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"Eloge de l’assimilation" : à la recherche d’un impossible modèle d’intégration.
"Eloge de l’assimilation" : à la recherche d’un impossible modèle d’intégration.
©Valery HACHE / AFP

Bonnes feuilles

Vincent Coussedière publie « Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire » aux éditions du Rocher. Il n'y a pas lieu de rougir de l'assimilation. Il y a lieu au contraire de renouer avec ce qu'elle signifie : sans un minimum d'homogénéité nationale, la démocratie ne peut pas fonctionner. Extrait 2/2.

Vincent Coussedière

Vincent Coussedière

Vincent Coussedière est agrégé de philosophie, collaborateur du Figaro et du Figaro Vox. Enseignant, élu local, il a été révélé au grand public avec son premier livre Eloge du populisme (2012). 

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C’est en effet à partir de 1990 que les principaux travaux sur l’intégration vont se développer. C’est aussi en 1990 que se mettra en place le Haut Conseil à l’intégration par Michel Rocard, en 1993 que Chevènement créera le Mouvement des Citoyens, puis la fondation Res Publica, ce qui aboutira à sa candidature à la présidentielle de 2002. Bref, les années 1990 seront celles d’une tentative de résistance au multiculturalisme de l’idéologie migratoire, sous les auspices du républicanisme, de l’intégration et de la laïcité.

Désormais, ce sera d’une « politique d’intégration » qu’on attendra que l’immigré trouve toute sa place dans la société d’accueil, et l’État sera responsable de lui donner les « moyens » de s’intégrer. Suite à l’affaire des foulards de Creil, un Haut Conseil à l’intégration sera mis en place par Michel Rocard, qui entendra responsabiliser l’immigré sur un mode contractuel, celui-ci ayant des droits et des devoirs. Ce contractualisme de l’intégration met sur un mode « républicain » l’individu étranger en face à face avec l’État, celui-ci énonçant des droits et des devoirs que celui-là devra respecter.

On ne s’arrêtera pas sur le déséquilibre entre droits et devoirs, les droits apportés par la naturalisation étant bien supérieurs aux devoirs, à l’époque de la démocratie sociale et de l’État providence. On s’interrogera plus profondément sur la représentation du fondement du lien social qui sous-tend cette vision de l’intégration. Un contrat articule des intérêts sur une base utilitaire : d’un côté l’État aurait « intérêt » à la naturalisation de l’immigré pour des raisons démographiques et économiques, de l’autre l’immigré aurait « intérêt » à une intégration entière dans la société d’accueil, celle-ci lui apportant protection et perspective d’une vie meilleure. Une telle conception « républicaine » de l’intégration place l’État et l’immigré sur le même plan, chacun étant un « contractant », c’est-à-dire chacun ayant des droits et des devoirs à l’égard de l’autre. Certes, on demande à l’immigré d’obéir à la loi et de participer à son élaboration, on lui demande de faire preuve de patriotisme constitutionnel et de respect de la démocratie procédurale, mais en retour, l’État s’engage à respecter l’identité de l’étranger et à être neutre en matière de religion et de mœurs. Le premier rapport du Haut Conseil à l’intégration exprime bien cette bienveillance a priori de l’État par rapport à l’immigré, lorsqu’il définit l’intégration ainsi :

« un processus spécifique (par lequel) il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité ».

Le premier président de ce Haut Conseil, Marceau Long, avait été bien choisi par Michel Rocard puisqu’il avait déjà signifié son adhésion à l’idéologie migratoire dans le rapport qu’il avait rendu à Jacques Chirac en 1988 : Être Français aujourd’hui et demain, en marquant sa défiance pour le terme d’assimilation, au nom de la nécessaire reconnaissance de l’identité de l’immigré :

« L’expression est regrettable, puisqu’elle semble impliquer que les étrangers perdent leurs caractéristiques d’origine pour devenir seulement des Français. »

On appréciera le « seulement » qui trahit la haute considération que se fait Marceau Long de la qualité de Français, être français étant une identité réputée plus pauvre que celle que l’immigré importe de son pays d’origine… Sous de tels auspices, l’intégration n’apparaissait que comme un leurre provisoire masquant l’abandon de l’assimilation.

Le passage de la logique de l’assimilation à celle de l’intégration contractuelle n’a été possible que par le changement de représentation que la société a d’elle-même.

Si la société se représente comme une simple association utilitaire, il est logique qu’elle n’exige de l’étranger qui veut la rejoindre qu’un simple contrat d’intégration. L’exigence d’assimilation supposait un tout autre rapport entre les membres de la société, non seulement la liberté et l’égalité que la loi assurait, mais la fraternité, une véritable amitié politique, sans laquelle les vertus de loyauté et de sacrifice de soi du citoyen ne seraient pas envisageables. Or cette fraternité ne peut se construire que sur le partage de mœurs semblables, que sur l’attachement à une civilisation qui modèle l’individu beaucoup plus profondément que le simple respect extérieur des lois. L’assimilation insistait sur cette dimension « anthropologique » du lien social et c’est pourquoi elle était consciente de ses propres limites. On ne croyait pas qu’elle dépendait du seul État et l’on s’interrogeait sur l’écart culturel, sur l’« assimilabilité » de l’étranger, ne pensant pas que la réduction de cet écart dépendait d’une simple politique d’« intégration ».

Or le fondement du contrat d’intégration repose sur la dissociation des mœurs et de la loi, les premières étant renvoyées à la liberté de l’individu dans la sphère privée, la seconde reposant sur l’acceptation des règles procédurales de délibération et d’élaboration des lois, mais non du contenu éthique qui les soutient. On laissa ainsi se creuser l’écart entre les mœurs et la loi, jusqu’à ce que l’évolution de celles-ci viennent contester la loi pour exiger qu’elle change. Alors que la notion d’« assimilation » affrontait la dimension prépolitique du politique, établissant implicitement un lien entre les mœurs, les coutumes, la dimension morale de l’existence et la loi au sens politique, la notion d’« intégration » est le symptôme de la perte de conscience de ce lien et charge l’État d’assurer à lui seul l’intégration de l’étranger.

La naïveté politique des partisans de l’intégration républicaine est de croire que la citoyenneté consiste à se dédoubler en homme privé et homme public et de ne pas voir que l’exercice de la liberté politique est le prolongement de la vie privée, de ce que Habermas appelle la vie éthique et culturelle. Le citoyen n’est pas celui qui, pour entrer dans la visée politique, doit oublier et mettre totalement de côté les contenus concrets de sa vie.

L’« abstraction du citoyen » qui, selon Schnapper, permettrait l’intégration, est elle-même une abstraction.

A lire aussi : L’intégration : une troisième voie "républicaine" entre l’assimilation et le multiculturalisme ? 

Extrait du livre de Vincent Coussedière, « Eloge de l'assimilation : Critique de l'idéologie migratoire », publié aux éditions du Rocher

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