

Quel plus bel exemple de ces désastres qui ont fait la France ?

Extrait de "Veni, Vedi, … ces grandes défaites qui ont fait la France" de Carl Aderhold, publié chez First

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