Publié en 1947, un livre célèbre a contribué à changer la « donne » hexagonale en matière de géographie nationale et de gestion de l’espace économique et démographique : Paris et le Désert Français. Il a contribué à familiariser le public français et les hommes politiques avec un état de fait qui jusque-là n’avait frappé que quelques illuminés provincialistes : Paris et sa région dominaient la France non seulement parce que la ville-lumière détenait le pouvoir politique, mais aussi parce qu’elle disposait de tous les leviers économiques et financiers et attirait à elle tout ce que la France comptait de ressources intellectuelles, techniques et financières, sans restituer une once de la richesse « détournée ».
Elle se comportait en prédatrice, dévorant l’énergie des autres régions dans le seul intérêt d’une bourgeoisie financière, Paris, créait autour d’elle un désert.
Cet ouvrage et ses successeurs ne comptèrent pas peu dans la mise en œuvre de la fameuse « politique d’aménagement du territoire » : l'abandon de parties entières du territoire, enclavées et sans ressources solides allait, si on laissait faire, accélérer un processus de destruction sanctionné par le départ des éléments les plus instruits et les plus dynamiques. L’hypertrophie du centre conduisait à des déséconomies d’échelle par saturation démographique et par étouffement des moyens de transports, le sous-développement de la périphérie se traduirait par une agriculture de subsistance, un sous-emploi local chronique et la généralisation d’un assistanat débilitant. Ce cycle spiralant d’appauvrissement conduirait à l’éclatement de la nation.
Le développement économique des pays ou de groupes de pays ne se déroule pas comme la théorie imagine que les marchandises sont produites et échangées sur les marchés de concurrence pure et parfaite. Le développement est un processus d’accumulation vertueuse dont les composantes humaines, intellectuelles, technologiques, scientifiques et financières se combinent de façon complexes. Les économistes français du développement et tous ceux qui vivaient dans les marges de la « planification à la française », étaient convaincus que la croissance et le développement d’un pays sont le fait de pôles qui structurent l’espace qui les entoure et les animent de mouvements centripètes. Qui peuvent aussi le détruire dans des mouvements centrifuges. Pendant de nombreuses années de domination américaine de l’économie mondiale, les Etats-Unis, en tant que pôle économique dominant, ont progressivement vidé les espaces économiques adjacents de leurs ressources humaines en siphonnant leurs forces vives : l’indicateur le plus pertinent étant un mouvement d’immigration massive en provenance des pays d’Amérique centrale et d’Amérique du sud.
Pouvait-on comparer le mode de fonctionnement des pôles de développement aux théories sur la gravitation des corps célestes ? Il est vrai que virent le jour de passionnantes théories sur la déformation des espaces économiques et financiers dus à la présence de corps massifs : les très grands pôles économiques. Peu importe que la dynamique des grands ensembles éco-territoriaux soit proche ou non des théories sur la gravitation universelle, le fait est que ces théories avaient toutes en commun cette idée que la distribution des richesses, des moyens de production, des réseaux de communication et des ressources intellectuelles et technologiques n’était pas uniforme ni homogène sur l’étendue d’un territoire. Les concentrations de moyens, fruits d’évolutions historiques ou de révolutions technologiques constituait une contrainte, mais aussi, un levier, un moyen incontournable de toute politique d’équilibrage territorial et par conséquent social.
Que valent ces idées maintenant ? On ne débattra pas de l’efficacité ou des erreurs de la politique d’aménagement du territoire en France. On relèvera qu’actuellement, un gigantesque pôle économique a émergé : l’Allemagne.
Peut-on dire de l’Allemagne qu’elle est devenue un pôle économique dominant à l’égard de l’Europe, comme la Région parisienne l’était devenue à l’égard de la France ? Le critère le plus pertinent de cette transformation, on le trouve dans la balance commerciale de l’Allemagne et l’importance de ses exportations dans la zone européenne. Les chiffres sont impressionnants puisque l’excédent commercial allemand a atteint, en 2012, 158 milliards d'euros contre 155 milliards d'euros l'année précédente. Même si l’Allemagne n’est plus le premier exportateur du monde, venant d’être dépassée par la Chine, elle a cependant dépassé pour la première fois le cap des 1000 milliards d’Euros. Ce qui est très parlant pour la qualification d’un pôle économique dominant : les exportations allemandes ont été dirigées à hauteur de plus de 70% sur les pays de l’Union européenne et le solde excédentaire ce concentre à plus de 50% sur les pays de la zone euro. Dans l’univers européen, l’Allemagne tire l’économie de l’ensemble à elle-même.
Allons plus loin : devant le déficit de solidarité européenne entre pays en difficulté et pays «florissants» c’est-à-dire devant la « dés-intégration » des économies locales et régionales européennes, l’Allemagne est devenue le réceptacle des capitaux internationaux, mais surtout de ceux qui proviennent des « pays du Sud », capitaux fuyant l’austérité ou capitaux flottants cherchant la sécurité. Exemple topique de ce phénomène « attraction-siphonage » : les interventions de la BCE. Celles-ci, pour soutenir les banques espagnoles, portugaises et italiennes ont provoqué des mouvements considérables de capitaux dans le système des paiements Target ; Ils se sont retrouvés dans le système bancaire allemand, havre pour capitaux inquiets, déversoir de capitaux en excédent et en attente de placements ! Le Président de la Bundesbank s’en est inquiété auprès de son homologue de la BCE : progressivement, la Banque centrale allemande accumulerait des risques considérables sur la Banque centrale européenne !
Solde commercial considérablement excédentaire, balance des paiements de plus en plus excédentaire, est-il surprenant dans ces conditions que le Président de la Bundesbank, ait souhaité rapatrier les réserves d’or qui étaient stockées à New-York et à Paris et qui sont parmi les plus importantes du monde ? L’habitude avait été prise qu’elles fussent gardiennées en dehors du sol allemand. L’accumulation a-t-elle provoqué cette rupture des bonnes habitudes ?
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