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. Interrogés sur la réponse qu’ils exprimeraient s’ils devaient voter aujourd’hui pour ou contre le traité de Maastricht, 64% des votes des Français pencheraient pour le "non", sonnant le glas du Traité.
. Interrogés sur la réponse qu’ils exprimeraient s’ils devaient voter aujourd’hui pour ou contre le traité de Maastricht, 64% des votes des Français pencheraient pour le "non", sonnant le glas du Traité.
©Flickr

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Montée du FN dans les intentions de vote pour les élections européennes de 2014, des Français plus attachés à leur pays qu'à l'Union,etc. Selon une analyse de l'Ifop, les Français perçoivent mal les bénéfices de la construction européenne, un jugement renforcé par la crise économique.

Anne-Sophie   Vautrey et Esteban Pratviel

Anne-Sophie Vautrey et Esteban Pratviel

Anne-Sophie Vautrey est chef de groupe au département Opinion et Stratégies d'entreprises de l'Ifop.

Esteban Pratviel est chargé d'études au département Opinion et Stratégies d'entreprises de l'Ifop.

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Vers une percée historique du Front National aux élections européennes de 2014 ?

A un an de l’échéance électorale qui verra les représentants français au Parlement européen remettre leurs mandats en jeu, la mesure des intentions de vote réalisée par l’Ifop pour Valeurs Actuelles dans la perspective du scrutin de mai 2014 livre un rapport de forces inédit entre les différents mouvements susceptibles de présenter une liste. Avec 21% des suffrages exprimés, le Front National serait au coude-à-coude avec les deux familles qui se disputent les victoires de tous les scrutins organisés depuis l’instauration de la Cinquième République en 1958. Nettement en retrait, le Front de Gauche obtiendrait 9% des votes exprimés, mais devance Europe Ecologie Les Verts (7,5%), le MoDem (7%) et l’UDI (6,5%), tandis que les listes présentées par Debout La République et le Nouveau Parti Anticapitaliste ne recueilleraient de leur côté que 2% des voix.

Question : Si les élections avaient lieu dimanche prochain, parmi les listes suivantes, pour laquelle y aurait-il le plus de chance que vous votiez ?

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Clairement eurosceptique, véhément à l’égard de Bruxelles et de l’Union européenne de manière générale dans ses discours et son programme, le Front National verrait son score multiplié par trois par rapport aux élections européennes de 2009 (7% des suffrages en 2009). Certes, les résultats obtenus en 2009 traduisaient un recul par rapport aux échéances précédentes, mais il n’avait auparavant jamais été au-dessus de 10%, même en y ajoutant les voix du Mouvement National Républicain, autre force d’extrême-droite (9% en 1999, 10% en 2004). Comparé à un autre scrutin national, le parti dirigé par Marine Le Pen bonifierait son score du premier tour de la dernière élection présidentielle de près de 3 points, alors même que ce résultat constituait à date son score maximal à une élection nationale.
Parallèlement, les rapports de forces mesurés dans cette intention de vote constitueraient, s’ils étaient confirmés en juin 2014, un camouflet significatif pour les mouvements pro-européens. D’une part, le Parti Socialiste et l’UMP, rejoints pour la première fois par une force eurosceptique, subiraient un nouvel échec conjoint dans l’histoire de la construction européenne après les précédents Maastricht de 1993 et du référendum de 2005. D’autre part, Europe Ecologie Les Verts ne tirerait pas parti d’un scrutin qui lui est a priori plus favorable. En perdant près de 9 points entre 2009 et 2014, le parti écologiste serait devancé par le Front de Gauche, confirmant l’inversion du rapport de forces entre les deux mouvements observé lors de l’élection présidentielle de 2012. Les prises de position sur différentes problématiques européennes et critiques émises par plusieurs personnalités du Front de Gauche sur la gouvernance actuelle de l’Union européenne n’y sont certainement pas étrangères. Ajoutons que la stagnation du MoDem et le faible score de l’UDI, qui semble parvenir seulement à prendre des voix à l’UMP, constituent une autre information. Ces deux mouvements partisans du fédéralisme européen ne réussissent pas de percée électorale à la mesure de leurs espérances.

La traduction électorale des précédents de 1992 et de 2005 ?

Cette dynamique plutôt favorable aux formations politiques eurosceptiques fait écho à deux avertissements significatifs déjà lancés par les Français au sujet de la construction européenne. En 1992, la victoire de justesse du "oui" lors du référendum de ratification du traité de Maastricht avait déjà constitué une victoire en trompe-l’oeil pour les partis de gouvernement qui avaient pris position officiellement en sa faveur. En 2005, le refus du peuple français de ratifier le traité établissant une Constitution pour l’Europe demeurait un nouvel échec singulier pour les deux partis dominants qui penchaient à cette occasion pour le "oui". D’ailleurs, à l’occasion du vingtième anniversaire du référendum sur le Traité de Maastricht, qui avait été marqué par le scepticisme induit par la courte victoire du "oui", un sondage Ifop pour Le Figaro confirmait que les doutes exprimés lors de ce scrutin n’avaient pas disparu loin s’en faut. Interrogés sur la réponse qu’ils exprimeraient s’ils devaient voter aujourd’hui pour ou contre, 64% des votes des Français pencheraient pour le "non", sonnant le glas du Traité.

Question : Le 20 septembre 1992 eut lieu en France le référendum sur le ratification du traité de Maastricht. Ce traite instaurait la création d'une monnaie unique. 20 ans après, si c'était à refaire, voteriez-vous "oui" ou "non" à ce référendum ? (question posée uniquement aux personnes nées en 1974 ou avant)

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A travers cette opposition, une majorité de Français confirme ainsi son scepticisme à l’égard des effets de la construction européenne sur leur quotidien. Il s’exprime d’ailleurs auprès de populations particulières. Se fait jour en effet un premier clivage en fonction de son statut. Les actifs se prononceraient aujourd’hui majoritairement en faveur du "non" (74%), tandis que les retraités seraient partagés (50% en faveur du "oui", contre 50% en faveur du "non"). Mais opère également un clivage au sein-même des actifs. Les catégories socioprofessionnelles les plus aisées s’opposeraient à une courte majorité à la ratification du traité de Maastricht (53%), se différenciant des catégories les plus modestes parmi lesquelles le pourcentage de rejet du traité atteindrait 89%.

Ces lignes de fracture au sein de la population française sont perceptibles lorsque l’on examine le rapport des Français à l’Union européenne de manière plus globale. Par exemple, en agrégeant les voix des formations eurosceptiques d’une part, et celles des formations européistes de l’autre, et donc en s’éloignant du clivage traditionnel gauche-droite, elles se retrouvent dans la mesure des intentions de vote réalisée à un an des élections européennes de 2014. Le vote européiste apparaît en effet plus marqué parmi les retraités, 76% d’entre eux portant leurs suffrages sur des listes de ce type, lesquels se démarquent de ce fait des populations actives (59% en faveur des formations européistes). Au sein-même des actifs se retrouve également l’opposition entre catégories socioprofessionnelles aisées, parmi lesquelles les listes européistes recueilleraient 69% des voix, et catégories socioprofessionnelles plus modestes, plus partagées (49% en faveur des listes européistes contre 49% en faveur des listes eurosceptiques).

Question : Si les élections européennes avaient lieu dimanche prochain, parmi les listes suivantes, pour laquelle y aurait-il le plus de chance que vous votiez ?

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La montée en puissance des mouvements eurosceptiques, du Front National et du Front de Gauche dans une moindre mesure, additionnée aux signaux forts envoyés par de larges pans de la société française conduit à s’interroger sur la teneur et la profondeur de la défiance exprimée à l’égard de l’Union européenne et de sa construction.

Des Français très attachés à leur pays, à leur région et à leur commune, beaucoup moins à l’Union Européenne.

Si les Français se montrent majoritairement attachés à l’Union Européenne, ils témoignent un sentiment d’appartenance plus marqué envers leur pays, leur région ou même leur commune. Les Français ont tissé un lien très fort avec leur pays : 92% d’entre eux se disent attachés à la France, et parmi eux, 59% déclarent même y être "très attachés". De même, leur sentiment d’appartenance à leur région et à leur commune apparait particulièrement marqué, plus de huit personnes sur dix se disant attachées à leur région (83%, dont 43% très attachées) ainsi qu’à leur commune (80% dont 34%). En revanche, bien que l’attachement à l’Europe soit majoritaire, le lien qui unit les Français à l’Europe paraît plus distendu : 65% d’entre eux se disent attachés à l’Europe, mais seulement 23% y sont "très attachés". Interrogés au sujet de leur rapport à la construction européenne, les Français font une nouvelle fois montre d’un attachement majoritaire, mais peu intense. Ainsi, 53% d’entre eux se disent attachés à la construction européenne, et 19% y sont même "très attachés". A l’opposé, 47% déclarent ne pas être attachés à la construction européenne, dont 19% "pas du tout". On observe que les Français âgés de 65 ans et plus, nés pendant ou au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et ayant connu les prémices de la construction européenne, se montrent les plus attachés à ce processus. De manière attendue, les réponses des personnes interrogées varient sensiblement selon leur proximité partisane : ainsi, 68% des sympathisants de l’UMP ainsi que 56% des sympathisants du PS et du Modem manifestent leur attachement à la construction européenne, tandis que huit sympathisants du FN sur dix n’y sont pas attachés.

Une perception lacunaire des bénéfices de l’appartenance à l’Union Européenne.

Plusieurs facteurs peuvent être mis en avant pour expliquer l’attachement mêlé de circonspection des Français à l’égard de l’Europe. Tout d’abord, une proportion significative de la population peine aujourd’hui à percevoir l’intérêt pour la France d’appartenir à l’Union Européenne. En effet, seuls 49% des Français considèrent qu’il est dans l’intérêt de leur pays d’appartenir à l’Union européenne. Dans le détail, l’intérêt perçu de l’appartenance à l’Union Européenne apparaît fortement corrélé au vote exprimé lors du référendum de 2005 : 86% des personnes ayant voté en faveur de la Constitution Européenne estiment qu’il est dans l’intérêt de la France d’appartenir à l’Union Européenne, tandis que 48% des "nonistes" pensent le contraire.
Une majorité relative de Français considère de surcroît que l’appartenance à l’Union européenne comporte plus d’inconvénients que d’avantages pour le pays (48%, tandis que 45% pensent le contraire). Le regard porté sur l’impact de l’appartenance de la France à l’Union Européenne pour leur région est un peu plus bienveillant (48% considèrent que cela a comporté plus d’avantages que d’inconvénients, contre 41% d’un avis opposé). Le déficit d’information concernant les actions menées par l’Union Européenne permet certainement d’expliquer en partie les difficultés des Français à appréhender les avantages apportés par l’Union Européenne. Ainsi, à peine un Français sur quatre connaît les aides financières émanant de l’Union Européenne : en effet, respectivement 25% et 21% des Français se disent bien informés au sujet des aides financières apportées en France et dans leur région. Corollaire du manque de visibilité des actions déployées à l’échelon européen, moins d’un Français sur trois pense bénéficier en tant que citoyen des actions financées par l’Union Européenne dans sa région.

In fine, ce déficit d’information impacte l’image des instances européennes.

La complexité et le manque de lisibilité de l’action d’une Europe jugée abstraite et lointaine engendre en effet au sein du grand public des doutes quant à sa portée et à son efficacité. Ainsi, une large majorité de la population française estime que les pouvoirs attribués à la Cour de Justice de l’Union Européenne (76%), au Parlement européen (69%) à la Commission européenne (65%) et à la Banque centrale européenne (61%) sont insuffisants. De ce fait, la confiance des Français à l’égard de ces institutions apparaît limitée. Si la confiance à l’égard de l’Union Européenne dans son ensemble est assez nettement majoritaire (57%), l’Euro (52%) et la Commission européenne (51%) suscitent des jugements plus mitigés. En revanche, une majorité de Français exprime sa défiance à l’égard de la Banque centrale européenne (56% déclarent ne pas lui faire confiance). Il convient de souligner que le regard particulièrement critique porté sur la Banque centrale européenne résulte très certainement du contexte de crise économique, les données mentionnées ci-dessus ayant été recueillies en septembre 2011, en plein cœur de la crise grecque, avant l’adoption du plan anticrise d’octobre 2011 et la tenue du Conseil européen des 8 et 9 décembre 2011 ayant débouché sur la conclusion d’un nouveau pacte budgétaire.

Face à la crise, les Français dénoncent le manque de coordination des politiques économiques à l’échelle européenne et la monnaie unique.

De manière attendue, la crise économique a une forte incidence sur le jugement porté par les Français sur l’action de l’Union Européenne en matière économique et monétaire. Ainsi, huit Français sur dix considèrent que l’Union Européenne n’agit pas efficacement pour limiter les effets de la crise économique actuelle. On observe de surcroît que l’ensemble des franges de la population font preuve de la même sévérité. Les critiques les plus virulentes émanent des sympathisants du Front National, dont 90% pointent l’inefficacité de l’action menée par l’Union Européenne dans les domaines économique et monétaire.
De façon plus surprenante, alors qu’il est généralement établi que la mondialisation et la crise ont amené les Français à faire preuve de défiance vis-à-vis de l’Union Européenne, les critiques exprimées à l’égard de l’action économique et monétaire de l’Union Européenne semblent au contraire indiquer que les Français souhaitent que l’Europe ait davantage de latitude pour agir de manière collective et coordonnée. En effet, 64% d’entre eux jugent qu’ils seraient mieux protégés face à la crise actuelle si la France prenait des mesures et les appliquait de manière coordonnée avec les autres pays de l’Union Européenne. Une majorité de Français va plus loin, considérant que les décisions à l’échelle européenne doivent être prises à la majorité des Etats membres, même si cela signifie dans certains cas que la France peut se trouver en minorité (64%). A l’opposé, 35% jugent que les décisions doivent être prises à l’unanimité des Etats membres, même si cela risque de bloquer ou de retarder certaines décisions. La création d’un poste de ministre de l’Economie et des Finances européen est également souhaitée par sept Français sur dix.
Invités à exprimer leur opinion sur la manière dont la crise économique a été gérée au niveau européen, les Français dressent un constat sans appel : 68% considèrent en effet que, contrairement à leurs souhaits, les intérêts nationaux l’ont emporté sur la cohésion européenne. Nul doute que cette vision d’une Europe peu soudée et incapable de réagir collectivement explique en grande partie le regard critique porté sur son action dans les domaines économique et monétaire.

Les Français se montrent particulièrement sévères à l’égard de l’euro, qui selon eux a contribué à accroître les difficultés rencontrées par l’Union Européenne et par leur pays.Ainsi, 45% d’entre eux considéraient en septembre 2012 que la monnaie unique a constitué un handicap durant la crise économique et financière. Interrogés plus en détail au sujet des conséquences du passage à l’Euro pour l’économie nationale, les Français dénoncent en particulier son impact négatif sur le niveau des prix, la compétitivité du pays et le taux de chômage. In fine, seuls 33% des Français estimaient en septembre 2012 que depuis la ratification de Maastricht, l’Union Européenne va plutôt dans la bonne direction ; ils étaient 53% en mai 1999. Corollaire des nombreux griefs exprimés à l’encontre de la monnaie unique, plus d’un Français sur trois (35%) souhaite, vingt ans après le référendum de Maastricht, que son pays abandonne l’Euro et revienne au Franc. Le souhait d’un retour à la monnaie nationale est particulièrement fort parmi les catégories socioprofessionnelles modestes (53% des ouvriers), 52% des personnes ayant voté "non" au référendum de 2005 et 78% des sympathisants du Front national. Par conséquent, en septembre 2012, seuls 36% des Français déclaraient que si le référendum de Maastricht avait de nouveau lieu, ils se prononceraient en faveur de la ratification du traité.


Conclusion : si l’opinion publique française souhaite une meilleure coordination à l’échelle supranationale, celle-ci ne doit pas, selon elle, se traduire par une intégration complète des politiques européennes.

Les Français se montrent partagés, voire indécis, quant au niveau d’intégration européenne à prôner pour faire face à la crise de la dette. En décembre 2011, dans la foulée du Conseil européen des 8 et 9 décembre 2011 (au cours duquel 26 des 27 Etats membres ont accepté de participer à un nouveau pacte budgétaire et de coordonner plus étroitement leurs politiques économiques), partisans et opposants d’une politique économique et budgétaire unique se répartissaient en deux groupes égaux (48% et 49%). A nouveau interrogés en septembre 2012, sur fond de crise chypriote et de plan de sauvetage espagnol, et quelques mois après l’adoption, les 28 et 29 juin 2012, du Pacte pour la croissance et l’emploi, les Français se prononçaient cette fois plus nettement en faveur d’une moindre intégration européenne et des politiques économiques et budgétaires propres à chaque Etat (60%).

Enfin, les Français se montrent sceptiques face à la mise en place, à long terme, d’un Etat européen unique : en septembre 2012, 44% jugeaient cette éventualité probable (mais seulement 9% la considéraient "très probable"), tandis que 56% exprimaient une opinion contraire. Seules les catégories socioprofessionnelles supérieures croyaient majoritairement en cette possibilité (51%).

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