Vous l’ignoriez peut-être, mais nous voici engagés sur la route sublime de l’harmonie généreuse du monde post-capitaliste. Fini le règne de l’argent, de l’accumulation et de la compétition des uns contre les autres ! Dans un avenir proche, nous entrerons dans l’ère radieuse d’une économie du partage, hybride et collaborative, qui abolira la propriété, glorifiera l’acte "solidaire" et replacera "l’humain" au cœur de nos préoccupations. Le tout grâce au numérique et dans un développement gracieux, sensible et social, soucieux de la préservation de la biodiversité, respectueux de l’environnement et parfaitement inscrit dans une démarche soutenable et durable.
En résumé – et certes, de façon un peu caricaturée –, c’est la thèse (idyllique) que défend Jeremy Rifkin dans son dernier livre (The zero marginal cost society), relayé avec succès dans les médias français. La conclusion, reprise avec béatitude par une presse socialiste trop heureuse de célébrer toute critique du marché, est claire : le capitalisme va disparaître. Autant dire que dans beaucoup de rédactions et de salons mondains, on a débouché le champagne ! Et qu’importe si le livre est en réalité plus nuancé que les articles qui en parlent ou même que ce que l’auteur en dit dans ses entretiens.
Le problème, c’est que la thèse de Jeremy Rifkin ne tient pas. Le capitalisme ne disparaît pas avec le numérique. Bien au contraire ! Prenons l’exemple de "l’économie collaborative".
Au premier abord, elle a tout pour plaire aux "alters". D’abord, elle s’auto-désigne comme fondée sur un principe de coopération, de mise en commun, venant ainsi répondre aux inquiétudes sur l’atomisation de la société et l’absence de sens ou de lien social. Ensuite, elle défend le "partage" : dans un élan de générosité, les consommateurs s’échangent une perceuse qui ne sert pas, une place de voiture vide, une chambre inoccupée. Dans cette dynamique, la propriété n’a plus de sens et (fantasme post-marxiste), la voici abolie ! ; ce qui importe, c’est l’usage : pourquoi acheter une voiture, puisque je peux me déplacer en autolib ? Top du top, cet écosystème permet même le recyclage, en redonnant une vie à ce qui n’est plus utilisé. C’est tellement beau que cela pourrait arracher une larme !
Ne voit-on pas, d’ailleurs, tous ces jeunes entrepreneurs, bourgeois suffisamment privilégiés pour se désintéresser de l’argent, bobos en devenir ou cathos complexés par la réussite financière, aux ambitions altruistes bien ancrées, se lancer dans ces magnifiques aventures ? En plus, ils peuvent le faire sans coût, grâce à internet !
Tout cela est bien gentil, mais c’est de la communication pour raconter une histoire, du "story telling" comme disent les professionnels. Des fadaises !
Car l’économie collaborative peut se maquiller des atours à la mode dont elle a envie, elle reste un modèle "économique", c’est-à-dire irrémédiablement fondé sur la propriété, l’appât du gain, la concurrence et la recherche du profit.
Ay lieu de s’extasier, les adorateurs de la "sharing economy" devraient se scandaliser. Le principe de l’économie du partage, c’est l’hyper capitalisme, la glorification du marché, et non son retrait. Car à y réfléchir un peu, elle consiste à faire entrer de façon systématique dans la sphère marchande des activités qui en étaient exclues !
Hier, vous preniez un auto-stoppeur dans votre voiture ; aujourd’hui, vous lui louez la place qu’il a réservée sur son smartphone. Hier, votre boîte à outils prenait la poussière dans la cave, en attendant que vous la réutilisiez ; aujourd’hui, vous louez un marteau par-ci, une perceuse par là. Aucune de ces activités de "partage" ne repose sur le prêt : toutes sont fondées sur la location. Les usages et les préférences de consommation peuvent changer (je loue plutôt qu’acheter) mais l’échange marchand, fondé sur la propriété, reste incontournable. C’est tant mieux, car c’est ce qui marche !
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