Guillaume Klossa : "L'Europe ne se vit plus qu'au présent alors qu'elle devrait se projeter dans sa puissance future pour ne pas se laisser distancer"<!-- --> | Atlantico.fr
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Les drapeaux des pays membres de l'Union européenne devant le Parlement européen.
Les drapeaux des pays membres de l'Union européenne devant le Parlement européen.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Europe 2040

Le président d’EuropaNova, Guillaume Klossa, et une douzaine de personnalités viennent de remettre un rapport à la présidence belge du Conseil de l’UE sur la transformation de l’Union européenne en puissance globale.

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Alors que le président de la République doit faire un discours de La Sorbonne II sur l’agenda stratégique européen et la puissance, le président d’EuropaNova Guillaume Klossa et une douzaine de personnalités dont l’ambassadeur de France Philippe Etienne et le mathématicien Jean-Pierre Bourguignon co-fondatrices du Conclave, viennent de remettre un rapport à la présidence belge du Conseil de l’UE sur la transformation de l’Union en puissance « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui. Co-construire une puissance globale, durable et responsable » (édition EuropaNova).

Atlantico : Le président Macron a fait savoir que la puissance serait au cœur de son discours de La Sorbonne sur l’agenda stratégique ce sujet, tandis que Mario Draghi et Ursula Von der Leyen viennent de prononcer d’importants discours sur la puissance, est-ce un phénomène de mode ?

Guillaume Klossa : Transformer l’UE en puissance globale est un enjeu existentiel. Certes la question de la transformation de l’Union européenne en puissance a longtemps été tabou. Elle est implicitement au cœur des discussions des Conseils européens depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et plus encore à l’approche de l’élection présidentielle américaine. Il est désormais clair que si l’UE ne se transforme pas rapidement en une puissance géopolitique de premier plan avec ses composantes militaire, d’armement et technologique, elle ne pourra pas soutenir dans la durée l’effort de guerre ukrainien ni même garantir sa propre sécurité. Paradoxalement, l’engagement des Etats-Unis en Europe sera d’autant plus important que Washington prendra au sérieux la volonté de puissance de Bruxelles sur les plans géopolitique, technologique et industriel. Plus que de vassaux, Washington a besoin d’alliés puissants dans un monde post-occidental. La question de la transformation de l’UE en puissance n’est donc pas un phénomène de mode mais une question vitale : soit, comme l’a fait comprendre Mario Draghi à la Hulpe, nous transformons l’UE rapidement en puissance globale avec une ambition de leadership technologique, soit nous ne serons plus en mesure de soutenir notre compétitivité dans un monde désormais fondé sur les rapports de force et la puissance technologique, et l’UE et les pays européens déclineront de manière accélérée.

Comment expliquer ce tabou de l’Europe puissance ? Quel rôle a joué la France ?

Les raisons passées de ce tabou sont multiples. Les Européens ont préféré collectivement investir dans leur modèle social plutôt que dans leur sécurité. Ils se méfiaient également du concept d’Europe puissance souvent porté par la France qu’ils soupçonnaient de volonté hégémonique. Les Allemands, au regard de leur histoire récente, préféraient sous-traiter la protection du vieux continent à l’Amérique. Les Britanniques ne souhaitaient pas que l’UE puisse se doter des attributs de la puissance. Tout cela est désormais du passé. Le discours de La Sorbonne du président Emmanuel Macron a jeté les bases d’un débat continental sur la souveraineté européenne qui était une pré-condition pour briser le tabou de puissance européenne.

Dans votre rapport « Co-construire une puissance globale, durable et responsable », vous démontrez l’existence d’un consensus en construction autour de la puissance européenne, quelles sont les causes de cette mutation ? Comment s’est-il construit ? 

Aujourd’hui, la donne a changé. Avec le Brexit, le véto britannique a disparu. Après le référendum de 2016, Jean-Claude Juncker a mis le sujet de la puissance de l’UE à l’agendaen lançant une réflexion sur les industries de défense européennes et en appelant à la création d’une armée européenne. La pandémie a obligé les Européens à prendre conscience de leur solitude géostratégique et de leurs dépendances. L’invasion de l’Ukraine a constitué un tournant en accélérant la nécessaire reprise en main par les Européens de leur sécurité dans le cadre d’un partenariat renouvelé avec les Etats-Unis. Le conflit entre Israël et le Hamas a constitué un choc de plus avec une UE en situation d’observateur.

Ces chocs ont engendré une évolution des opinions publiques des 27 de sorte que ce qui était inenvisageable avant le référendum britannique de 2016 peut devenir désirable : la transformation de l’UE en une puissance globale, durable et responsable. C’est le sens d’un nouveau consensus résultant des travaux d’un groupe de 46 personnalités représentant la diversité géographique et politique de l’UE qui se sont réunies en Conclave en novembre à Cascais au Portugal. Leur rapport « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui »* vient d’être remis au Premier ministre belge de Croo, président en exercice du Conseil de l’Union européenne ainsi qu’à la présidence du Conseil européen. 

La montée de l’extrême-droite partout en Europe ne risque-t-elle pas de freiner cette évolution?

Cette montée est ambiguë car l’extrême-droite semble s’européaniser comprenant que la seule manière de gagner en électorat est de mettre de côté « exit » et la sortie de l’Europe. Les citoyens ont compris que la puissance européenne était indispensable, les électeurs des extrêmes compris, mais il est clair que ces derniers feront tout pour freiner un agenda de puissance européen, c’est donc un risque de frein majeur. 

Le risque de la puissance européenne n’est-il pas de singer les Etats-Unis ou la Chine ?

Pour les participants du Conclave, l’enjeu n’est pas de copier les superpuissances, mais de bâtir avec les citoyens de l’Union une grande puissance démocratique, multinationale et plurilingue, qui au-delà de ses compétences en matière normative et de commerce, développe des compétences renforcées dans tous les domaines stratégiques comme la science et la technologie et tous les secteurs clés pour l’avenir dont l’environnement, la santé, la défense et le spatial qui doivent bénéficier d’un marché unique enfin achevé permettant à toute entreprise de se projeter à l’échelle de l’Union dès sa naissance. Une UE qui renforce ses capacités de décision, d’exécution et de financement et change d’état d’esprit pour se transformer, tirer parti de sa taille et démontrer sa capacité d’accélération dans un monde qui ne l’attend pas. Cette Union transformée doit garantir la sécurité et la cybersécurité des 27 Etats membres et de son environnement proche tout en les aidant à produire les nouveaux biens communs attendus par les citoyens de l’Union en termes de démocratie, d’éducation, de climat, d’agriculture, d’infrastructures énergétique et numérique et de culture… qu’aucun Etat membre ne peut produire seul. Cette puissance européenne devra faire preuve d’empathie et de responsabilité pour assumer un rôle clé dans le nécessaire apaisement des tensions internationales. La transformation de l’Union en puissance de nouvelle génération s’appuyant sur un véritable espace démocratique transnational et plurilingue rendu possible par les progrès de l’IA est aujourd’hui une ambition envisageable pour les citoyens. 

Mario Draghi dans son discours de la Hulpe la semaine dernière et Ursula von der Leyen, ce lundi, ont repris vos propositions dans leurs propos, le président de la République a annoncé que son discours de La Sorbonne porterait sur la puissance, quel est l’enjeu d’inscrire la puissance européenne au cœur du débat public maintenant ?

La campagne européenne porte aujourd’hui essentiellement sur l’actualité alors que ce qui se joue, c’est l’avenir. La question de la transformation de l’UE en puissance est la question existentielle à laquelle les Européens doivent répondre. Elle doit être au cœur des débats électoraux européens. Il est également crucial que l’ambition de transformer l’UE inspire le nouvel agenda stratégique 2024-2029 qu’adopteront en juin prochain les chefs d’Etat et de gouvernement des 27. Cet agenda qui déterminera le programme de travail des trois institutions de l’Union que sont le Parlement, le Conseil et la Commission, façonnera l’Europe du futur et donc celle de 2040. Plus que jamais pour les Européens, demain se joue dès aujourd’hui.  

Le rapport « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui – co-construire une puissance globale, durable et responsable » a été écrit sous la responsabilité du board du Conclave comprenant, outre Guillaume Klossa, coordinateur du rapport, une douzaine de personnalités dont Étienne Davignon et Antonio Vitorino, anciens commissaires européens, les ambassadeurs d’Italie, de France et de Slovénie, Piero Benassi, Philippe Etienne et Peter Grk, Jean-Pierre Bourguignon, ancien président du Conseil européen de la Recherche, les professeurs Aart de Geus, ancien SGA de l’OCDE, Maria Joao Rodrigues, négociatrice du traité de Lisbonne, Grégoire Roos, directeur de programme à la Fondation BMW, Daniela Schwarzer, administratrice de la fondation Bertelsmann, Loukas Tsoukalis, président d’ELIAMEP, professeur à Sciences-Po Paris ainsi que la directrice générale de Re-Imagine Europa, Erika Von Holstein.

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