L'industrie, c'est du passé... et si c'était tant mieux pour la France ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le fétichisme industriel est l'idée que ce qui crée la richesse d'une économie, c'est l'industrie.
Le fétichisme industriel est l'idée que ce qui crée la richesse d'une économie, c'est l'industrie.
©Reuters

Le Nettoyeur

Après être passés de l'agriculture à l'industrie, nous passons de l'industrie aux services. Cela ne veut pas dire que l'industrie va disparaître, tout comme l'agriculture n'a pas disparu. Mais cela veut dire qu'elle occupera une part réduite de l'économie, à la fois en termes de production et d'emploi.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Une des idées les plus répandues et les plus pernicieuses aujourd'hui est ce qu'il convient d'appeler le fétichisme industriel. Le fétichisme industriel est l'idée que ce qui crée la richesse d'une économie, c'est l'industrie ; que l'industrie est un secteur “meilleur” que les autres et qu'une économie qui n'a pas d'industrie ne peut pas avoir d'économie vraiment prospère. Cette idée est tellement ancrée dans notre imagination qu'on dit souvent “pays industrialisés” pour dire “pays riches.”

C'est une idée fausse. Il suffit de remarquer que le pays le plus riche du monde - le Luxembourg - n'a absolument pas d'industrie.

C'est aussi une idée pernicieuse parce que c'est une idée passéiste. Regardons l'histoire économique du monde depuis le début. L'économie apparaît avec deux inventions : l'agriculture et la ville. L'agriculture rend la ville, car si je produis de la récolte je dois la vendre pour m'acheter les autres choses dont j'ai besoin. J'ai donc besoin d'un marché, et donc d'une ville. La ville apparaît, et avec elle, simultanément, l'économie et le pouvoir politique. Cet équilibre continue de manière plus ou moins forte pendant plusieurs millénaires jusqu'à ce qu'il convient vraiment d'appeler la révolution industrielle. Un nouveau secteur apparaît : l'industrie. Grâce à la machine et la domestication de l'énergie, nous pouvons fabriquer des objets sans être limités par le temps de l'homme (contrairement à l'artisanat, qui existe depuis toujours). Cette révolution a permis à l'humanité de sortir de la privation et de la misère qui était son lot commun pendant des millénaires. Si vous lisez cette chronique sur un ordinateur via internet, c'est grâce à cette révolution.

Pourquoi ce petit cours d'histoire de quelques millénaires ? Pour montrer comment la révolution industrielle était nouvelle, fondamentale...et aussi comment nous nous sommes battus contre elle.

Les tisseurs du nord de l'Angleterre ont fracassé les premiers métiers à tisser hydrauliques pour empêcher de perdre leurs emplois. Et il suffit de relire les journaux de la fin du 19ème siècle pour montrer à quel point l'industrialisation avait mauvaise presse. L'industrialisation était vue - et l'est encore - comme le monde de Zola, le monde de la privation. En passant d'une société agraire à une société industrielle, nous avons libéré des centaines de millions de gens d'une pauvreté inouïe, mais nous ne voyions que la saleté du travail à la mine et de l'entassement dans la ville.

Tout ça pour dire qu'il est de plus en plus évident qu'une transition du même ordre que celle de la révolution industrielle est entrain de se produire. Après être passés de l'agriculture à l'industrie, nous passons de l'industrie aux services. Cela ne veut pas dire que l'industrie va disparaître, tout comme l'agriculture n'a pas disparu. Mais cela veut dire qu'elle occupera une part réduite de l'économie, à la fois en termes de production et d'emploi.

Depuis plusieurs décennies, l'emploi industriel baisse dans les pays riches. On prétend souvent que c'est la faute au libre-échange, mais en réalité cette baisse de l'emploi industriel est conjointe avec une augmentation de la production. La production n'est pas partie en Chine, elle est devenue plus efficace, permettant de libérer des emplois dans les services, tout comme il y a quelques siècles la production agricole s'est faite avec moins d'emplois, en libérant du travail pour l'industrie.

C'est une bonne chose. Tout d'abord, les services permettent de créer des emplois à tous les niveaux de qualifications. Les services, c'est des choses comme du logiciel et de la finance qui demandent des Bac+5, mais ce matin je suis allé me faire couper les cheveux et il est beaucoup plus difficile de faire remplacer un emploi de coiffeur par un chinois ou par un robot que le fait de faire des trous dans de la tôle ou de récolter du maïs.

Le fétichisme industriel qui nous étreint est donc contre-productif. Une des rengaines de Nicolas Sarkozy était l'idée qu'il fallait protéger l'industrie française, ce en quoi il est parfaitement suivi par Arnaud Montebourg.

On retrouve ce fétichisme industriel dans les vénérations particulièrement mal avisées de la Chine ou, plus près de nous, du prétendu modèle allemand.

On peut voir dans ce fétichisme industriel le même passéisme et la même peur du changement qui ont créé le fétichisme agricole à la fin du 19ème siècle. Mais, comme l'a remarqué l'économiste Alexandre Delaigue, il y a aussi un autre élément : le sexisme. Le travail industriel (dans l'imaginaire collectif, du moins) c'est un travail d'homme, qui est physique et demande de la force. Monsieur à l'usine et Madame à la maison avec les enfants. Par contre, le service fait principalement appel à l'intellect, où les femmes sont à égalité avec les hommes, et au relationnel, où elles pourraient même être supérieures. Cette perspective peut faire ressentir cette évolution comme une menace pour les hommes, menace qui sera d'autant plus prise au sérieux que les décideurs de notre pays sont presque exclusivement des hommes (rappelons qu'il n'y a aucune femme patron dans le CAC 40).

C'est désastreux, non seulement en fonction de l'évolution générale de l'économie vers les services, mais en particulier par rapport aux forces de la France. La France, c'est le pays du tourisme, de la culture, de l'art, du design, de la mode, du luxe, de la gastronomie... que des secteurs de services. Les pubs de L'Oréal de part le monde n'affichent pas “L'Oréal” mais “L'Oréal Paris”, car l'imaginaire français capture l'attention des consommateurs du monde entier. Il n'est pas interdit de penser que si une des plus grandes marques de cosmétiques et de biens de consommation au monde est française, c'est peut-être parce qu'il y a un petit génie français de ce côté. De même avec la présence des deux plus grands groupes de publicité au monde en France. Vendre des produits de qualité avec des grosses marges grâce au marketing, c'est une stratégie beaucoup plus prometteuse au 21ème siècle que de vendre des machines-outils à une Chine entrain de s'essouffler.

La France est la première destination touristique du monde, et nous traitons ces 60 millions d'hôtes qui nous font l'honneur de leur présence comme des déchets, avec notre incapacité à parler anglais, nos serveurs acariâtres, nos horaires d'ouverture de magasins a minima, notre terminal Eurostar délabré, nos vendeurs à la sauvette au pied de la Tour Eiffel. Le tourisme emploie aussi bien des ingénieurs que des commerciaux que des emplois peu qualifiés. Mais voilà. Le tourisme ça fait sale, c'est laid, c'est les républiques bananières qui vendent leur tourisme, pas un Grand Pays Comme La France.

De même, la France pourrait devenir une nouvelle Athènesen se mettant à la pointe de la réinvention de l'enseignement par les nouvelles technologies</a>, en ayant tous les atouts pour se faire grâce à ses ingénieurs, ses marketeux et son histoire de patrie des arts et des lettres.

Mais voilà, pour des machos comme Nicolas Sarkozy ou Arnaud Montebourg, poser devant des caméras dans une usine avec un casque sur la tête, ça fait mieux. Et tant pis si ça veut dire imposer les bateaux à vapeur pour subventionner les voiliers.

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