+ 1,6% sur le patrimoine des ménages français au bénéfice quasi exclusif des plus riches : la faute au système ou à l’absence de croissance ?<!-- --> | Atlantico.fr
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D’après l’évaluation annuelle de l’Insee, le patrimoine des ménages français n'aurait que très légèrement augmenté en 2012.
D’après l’évaluation annuelle de l’Insee, le patrimoine des ménages français n'aurait que très légèrement augmenté en 2012.
©Reuters

Trésor national

Alors qu'il augmentait de manière très importante dans les années 2000, le patrimoine des ménage français est presque stable. La plus grande part de l'accroissement allant bien évidemment vers les foyers les plus aisés et ce pour des raisons aussi bien contextuelles que mécaniques.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : D’après l’évaluation annuelle de l’Insee (voir ici), le patrimoine des ménages français n'aurait que très légèrement augmenté en 2012. Ainsi dans les faits qui sont véritablement les Français qui sont les bénéficiaires de cette augmentation, aussi faible soit-elle ?

Philippe Crevel : Le patrimoine des ménages français a augmenté de 1,6% et a atteint, en 2012, 10 544 milliards d’euros contre 10 411 milliards d’euros en 2011 qui avait été marquée par une hausse de 4,3%.

Par habitant, du fait de l’augmentation de la population, la hausse est plus faible en étant de 0,7%. Le patrimoine moyen par Français est passé de 2011 à 2012 de 160 296 à 161 517 euros.  

La faible augmentation du patrimoine en 2012 est liée au recul de l’immobilier qui constitue sa principale composante. Les principaux bénéficiaires de l’appréciation de 2012 sont les détenteurs de valeurs financières et notamment d’actions. Après la chute de la bourse en 2011, avec la crise de la dette souveraine, les marchés financiers ont progressé en 2012. Le CAC 40 avait augmenté de plus de 12% l’année dernière.

Qui sont ceux qui au contraire y perdent, en valeur absolue comme par le simple fait que ce chiffre ait si peu augmenté ? 

En premier lieu, les premiers perdants sont ceux qui n’ont pas de patrimoine. Or, les inégalités sont, en la matière, plus importantes que pour les revenus. Les 10% des ménages les plus dotés en patrimoine détiennent près de la moitié du patrimoine français. Les 10% les mieux dotés en revenus détiennent de leur côté le quart des revenus. La concentration du patrimoine s’est accrue. Les 10% les mieux dotés en patrimoine possèdent 35 fois plus de patrimoine que les 50% les moins bien dotés. En 1997, ce montant était de 30 fois.

Au-delà de cette répartition, l’évolution « 2012 » du patrimoine a pénalisé les détenteurs de biens immobiliers qui se trouvent en province. Si les prix ont fait de la résistance à Paris, ils ont, en revanche, baissé de 5 % en province. Certes, hormis ceux qui ont acheté récemment et qui veulent revendre rapidement, la forte appréciation de ces quinze dernières années génère d’importantes plus-values sur lesquelles l’État entend prendre sa dîme.

Dans quelle mesure cette répartition relève-t-elle d'un effet mécanique dû au manque de croissance ? Relève-t-elle de notre système ?

La surreprésentation du patrimoine immobilier ajoutée au poids important des actifs financiers liquides et sans risque est la cause et la conséquence de notre système économique. Le vieillissement de la population contribue à l’augmentation automatique des actifs bénéficiant d’une relative garantie du capital. Les populations âgées privilégient la pierre et les produits financiers de taux au détriment des actions d’entreprise. Elles recourent peu au crédit et tentent de se désendetter. Cette situation concerna la France mais aussi nos partenaires européens.

Les Français sont, par ailleurs, des champions de l’épargne mais avant tout de l’épargne de précaution. La possession de sa résidence principale est tout à la fois le symbole d’une certaine forme de réussite sociale mais aussi un passeport pour traverser des temps difficiles. Le livret A tout comme le fonds euros de l’assurance-vie est choyé car ils bénéficient d’une garantie en capital. Logement plus épargne de précaution détournent une part importante des capitaux disponibles de l’économie réelle. C’est l’État et le secteur de l’immobilier qui en sont les principaux bénéficiaires. Le manque de fonds propres des entreprises, leurs difficultés à investir ne sont pas sans lien avec la composition du patrimoine des Français. Aux Etats-Unis, plus de 80% du financement des entreprises s’effectuent par les marchés financiers quand, en France, c’est moins de 20%. Les entreprises de notre pays sont, de ce fait, dépendantes des banques. Or, le resserrement des conditions d’accès aux crédits pour des raisons prudentielles pèse sur leurs capacités d’investissement. Si cette situation perdurait, les facultés de rebond de notre économie seraient fortement obérées.

Quelle est la "forme" du patrimoine des Français, comment se compose-t-il essentiellement ? Comment se décompose cette augmentation dans le détail ? Que faut-il en déduire ?

Le patrimoine des Français est constitué à hauteur de 73% d’actifs non financiers. L’immobilier, à lui tout seul, assure plus des deux tiers de la richesse des Français. C’est assez logique étant donné que 58% des Français sont propriétaires de leur résidence principale et que le prix de l’immobilier est dans notre pays très élevé. Les constructions et les terrains pèsent près de 7 700 milliards d’euros. L’augmentation n’a été que de 0,7% en 2012 contre 5,3% en 2011. La valeur des logements ne s’est accru que de 0,2% en 2012 contre +5,1% en 2011. L’inversion des prix l’année dernière avec la diminution des transactions expliquent cette évolution.

Le patrimoine financier net des Français, en déduisant les dettes, s’élève à 2 847 milliards d’euros en hausse de 7% en 2012 contre une baisse de 0,4% en 2011.

Les actions et les OPCVM (SICAV et FCP) ne représentent que 1011 milliards d’euros soit 10% du patrimoine des ménages. Ils ont progressé de 10,9% en 2012 alors qu’ils avaient baissé de 6,9% en 2011. L’encours de l’assurance-vie et de l’épargne retraite constitue la principale composante du patrimoine financier. Malgré la décollecte constatée en 2012, cet encours s’est apprécié de 3,1% contre 1,6% en 2011. Il s’élève à 1476 milliards d’euros.

Les Français sont fortement attachés à l’épargne liquide de précaution. Ils l’ont prouvé l’année dernière avec une hausse de près de 5 % des dépôts et des livrets bancaires dont le Livret A qui a bénéficié du relèvement de son plafond. Le numéraire et les dépôts pèsent 1271 milliards d’euros.

Par ailleurs, les Français sont endettés à hauteur de 1 152 milliards d’euros, endettement qui est déduit de la valeur de leur patrimoine. Les dettes des ménages ont augmenté de 2,1 % après 5,1 % en 2011.

La croissance du patrimoine des Français est bien plus faible qu’elle ne l’était dans les années 2000. Dans quelle mesure ce chiffre constitue-t-il malgré tout une bonne nouvelle pour nos concitoyens ? 

Le patrimoine des ménages a progressé au rythme de 7% l’an durant la première décennie du 21ème siècle. La crise de 2009 a créé une rupture avec depuis une évolution plus heurtée et des progressions plus faibles. La hausse de la première décennie était essentiellement liée à l’accroissement de l’immobilier dont les prix ont été multipliés par deux depuis l’an 2000.

La décélération de la croissance du patrimoine immobilier est plutôt un élément positif car la France est confrontée à une bulle spéculative irrationnelle dans ce secteur avec des inconvénients économiques et sociaux importants. Le prix élevé des logements, en France, empêche les jeunes de pouvoir se loger correctement. Il est très difficile de rentrer sur le marché immobilier si on n’est pas déjà propriétaire d’un bien. En outre, la valorisation de l’immobilier a abouti à capter une part croissante de la richesse ainsi que des revenus des Français. Cette bulle a certainement réduit la croissance potentielle du pays en freinant les gains de productivité. Elle a détourné des capitaux au détriment des entreprises industrielles. Cette appréciation continue de la pierre a de 2000 à 2010 favorisé le secteur du bâtiment qui a attiré de nombreux actifs. Jusqu’en 2009, ce secteur a été responsable de 25% des créations d’emplois. Le nombre d’entreprises a été multiplié par deux en dix ans dans l’immobilier et a augmenté d’un quart dans le secteur de la construction. La politique fiscal en faveur du logement a favorisé la progression des prix sans pour autant résoudre le problème à leur accès. Même si cela peut avoir de lourdes conséquences, un ajustement à la baisse de 15 à 25 % de la valeur du patrimoine immobilier serait souhaitable afin de favoriser l’économie française.

Que conclure de la gestion que font les Français de leur patrimoine en temps de crise ? Sommes-nous finalement dotés d’un bon sens économique qui contraste avec la situation de notre économie nationale ?

Les Français sont assez, voire trop, prudents. Point positif, ils recourent faiblement aux crédits et surtout aux crédits à la consommation par rapport à la moyenne des ménages de l’OCDE. Point négatif, ils investissent trop dans la pierre et dans des actifs financiers liquides. De ce fait, ils ne financent pas assez les entreprises qui doivent rechercher les ressources nécessaires à leur développement auprès des banques et à l’étranger. Il en résulte que les grandes entreprises du CAC 40 sont majoritairement détenues par des fonds étrangers.

Les ménages sont de meilleurs gestionnaires que les administrations publiques dont le patrimoine a fondu de 34% en 2012 après avoir baissé de 12% en 2011. Leur patrimoine net ne s’élève plus qu’à 326 milliards d’euros avec un passif de 2 412 milliards d’euros. Au rythme actuel, dans moins de 5 ans, les administrations publiques seront en patrimoine négatif. Il est à noter que les entreprises françaises ont enregistré un repli de 2,2% de leur valeur nette du fait de la réduction de leur investissement et de leur acquisition foncière. Cette évolution est directement imputable à la conjoncture dégradée et à leur faible taux de marge qui les empêche d’investir.

Le bilan patrimonial français version 2012 traduit bien le fait que notre économie est dans un corner. Elle est sclérosée du fait d’une mauvaise compétitivité en relation avec des charges publiques de plus en plus fortes.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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