"Commander in chief" : les ultimes instants de la traque d’Oussama Ben Laden orchestrée par Barack Obama depuis le coeur de la Maison Blanche <!-- --> | Atlantico.fr
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Barack Obama situation room Maison Blanche Joe Biden Hillary Clinton mort d'Oussama Ben Laden enquête terrorisme
Barack Obama situation room Maison Blanche Joe Biden Hillary Clinton mort d'Oussama Ben Laden enquête terrorisme
©DR / REUTERS / Ho New / Capture d'écran

Bonnes feuilles

Maurin Picard a publié "Le Manoir, Histoire et histoires de la Maison Blanche" aux éditions Perrin. La Maison Blanche exerce, plus de deux siècles après son inauguration, une fascination sans égal parmi les hauts lieux de pouvoir de la planète. Extrait 1/2.

Maurin Picard

Maurin Picard

Historien et journaliste, Maurin Picard est notamment correspondant du Figaro aux Usa. Il a notamment publié chez Perrin « Des hommes ordinaires » et « Ils ont tué monsieur H. » (Seuil)

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Vingt-quatre heures auparavant, le président a donné le feu vert à une mission des forces spéciales ayant pour but de neutraliser Oussama ben Laden. La présence du fondateur saoudien d’al-Qaida, en fuite depuis les attentats du 11-Septembre, a été repérée dans une ville du Pakistan, Abbottabad. Et l’opération « Trident de Neptune », qui doit capturer le « cheikh » mort ou vif, vient d’être repoussée de samedi à dimanche soir, par la faute d’un épais brouillard en fond de vallée.

La traque de Ben Laden dure depuis si longtemps que plus personne à Washington n’ose parier sur les chances de succès de l’entreprise. Durant le dîner des correspondants, Seth Meyers a même osé une blague sur le sujet : « Les gens pensent que Ben Laden se cache dans l’Hindou Kouch, mais est-ce que vous saviez qu’il anime une émission tous les jours, de 16 heures à 17 heures, sur la chaîne C-Span? » Barack Obama a éclaté de rire, sans trahir le moindre trouble. Puis il a attendu la fin de la soirée et repris le chemin de la Maison-Blanche, sans donner le moindre indice sur ce qui allait suivre.

Il est 15  heures, ce dimanche, lorsque le président surgit dans une minuscule salle de veille du complexe souterrain de la Situation Room où s’entasse son équipe de sécurité nationale, composée du vice-président Joe Biden, de la secrétaire d’État Hillary Rodham Clinton, du secrétaire à la Défense Bob Gates, du patron du renseignement James Clapper, du chef d’état-major interarmes Mike Mullen, du conseiller à la sécurité nationale Tom Donilon, du conseiller présidentiel antiterroriste John Brennan et de plusieurs autres dignitaires.

Depuis 1961, la Situation Room, que Henry Kissinger jugeait « inconfortable, inesthétique, et essentiellement oppressante », s’est considérablement agrandie et modernisée. Sous l’ère George W. Bush, une rénovation importante en 2006 en a fait un complexe de près de 500  mètres carrés regroupant sept salles attenantes, dotée d’une technologie dernier cri, interdisant à tout participant l’usage d’un appareil électronique importé de l’extérieur. Les panneaux en bois, qui créaient une acoustique désagréable, ont été remplacés par des matériaux plus insonorisants. C’est là que l’occupant du Bureau ovale confère par vidéo avec ses homologues étrangers et qu’il débat, dans la plus stricte confidentialité. Mais pas ce dimanche.

Sur l’écran informatique s’ouvre une fenêtre dévoilant les images transmises en temps réel et en vision nocturne grâce à la caméra numérique embarquée sur un drone Sentinel survolant Abbottabad. Deux hélicoptères se posent. L’un s’écrase aussitôt, victime de son propre effet de souffle. Stupeur dans la Situation Room! Les Navy Seals qui s’y trouvaient ont-ils été tués ? Cette mission, si méticuleusement préparée trois semaines durant, s’achève-t-elle déjà sur un fiasco avant même d’avoir commencé ?

À  cet instant, Barack Obama se fige intérieurement. Lorsqu’il a donné le feu vert, il savait qu’il courait un très gros risque politique : si le raid échouait, c’en serait fini de sa présidence.

Mais il ne reculera pas. Pas ce soir. Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le 20 janvier 2009, il a rapidement notifié sa priorité à la CIA : trouvez Oussama ben Laden. Une priorité qui transcende tout clivage politique, tant le traumatisme du 11-Septembre a profondément marqué les Américains. Et Barack Obama attend une mise à jour mensuelle de la traque. C’est ainsi que, fin janvier 2011, surgit l’ombre d’un doute à propos d’un mystérieux complexe fortifié dans la ville d’Abbottabad, au Pakistan. Le directeur de la CIA, Leon Panetta, appelle le chef de cabinet présidentiel, Rahm Emanuel :

« Je dois voir le président. Je dois le voir aujourd’hui, et je ne peux rien vous dire de plus.

— Leon, nous ne programmons pas ce genre de rendezvous au saut du lit… Vous devez me dire de quoi il s’agit.

— Je ne peux pas au téléphone. »

Leon Panetta arrive dans le Bureau ovale accompagné d’un de ses agents en charge de la traque. Photos à l’appui, l’ancien chef de cabinet de Bill Clinton dévoile la bonne nouvelle à Barack Obama : « Nous pensons que c’est là que se trouve Oussama ben Laden. »

Plusieurs options sont envisagées : un bombardement massif pour raser le complexe, une frappe chirurgicale, ou un assaut nocturne au sol. Cette dernière alternative est approuvée au soir du 28 avril 2011, lors d’une réunion confidentielle dans la Situation Room entre Barack Obama, le vice-président Joe Biden et ses principaux conseillers à la sécurité nationale. Joe Biden ainsi que le secrétaire à la Défense Robert Gates désapprouvent le lancement de la mission, par prudence et faute de certitude absolue quant à la présence du fondateur d’al-Qaida. Leon Panetta, lui, la soutient.

Le conseiller adjoint à la sécurité nationale Ben Rhodes prend soudain conscience de l’énormité du risque engagé par Obama, seul à décider en ultime recours : « Et si une fusillade éclatait ? Et si un hélicoptère s’écrasait ? Quid d’une crise grave entre les États-Unis et le Pakistan, sans même savoir si le gars est vraiment là ? »

Justement, un hélicoptère s’est crashé. Heureusement, aucun blessé grave n’est à déplorer. La mission continue, sous le regard fiévreux du président des États-Unis et de son entourage. Un cliché du photographe officiel de la Maison-Blanche Pete Souza a saisi cet instant historique, lors duquel « les minutes semblèrent passer comme des jours » pour John Brennan. Un quart d’heure à peine s’est écoulé lorsque Bill McRaven, depuis le tarmac de la base afghane, signifie à la Maison-Blanche le message que viennent de lui passer les commandos : « Pour Dieu et pour le pays, Geronimo, Geronimo, Geronimo! »

En termes militaires, Oussama ben Laden a bien été neutralisé.

« Est-il capturé, ou est-il mort ?, demande aussitôt le président depuis la Situation Room.

— EKIA, répondent les commandos. Enemy killed in action.

— Nous l’avons eu », s’exclame Barack Obama, soulagé, qui adresse ses félicitations au commando tandis que les hélicoptères se posent en Afghanistan.

« Monsieur le Président, nous ne savons pas s’il s’agit d’Oussama ben Laden », tempère l’amiral McRaven. Il faut identifier formellement le corps. Bill McRaven s’approche donc du body bag, en fait glisser le zip. Le visage est trop abîmé pour être irréfutablement reconnu. Le patron des forces spéciales hèle alors un soldat mesurant environ 1,88 mètre, puis le fait s’allonger le long du macchabée. Qui le dépasse de deux bons pouces. Un mètre quatrevingt-douze. C’est assurément le « cheikh ».

« Identification positive », lance McRaven à l’intention de la Maison-Blanche.

La mission à Abbottabad s’achève. Les Navy Seals évacuent le complexe fortifié, raflant des liasses de documents, des disques durs et embarquent dans l’hélicoptère encore intact. Il s’agit maintenant de quitter la zone avant qu’une interception de la chasse pakistanaise ne vienne tout gâcher. L’assaut a duré exactement trente-huit minutes, que Hillary Clinton qualifiera « des plus intenses » de sa vie.

Les conseillers qui n’avaient pas été mis dans la confidence, eux, se trouvent chez eux lorsque leurs smartphones se mettent à sonner. « Tu ferais mieux de foncer à la Maison-Blanche, je crois qu’ils viennent d’avoir Ben Laden », lance la femme de David Axelrod à son mari, dont le Blackberry vibre sans discontinuer.

Il est 22 heures. Les journalistes accrédités s’agglutinent dans le salon Est, habituellement dévolu aux réceptions officielles. Ils savent que quelque chose d’inhabituel est dans l’air, vu l’heure tardive. Quel événement historique justifie donc une telle solennité?

À l’étage, Michelle Obama rentre à l’instant d’un dîner avec deux amies. Sentant que « quelque chose ne tourne pas rond » au vu de l’agitation au rez-de-chaussée, elle demande à un domestique où se trouve le président. « Je pense qu’il est à l’étage, madame. Il se prépare pour s’adresser à la nation. » Michelle Obama a compris de quoi il retourne. Depuis deux jours, elle devine qu’« une opération d’une importance majeure et très délicate se préparait ».

Elle croise alors son mari dans le couloir à l’étage, qui sort de leur chambre à coucher, visiblement « boosté à l’adrénaline ». « Ça y est, on l’a eu, lui confie-t-il. Et il n’y a aucun blessé. » Barack et Michelle s’enlacent, brièvement.

Les portes massives donnant sur le Cross Hall s’ouvrent subitement, pour offrir une entrée solennelle au président des États-Unis.

« Bonsoir. Ce soir, je peux dire au peuple américain et au monde que les États-Unis ont mené une opération qui a permis de tuer Oussama ben Laden, le leader d’alQaida et le terroriste responsable de la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents. […] Et ce soir, nous pouvons dire aux familles qui ont perdu des êtres chers à cause du terrorisme d’al-Qaida : justice est faite. »

À l’extérieur de la Maison-Blanche, les rues s’emplissent de foules joyeuses qui bientôt convergent vers la demeure présidentielle, scandant « USA, USA! » si fort que les cris finissent par réveiller la benjamine des filles Obama, Malia, alors âgée de 12 ans. Et ce, malgré les épaisses vitres blindées de sa chambre. La même liesse se reproduit dans toutes les villes du pays.

Un cauchemar national touche à sa fin. Oussama ben Laden, depuis l’effondrement des tours jumelles, incarne le mal absolu pour 300  millions d’Américains triomphants, dont le deuil semble se clore sur cet événement rassembleur. La crainte des attentats, même diffuse, se résorbe considérablement dans les têtes.

Seule l’image de la salle de veille restera, tous les regards convergeant vers un écran hors champ. Subitement, les Américains découvrent au travers de ce cliché les réalités dramatiques de la présidence, le fardeau que peut constituer un tel mandat lorsque le chef de l’État est amené à envoyer des soldats risquer leur vie et ordonner l’élimination d’êtres humains, fussent-ils les pires ennemis de l’Amérique.

« Je ne crois pas que l’on puisse se réjouir de la mort de quelqu’un, écrit Michelle Obama. Mais ce que l’Amérique a gagné, ce soir-là, c’était un instant de libération, une occasion de sentir sa propre résilience. » Et une petite semaine d’union sacrée, par-delà les haines politiques et les clivages idéologiques.

L’Amérique du président Obama a vaincu cet « ennemi public numéro un » qui la narguait depuis près de deux décennies. Barack Obama, lui, s’est forgé une réputation de leader froid et déterminé, qualités que lui déniaient jusque-là ses adversaires républicains. Le triomphe de l’opération « Trident de Neptune » intervient à point nommé pour son bilan de politique étrangère.

Extrait du livre de Maurin Picard, "Le Manoir, Histoire et histoires de la Maison Blanche", publié aux éditions Perrin.

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