Atlantico : Alors que l'Occident et ses alliés préparent l'attaque imminente de la ville irakienne de Mossoul, actuellement occupée par l'Etat Islamique, et que le régime syrien et la Russie attaquent, eux, la ville syrienne d'Alep, partiellement occupée par les rebelles, quelles conséquences peut-on attendre d'une potentielle victoire de ces deux grands pôles dans ces deux villes respectives ? Si la guerre cessait, qu'adviendrait-il des frontières de l'Irak et de la Syrie ? Cette question n'est-elle pas prioritaire à toute autre, le combat a-t-il lui-même un sens avant d'en avoir défini l’objectif ?
Frédéric Encel : Deux questions essentielles en une.
A la première, je vous dirais d'abord que ce que vous appelez les deux pôles - l'alliance Russie/Assad/Iran/Hezbollah à Alep, et la coalition internationale anti-Daesh à Mossoul - sont absolument certains de l'emporter. Militairement, de part et d'autre, le rapport de force est largement à leur avantage respectif. Ensuite, le vrai problème de fond est le suivant, qui dépasse de loin les questions tactiques de coalition et d'emploi de tel armement ici ou là : une fois de plus, le monde arabe se retrouvera non seulement affaibli, morcelé, mais désespérément impuissant face à ses voisins, amis, alliés, ennemis ou anciens dominateurs. A Mossoul et de façon générale face aux barbares de l'Etat islamique, qui donc s'est battu vaillamment et avec efficacité jusqu'à présent ? Les Kurdes. Et à présent, qui donc va permettre la victoire de la coalition hétéroclite contre Daesh ? Les aviations, quasi-exclusivement occidentales, américaine et française notamment. En Syrie, qui a d'ores et déjà assuré le maintien au pouvoir (que j'annonçais et affirmais voilà déjà cinq ans et sans discontinuer depuis !) de Bachar el-Assad ? L'Iran et la Russie. Et comme toujours, à la fin des fins, qui proposera - ou imposera - une nouvelle stabilité régionale ? Les grandes puissances mondiales (au Conseil de sécurité) et locales (Iran, Turquie, et même sans rapport direct Israël) dont absolument aucune n'est arabe... De cette réalité d'impuissance pérenne et même de chaos, les populations arabes sont exaspérées mais n'y peuvent rien.
A la seconde question, je répondrais que les frontières originelles de la Syrie et de l'Irak, en aucun cas sacrées, étaient de toute façon déjà largement plus que virtuelles depuis plusieurs années ; nord-syrien aux mains des Kurdes, est-syrien à celles de Daesh aujourd'hui, sans doute de tribus sunnites demain. Quant à l'Etat irakien, créé artificiellement en 1931-1932 par les Britanniques, la guerre de libération du Koweït en 1991 l'avait déjà affaibli et celle de 2003 ébranlé définitivement ; le Kurdistan est de facto indépendant, et jamais les chiites majoritaires (sud) n'accepteront de retomber sous la férule des sunnites. Ces Etats, dans les frontières initiales, ont vécu.
Pour ce qui est de la situation irakienne et la cohabitation entre chiites et sunnites, on ne peut pas contraindre des collectifs à vivre ensemble et dans des statuts politiques qu'ils dénient. Si Daesh n'a pas été vaincu avant (et ne le sera pas avant de longs mois), c'est bien parce que les Kurdes non arabes, les chiites non sunnites, les bédouins non citadins n'avaient que peu d'appétence à aller "libérer" une Mossoul qui n'intégraient pas leurs collectif respectif, et qu'aller mourir pour Mossoul ne les intéressait pas beaucoup.
Au-delà, je pense qu'en Syrie et en Irak, sunnites et chiites vivront vraisemblablement plus séparés qu'au cours des décennies passées, tant l'instrumentalisation par l'Arabie saoudite et l'Iran du religieux au profit du politique aura été grande.
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