Potentiellement interdits de rentrer chez eux pendant les JO pour raisons de sécurité : qui dira stop à la dérive en matière de libertés publiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le déploiement de QR codes interroge sur le recul des libertés publiques lors des Jeux olympiques de Paris 2024.
Le déploiement de QR codes interroge sur le recul des libertés publiques lors des Jeux olympiques de Paris 2024.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Contrôle social

Lors des Jeux olympiques cet été, 200.000 personnes devront passer un filtre de sécurité via un QR code pour accéder au cœur de la capitale. En cas de "non-conformité", les riverains ne pourront plus rentrer chez eux, selon des révélations du Canard Enchaîné.

Cyrille Dalmont

Cyrille Dalmont

Cyrille Dalmont est directeur de recherche au sein de l'Institut Thomas More, où il analyse les mutations sociales et politiques provoquées par la numérisation massive de nos sociétés. Ses recherches portent actuellement sur deux axes principaux : les questions de régulation et les enjeux éthiques liés au déploiement du numérique et son impact sur les droits fondamentaux et les libertés publiques ; ainsi que les enjeux de souveraineté numérique, tant au niveau national que de l’Union européenne.

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Guillaume Leroy

Guillaume Leroy

Guillaume Leroy est doctorant en droit pénal des affaires et chargé d'enseignement à l'Université Paris II. Guillaume Leroy est également responsable droit public du Cercle Droit & Liberté.

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Atlantico : Le Canard Enchaîné a révélé que plus de 200 000 personnes sont concernées par le filtre de sécurité par QR code mis en place au cœur de la capitale durant les JO pour cet été. Si elles ne remplissent pas les conditions, ces personnes pourraient ne pas accéder à leur domicile. Quel problème juridique soulève ce dispositif ?

Guillaume Leroy : Tout d'abord, il convient de rappeler que nous nous ne connaissons que partiellement les éléments pris en considération pour déterminer l'octroi du nouveau sésame du XXIème siècle, le QR Code.

Par ailleurs, dans le cas d'un refus d'octroi du QR Code, la personne concernée ne pourra pas circuler dans certaines zones de Paris (Quais de Seine, abord des stades, etc). Concrètement, vous pourrez sortir de la zone mais plus y rentrer.

La conséquence de cette mesure est simple : Si vous résidez dans cette zone et que vous ne pouvez pas justifier de la détention d'un QR Code, vous êtes assigné à résidence où vous prenez la décision de sortir de chez vous, sans aucune certitude quant à votre capacité à y rentrer.

Bien évidemment, cela est attentatoire à plusieurs libertés publiques parmi les plus élémentaires, telles que la liberté d'aller et venir et le droit de propriété. Comment voulez-vous disposer de votre propriété immobilière si vous ne pouvez y accéder ? Bien d'autres libertés sont également menacées mais en établir une liste relèverait de la litanie. 

Pensez-vous qu’il existe au sein du gouvernement une volonté de mettre en place un contrôle social à travers ce dispositif ?

Cyrille Dalmont : Je dirais que non. En fait, ce n'est pas une volonté coordonnée. En revanche, ce sont une multiplication de mesures qui ont commencé bien avant la Covid, qui viennent s'ajouter les unes aux autres qui, au travers des documents numérisés, (passeports avec QR code, identité numérique, fusion de la carte d’identité et de la carte de sécurité sociale), l'utilisation des drones, la multiplication des QR codes d’accès, l'utilisation de la reconnaissance faciale qui est en test dans plusieurs villes françaises et dans plusieurs aéroports, peu à peu fabriquent une sorte de contrôle social à la française. Donc même s’il n’y a pas de volonté coordonnée pour mettre en place un contrôle social ou un crédit social comme en Chine, progressivement il s’installe puisque ce sont les mêmes technologies qui sont utilisées et qui viennent s’imbriquer les unes aux autres. Et finalement, on arrive à la mise en place d'un système de surveillance généralisée de la population. On peut également constater que depuis une trentaine d'années, dans toutes les démocraties libérales, un affaissement de l'autorité de l'État s’opère. Cela génère beaucoup de difficultés pour les gouvernements pour faire respecter l'intégrité de leur territoire, lutter contre le terrorisme, assurer la sécurité des populations, et donc tout simplement pour faire appliquer la loi. Par réaction, les gouvernements édictent des normes qui viennent s'ajouter à des normes, et nous assistons à une sorte de gouvernance par la norme et la création d’une politique sécuritaire « déclarative ». Les gouvernements érigent une sorte de ligne Maginot normative, sachant pertinemment que malheureusement, ces normes ne seront pas appliquées. Il s’agit donc plus d’une forme de politique d'affichage ou d’une politique de communication vis-à-vis du grand public visant à démontrer l'action gouvernementale qu’une réelle action visant à assurer la sécurité des populations.

Pensez-vous qu’un tel dispositif peut-être proportionné ou risque-t-il de porter atteintes de façon disproportionnée aux libertés publiques ?

Guillaume Leroy : Tout d'abord, le premier contrôle qu'exerce le juge consiste à savoir si la mesure permet d'atteindre l'objectif que le pouvoir exécutif s'est fixé. Déjà, quelques lacunes apparaissent. Les enseignements de la crise Covid n'ont pas été pris en considération : les QR Code ne sont pas des moyens efficaces pour assurer l'absence de risque dans une zone délimitée. En effet, de nombreux QR Codes falsifiés circulaient et les contrôles effectués par les forces de l'ordre se sont peu à peu relâchés. Il y a fort à parier que ces phénomènes réapparaitront lors des JO de Paris.

Ainsi, il n'est pas possible d'assurer que cette mesure soit un moyen efficace pour garantir la sécurité des spectateurs et des Parisiens.

Deuxièmement, l'atteinte aux libertés publiques en jeu me semble disproportionné dans le sens ou le droit d'aller et venir dans l'espace public est censé être absolu et ne souffrir d'aucune sorte d'autorisation préalable. Pourtant, l'obtention d'un QR Code constitue précisément une autorisation préalable de circulation dans les zones délimitées. 

Est-ce qu’il existe aujourd’hui un réflexe au sein de l'exécutif et des autorités de toucher et de restreindre les libertés publiques dès qu’il s'agit de renforcer la sécurité de la population depuis la crise sanitaire ?

Cyrille Dalmont : C'est particulièrement évident depuis le début de la crise sanitaire, et cela s'inscrit parfaitement dans la logique que j'ai tenté de démontrer. En effet, face à l'impuissance et à l'affaiblissement de la puissance publique, les gouvernements édictent toujours plus de normes, toujours plus contraignantes pour l'ensemble de la population mais qui finalement n’affectent que les citoyens respectueux des règles. Cela relève véritablement d'une stratégie de communication. Cette approche crée l'illusion d'une action efficace en matière de sécurité et de protection des citoyens. Cependant, les statistiques de la délinquance montrent que son impact est pratiquement nul. En effet, tous les indicateurs de la délinquance sont actuellement en hausse. Nous observons une politique où l'on se montre ferme envers les faibles et conciliant envers les forts. Ainsi, la personne soumise à ces contraintes toujours plus nombreuses pense, de manière tout à fait légitime, que celles-ci s'appliquent à tous. En réalité, elles concernent essentiellement ceux qui respectent la loi. En ce qui concerne la délinquance, ce surplus de normes, de contraintes, voire de contrôles sociaux, et cette multiplication des dispositifs de traçage de la population, ne l’impact en rien. On retrouve donc les concepts chinois du crédit social avec une division de la société entre bon et mauvais citoyen. Cependant il y a une différence majeure entre les deux systèmes, en France seul le bon citoyen subit les conséquences de cette surveillance généralisée.

Si les personnes ayant intérêt à agir décident d'attaquer ce système devant les tribunaux, ont-ils des chances d’obtenir gain de cause ? 

Guillaume Leroy : Le délai de jugement constitue un tamis efficace puisque seule la procédure de référé devant le juge administratif permettra d'obtenir une décision dans le temps qui nous sépare de la cérémonie d'ouverture des JO.

Aussi, le juge des référés est le juge de l'évidence et n'annulera cette décision que si l'atteinte aux libertés publiques est manifestement disproportionnée. Là encore, il convient de se référer à la période du Covid pour entrevoir les réflexes juridiques des juges du Palais Royal : la quasi-intégralité des mesures sanitaires qui lui avait été soumises par les justiciables avaient été validées sans sourciller. A titre personnel, je ne vois aucun élément permettant d'espérer que le Conseil d'Etat infléchira sa jurisprudence en la matière. Le fatalisme ne doit toutefois pas être de mise et j'ose espérer qu'un jour, le pouvoir judiciaire prendra conscience du danger pour notre démocratie que peuvent engendrer ces mesures attentatoires à nos libertés.

Pensez-vous que cette stratégie puisse, à terme, être contre-productive pour le gouvernement?

Cyrille Dalmont : En réalité, cette approche est déjà contre-productive, car nous constatons une stratégie consistant à désigner les réseaux sociaux comme boucs émissaires de tous les maux de la société en raison de l'inefficacité des politiques publiques poursuivies en matière de sécurité ou de lutte contre le terrorisme. Aujourd'hui, les réseaux sociaux sont systématiquement pointés du doigt pour divers problèmes de société, tels que la violence chez les jeunes, les défis éducatifs dans les établissements scolaires et la radicalisation.

En réalité, comme les politiques de communication publique ont peu d'impact concret sur la réalité des Français, il est nécessaire de trouver un responsable, et les réseaux sociaux endossent ce rôle. Mais pourquoi les réseaux sociaux sont-ils ciblés ? Tout simplement parce qu'ils entrent en concurrence avec le gouvernement dans la narration de la réalité. En effet, alors que le gouvernement pouvait autrefois contrôler l'information, en influençant les médias publics tels que les stations de radio ou de télévision, et mener diverses actions directes ou indirectes sur les autres médias traditionnels, les réseaux sociaux permettent désormais une diffusion directe d'informations brutes (parfois brutales) à la population, que ce soit sous forme de vidéos, de messages ou de captures d'écran. Par conséquent, l'inefficacité des politiques publiques en matière de sécurité devient évidente et flagrante aux yeux de tous.

Cette stratégie du bouc émissaire se traduit par une série de lois visant systématiquement à réguler les réseaux sociaux. Comment peut-on les contrôler ? Comment peut-on réduire leur influence ou la viralité des messages qui y circulent ? Comment lutter contre la haine en ligne ? Tout cela constitue un enjeu de compétition dans la manière dont la réalité est décrite. Ainsi, toutes ces politiques de communication, souvent destinées à fantasmer une action inexistante, finissent par se retourner contre le gouvernement.

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