Justice : comment les réformes ont conduit à une plus grande mansuétude dans l’exécution des peines<!-- --> | Atlantico.fr
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Un travailleur de l'administration pénitentiaire dans une prison en France.
Un travailleur de l'administration pénitentiaire dans une prison en France.
©DENIS CHARLET / AFP

Bonnes feuilles

Georges Fenech publie « L'ensauvagement de la France La responsabilité des juges et des politiques » aux éditions du Rocher. Règlements de comptes entre bandes rivales, émeutes urbaines, actes de terrorisme, agressions à l'arme blanche... La France est frappée en plein coeur par un ensauvagement sans précédent. Confronté à une double fracture identitaire et sécuritaire, notre pays vit aujourd'hui sous la menace réelle d'un « face-à-face ». Georges Fenech décrit de l'intérieur le hold-up sur la justice par un clan idéologisé. Extrait 2/2.

Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée, le simple bon sens voudrait qu’elle soit entièrement exécutée, après déduction des seules remises de peine pour bonne conduite. Or, en pratique, tout est mis en œuvre pour qu’une peine de prison soit très rapidement transformée en autre chose, ou peu ou prou exécutée.

Le premier palier a été franchi en 1985, lorsque Robert Badinter décide de ne plus mettre à exécution les emprisonnements jusqu’à 6 mois. Dorénavant, il revient au juge d’application des peines la mission de leur substituer une mesure alternative, en accord avec l’intéressé. La droite va suivre le même mouvement de générosité. Ainsi, en 1996, Jacques Toubon porte ce délai de 6 mois à un an d’emprisonnement, pour pouvoir bénéficier d’un aménagement total de la sanction. Puis, en 2009, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Rachida Dati l’élargit jusqu’à deux ans!

Une loi du 23 mars 2019 va rectifier le tir en revenant au délai plus raisonnable d’un an.

Lorsqu’une peine est tout de même mise à exécution, on s’évertue à y mettre un terme au plus vite, par le jeu des réductions exceptionnelles ou d’une libération conditionnelle anticipée. On aura compris que cette dévitalisation de la sanction n’a pas été que l’apanage de la gauche. À preuve, sous Nicolas Sarkozy, Rachida Dati, ministre de la Justice, diffuse une circulaire particulièrement bienveillante à l’égard des délinquants: « En matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours, si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. Dans ce cas, la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une mesure d’aménagement. »

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Voyons maintenant comment, en pratique, les peines de prison sont mises à exécution. La loi prévoyant donc que toute condamnation jusqu’à un an peut être aménagée, l’extrait de jugement est obligatoirement adressé par le procureur au juge de l’application des peines. Ce magistrat, surnommé par les mauvaises langues le « juge de l’inapplication des peines  », convoquera librement le condamné pour étudier, avec son consentement, les modalités d’un aménagement total de sa peine. Il lui proposera, à la carte, un travail d’intérêt général, un placement sous surveillance électronique, une semi-liberté,  etc. Et le tour est joué! L’heureux bénéficiaire de cette mesure d’aménagement ab initio n’aura pas effectué un seul jour de détention. Ainsi, dans notre système peu commun, un juge solitaire, dans le huis clos de son cabinet, s’attelle méthodiquement à défaire la condamnation prononcée par une juridiction collégiale. Il n’en a pas toujours été ainsi.

Lorsque, dans les années 1980, je débutais ma carrière au parquet, les choses étaient bien différentes. Une fois la condamnation prononcée, j’adressais l’extrait de jugement non pas au juge de l’application des peines, mais aux forces de l’ordre en y apposant la mention «  Bon pour écrou ». Aussitôt, le condamné était conduit à la maison d’arrêt, menottes aux poignets, sans bénéficier du passage miraculeux chez le juge d’application des peines. Ce n’était qu’en cours d’exécution que le juge d’application des peines pouvait aménager la peine en fonction de la bonne conduite et des efforts de réinsertion. Ces temps sont bien révolus! Aujourd’hui, tout est fait pour éviter la prison, au motif qu’elle serait elle-même criminogène.

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Ainsi, tout au long de ma carrière de magistrat, et sous tous les gouvernements, j’ai ressenti cette culpabilisation d’exercer un métier à connotation répressive, tant les réformes législatives et les circulaires nous incitaient à la plus grande mansuétude.

Or, depuis 1764, époque des travaux du criminologue italien Cesare Beccaria, nous savons que « la certitude d’une peine, même modérée, fera toujours plus d’impression que la peur d’une autre, même plus terrible, mais qui serait souvent inappliquée.  » Aujourd’hui, non seulement la sanction tout juste prononcée fond comme neige au soleil, mais, de surcroît, les courtes peines d’emprisonnement ont quasiment disparu de l’arsenal répressif.

En effet, depuis la loi du 23 mars 2019, votée sous le ministère de Nicole Belloubet et mise en œuvre par Éric Dupont-Moretti, il faut dorénavant distinguer selon sa durée. La peine de moins d’un mois n’existe plus. Jusqu’à 6 mois ferme, elle est transformée sur le siège en autre chose, comme le travail d’intérêt général, le bracelet électronique, ou le placement à l’extérieur. Jusqu’à un an ferme, le tribunal dispose, cette fois, de la simple faculté de l’aménager entièrement. En cas contraire, le condamné peut se rassurer, le juge de l’application des peines s’en chargera.

Pour justifier d’une telle générosité, politiques et juges s’abritent derrière l’idée reçue que la prison serait la meilleure école du crime. Or, plusieurs enquêtes réalisées par le ministère de la Justice lui-même ont prouvé tout le contraire: le risque de récidive est inversement proportionnel à la longueur de la peine; plus la sanction est courte, et moins le petit délinquant risque de récidiver. On peut en déduire que la peine de prison, même brève, n’encourage pas à la délinquance, bien au contraire, elle en dissuade, surtout le délinquant occasionnel, à la différence notable du délinquant d’habitude.

Ces conclusions sont vérifiées par toutes les analyses criminologiques, ainsi que par certaines expériences étrangères. Aux Pays-Bas, où l’on prononce deux fois plus de courtes peines qu’en France proportionnellement à leur population, on enregistre deux fois moins de condamnés emprisonnés. Résultat? On est passé d’environ 20 000 détenus en 2004 à 11000 en 2020, soit une division par deux !

En France, où l’on a fait le choix d’éviter la courte incarcération, on en mesure aujourd’hui les conséquences en termes de récidive. Cette dénaturation de la sanction ne date pas d’aujourd’hui. Depuis un demi-siècle, tout a été imaginé pour accélérer les libérations anticipées. En 1972 ont été créées les remises de peine pour bonne conduite, auxquelles sont venues se rajouter en 1975 des remises supplémentaires pour récompenser des efforts particuliers, comme, par exemple, l’obtention d’un diplôme. Ces remises se cumulent à leur tour avec le droit à une libération conditionnelle dès la mi-peine. Ajoutons enfin que, jusqu’au 1er janvier 2023, ces réductions étaient étonnamment accordées dès le premier jour d’incarcération, sous forme de crédit de peine, sans même attendre de connaître le comportement futur du condamné en détention.

Voilà comment, sous gauche et droite confondues, le slogan du Syndicat de la magistrature « Chassons la prison de la tête des juges » est devenu une réalité. D’un côté, on incarcère avec parcimonie, et de l’autre, on fait jouer à fond les mécanismes d’allègement des peines. Ainsi, par le simple jeu des réductions automatiques pour bonne conduite, un condamné à 10 ans de prison, dans la réalité, n’effectuera au bout du compte que 4 à 5 ans. Finalement, la prison ne fait plus peur aux récidivistes. Ce d’autant que nombre de plaintes déposées par les victimes et d’enquêtes diligentées par les policiers et les gendarmes, n’aboutissent jamais devant un tribunal.

Souvenons-nous du cri de colère lancé le 20 mai 2021 par les policiers devant l’Assemblée nationale: « Le problème de la police, c’est la justice! » (voir supra page 142). Les forces de police exprimaient leur exaspération de retrouver en liberté des délinquants interpellés la veille, et quelquefois au péril de leur vie.

Alors, la faiblesse de la réponse pénale, que dénoncent les forces de l’ordre, est-elle un mythe ou une réalité? Pour le ministère de la Justice, aucun doute, il s’agit d’une vue de l’esprit. Et d’afficher un taux de réponse pénale exceptionnel s’élevant à 91% ! Que faut-il en penser? Est-ce que vraiment 9 affaires sur 10 sont traitées par des juridictions, dont nous savons qu’elles sont au bord du gouffre? Voyons, chiffres à l’appui, ce que cache ce pourcentage exceptionnel, destiné, à l’évidence, à faire taire les récriminations des syndicats de police et dans le même temps à rassurer une opinion publique, dont toutes les enquêtes révèlent la perte de confiance en l’institution judiciaire.

Selon un sondage IFOP du 24 juillet 2022, 73% des Français estiment que «  la justice fonctionne mal  » et 65% trouvent « les juges pas assez sévères ».

Pour retrouver l'entretien de Georges Fenech sur Atlantico à l'occasion de la sortie de son livre : cliquez ICI

Extrait du livre de Georges Fenech, « L'ensauvagement de la France La responsabilité des juges et des politiques », publié aux éditions du Rocher

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