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Le terrorisme, arme idéologique et psychologique ou "propagande par l’action"
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Les terroristes, qu’ils soient des professionnels, "loups solitaires" ou des hors la-loi récupérés en prison par des prédicateurs ou fanatisés sur la toile, ne sont que des "armes humaines", des modes opératoires au service d’une idéologie qui les dépasse et qui recoupe des réalités et stratégies multiples.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Le terrorisme est la « continuation de la politique par d’autres moyens », pour paraphraser Clausewitz parlant de la guerre. Les terroristes, qu’ils soient des professionnels, des soi-disant « loups solitaires » ou des hors la-loi récupérés en prison par des prédicateurs ou fanatisés sur la toile, ne sont que des « armes humaines », des modes opératoires au service d’une idéologie qui les dépasse et qui recoupe des réalités et stratégies multiples. Cette idéologie qui anime les djihadistes est produite et répandue, au niveau mondial, par des entités bien plus organisées et bien plus vastes, souvent liées à des organisations ou Etats islamiques reconnus par ladite « communauté internationale ».

La guerre non-conventionnelle menée par les djihadistes n’est qu’un mode d’action extrême parmi tant d’autres au service d’une idéologie globale totalitaire également partagée par des entités islamistes bien plus diversifiées. Le djihadisme n’est que la face émergée et la plus caricaturale, frontale, de l’Iceberg islamo-totalitaire néo-impérial. Celui-ci dispose d’une base institutionnelle bien plus large et dont moult ramifications officielles ont pignon sur rue en Occident, où elles poursuivent le combat terroriste-violent des djihadistes par une action de terrorisme intellectuel fondé sur l’instrumentalisation des forces multiculturalistes et anti-racistes. Ces bases ou grands pôles du totalitarisme vert poursuivent en fait les mêmes objectifs stratégiques à long terme que les djihadistes. Tous deux visent en effet, de par leur action de propagande idéologique - certes avec des modes d’actions différents et parfois opposés - à faire triompher un même projet suprémaciste islamiste aux quatre coins du monde. Et l’achèvement de ce projet néo-impérial culminera avec la soumission ou/et la conversion des « mécréants ».

En tant que mode d’action, le terrorisme islamiste - ou « djihadisme » - ne tue pas pour « punir » les « méchants » croisés ou pour détruire les armées de l’ennemi, étant donnés les rapports de forces incomparablement inégaux. Il ne tue pas par haine pure, pour venger la « mort » ou « l’humiliation des musulmans » ou pour écraser des « sionistes » et des « apostats », même s’ils le souhaitent également et l’affirment dans leurs textes de revendication qui ont pour but de rallier à leur cause les naïfs et les fanatiques haineux. Les terroristes massacrent avant tout pour faire parler de leur cause théocratique, pour sidérer, subjuguer et tétaniser les « publics-cibles dans le cadre d’une guerre psychologique et médiatique puis à des fins de propagande idéologique en vue de la conversion.

Contrairement à une idée reçue dans nos sociétés européennes culpabilisées, les bombes humaines islamistes actionnées par des organisations islamistes massacrent en effet avant tout pour soumettre, idéologiser, polariser et en fin de compte convertir les « mécréants ». La mise en scène théâtrale et symbolique de l’acte terroriste a pour fonction essentielle de déclencher une « campagne » « publicitaire » qui est assurée, de façon totalement gratuite, par nos médias de masse et donc avec le concours précieux de nos sociétés du spectacle prises au piège de leur propre culte du voyeurisme et du sensationnel.

Face à ce « marketing négatif », à cette publicité de l’horreur, qui associe une religion à la violence la plus barbare, nos sociétés complexées, gagnées par l’idéologie du multiculturalisme - qui consiste à vanter les mérites des minorités issues de la colonisation et à culpabiliser la majorité judéo-chrétienne autochtone réputée « raciste » - chaque attentat terroriste déclenche parallèlement une campagne de « marketing positif » en faveur du « vrai islam » et de la civilisation islamique, présentés par principe comme foncièrement « tolérants », en vertu du refus de tout « amalgame » qui risquerait de « stigmatiser ». De ce fait, chaque nouvel attentat islamiste commis dans le monde et surtout en Occident déclenche une campagne de lutte contre « l’islamophobie » planétaire, encore plus massive que la publicité négative des actes atroces commis par les terroristes qui « n’auraient rien à voir avec l’islam ».

En vertu de cette extraordinaire ruse de l’histoire, chaque nouvel acte terroriste islamiste commis au nom du Califat islamique et de la Charià est non pas une occasion d’interpeller les textes sacrés de l’islam puis les institutions et pays musulmans qui distillent l’idéologie islamiste néo-impériale qui inspire les djihadistes et les islamistes institutionnels, mais il se transforme, au titre du refus de l’amalgame, en une gigantesque campagne de publicité planétaire en faveur de l’islam. Ce dernier, présenté comme intrinsèquement « pacifique » et « tolérant », est lui-même associé aux musulmans - de ce fait « assignés » à religiosité et essentialisés comme un bloc irrersponsable et victimaire - puis à une civilisation arabo-musulmane anciennement à la pointe du progrès scientifique, de sorte que critiquer le texte de l’islam devient une offense envers tous les musulmans et un appel au « choc des civilisations ». A contrario, pareille indulgence et paternalisme bienveillant n’est pas de mise pour l’Occident européen et la chrétienté, dont le passé est réduit à l’obscurantisme et à l’intolérance. Dans leur stratégie de pénétration et de propagande, les islamistes qui se nourrissent d’un victimisme narcissique auraient tort de ne pas profiter de cette manifeste faiblesse psychologique et de cet ethno-masochisme occidental. Et ils auraient tort de ne pas être fiers des empires coloniaux islamiques passés sous prétexte que l’ancien ennemi chrétien a baissé les bras et persécute son propre passé et son identité.

Non seulement l’islam et les doctrines et imams qui perpétuent une vision orthodoxe intolérante de la religion musulmane ne sont pas remis en cause et interpelés dès qu’ils condamnent verbalement le terrorisme, qui n’aurait « rien à voir avec l’islam », mais la civilisation musulmane et la religion de Mahomet sont de plus en plus parée de toutes les vertus. De ce point de vue, la mode islamophile et la promotion du suprémacisme islamiste qui, en Occident, découle de l’hyper-médiatisation des attentats djihadistes et de la campagne occidentale de « contre-amalgame », constituent des victoires inespérées pour les terroristes islamistes qui ainsi donnent le ton. A titre d’exemple, on constate que depuis menaces envers Salman Rushdie, envers les caricaturistes danois de Mahomet et surtout depuis les meurtres de Theo Van Gogh et des caricaturistes de Charlie Hebdo, l’idée de se moquer de l’islam ou de blasphémer tente de moins en moins de comiques, d’intellectuels et de journalistes, pour des raisons de peur physique évidente, mais elles sont également dissuadées par les rédactions et les gouvernements au nom de la paix civile. De la même manière, afin de désamorcer les « polarisations religieuses » souhaitées par les djihadistes, nos démocraties européennes n’ont jamais autant dénoncé les signes ostentatoires chrétiens. Et la France républicaine, ex-fille aînée de l’Eglise, qui toléra longtemps les crèches de Noël en lieux publics, y compris jadis à la mairie de Paris sou un certain Chirac pourtant très laïcard, est aujourd’hui à la pointe de la lutte contre les crèches dont les promoteurs sont traduits devant les tribunaux.

La mode du « vrai islam » foncièrement tolérant, plus que jamais entretenue dans les démocraties occidentales sous pression des institutions islamiques mondiales qui posent les musulmans en « vraies » victimes collatérales du terrorisme, et en réaction au « faux islam djihadiste », a permis aux propagandistes islamiques et à leurs alliés multiculturalistes islamophiles d’inculquer l’idée selon laquelle la vraie civilisation islamique serait, à la différence de la chrétienté et de l’Occident, sans tâche, car elle n’aurait jamais rien eu à voir avec la violence et l’intolérance. De ce fait, et en vertu de cette essence immaculée, l’islam serait en fin de compte philosophiquement, spirituellement et moralement « supérieure » à « l’Occident croisé » (al-Gharb al-Salibi) et post-colonial. L’argument qu’il est d’ailleurs aujourd’hui très incorrect de remettre en question, est que la civilisation musulmane aurait « apporté » à l’Occident les traductions des œuvres scientifiques et philosophiques grecques que l’Europe chrétienne obscurantiste aurait définitivement perdues ou brûlées, or sans ces œuvres généreusement « données » aux Européens par les « savants arabes », l’Europe n’aurait jamais été à la pointe d’un progrès scientifique et d’une Modernité qu’elle doit en fait aux anciens conquérants arabes et musulmans de l’Espagne (Al-Andalus), de la Sicile et de l’ancien empire byzantin devenu ottoman. Cette mode islamophile, cette publicité positive en faveur d’un islam éclairé réel qui démentirait le « faux islam » violent, mode renforcée à chaque vague d’attentats islamiques afin de contrebalancer la publicité négative inhérente à la médiatisation du djihadisme, est en soi la plus grande victoire idéologique des terroristes. Elle sert par ailleurs la stratégie – très complémentaire - des grands pôles islamistes mondiaux et de leurs relais européens et américains alliés aux lobbies antiracistes et multiculturalistes. Le concours bénévole de ces derniers est très  précieux pour les propagandistes islamistes qui sont perçus par les Ligues de vertus repentantes comme un bélier civilisationnel lancé contre l’Occident post-colonial coupable de tous les maux de la terre…

Autre paradoxe apparent, plus les djihadistes frappent, moins les islamistes ont honte de la charià, du voile islamique et moins les mosquées radicales se vident. La chose est en fait logique, étant donnée la fascination humaine (le plus souvent inconsciente) pour la violence et le mépris pour la faiblesse. Ceci explique pourquoi, en France et en Europe notamment, les seules églises pleines sont celles des catholiques intégristes et des évangéliques exaltés, les synagogues les plus fréquentées sont celles des orthodoxes et les lieux de culte les plus désertés ceux des œcuméniques les plus progressistes ou autres prêtres-ouvriers. Mais ceci n’est pas l’objet de notre ouvrage. Penchons-nous à présent sur la psychologie du terrorisme, fondée sur cette prégnance de la violence, et sur le modus operandi des djihadistes.

Le terrorisme islamiste : propagande idéologique par l’action

« Le terrorisme, c’est la propagande par l’action » explique le spécialiste de la violence politique Walter Laqueur. Les médias sont la « cible indirecte » privilégiée des terroristes. La finalité de la propagande, qu’elle soit « pacifique » ou « terroriste » (« par l’action » ou « par les faits »), vise avant tout à influencer et à endoctriner. L’assassinat n’est qu’un moyen parmi tant d’autres pour arriver à cette fin[1]. En latin, propaganda vient de propagare, qui signifie littéralement « ce qui doit être propagé » : le terrorisme de propagande cherche tout bonnement à modifier les perceptions et comportements des personnes ciblées dans une logique de propagation d’une idée-force, celle de la nécessité de se soumettre à la charià ou de se convertir, à terme, ne serait-ce que pour conjurer la « promesse du pire ». Celle-ci adviendra d’ailleurs tôt ou tard pour les islamistes de tous poils qui comptent sur les lois du nombre, de la démographie et du temps.

L’acte terroriste, qui glorifie le courage des moujahidines et prétend perpétuer les combats de Mahomet lui-même et des premiers combattants de l’islam (Moujahidines), est un message en lui-même. Il vise à produire l’effroi au sein du camp ennemi et à fasciner des âmes rebelles, sachant que la violence sidère, fascine et soumet les animaux comme les êtres humains. Les mutilations insoutenables de corps et de chairs décapités, éventrés, explosés (y compris ceux des terroristes eux-mêmes), par des explosifs ou par des armes tranchantes archaïques, sidèrent et tétanisent plus que toute autre image de violence. Elles sont bien plus difficiles à soutenir pour l’imagination des Occidentaux - adeptes de violences virtuelles d’hollywood et des guerres « propres » livrées en dehors de leur sol - que les blessures réelles par balle et les égorgements dans leurs quartiers ou sur leurs terrasses et salles de concert de leurs villes. De ce fait, le terrorisme réintroduit à la fois la tragédie de la guerre sanglantes dans des pays qui ne la croyaient plus possible chez eux, puis la figure archaïque du guerrier barbare à la Wikings ou à la Gengis Khan. Le djihadisme réintroduit l’humain dans l’action guerrière, là où la technologie militaire moderne l’a totalement évacué, comme la mort d’ailleurs. L’illusion de la « guerre presse-boutons » ou vidéo-programmée, lointaine et confortable dans l’optique occidentale des « zéros morts soi », est balayée de façon brutale par le retour du refoulé guerrier et du corps à corps.  De ce fait, dans l’imaginaire et l’inconscient de bien plus de personnes que l’on croit, subjuguées par la médiatisation de la nouvelle barbarie théocratique apocalyptique, les djihadistes font figure d’hommes courageux car ils sont prêts à mourir pour leur cause. Et dans l’esprit de l’Occidental culpabilisé, l’idée qui fait son chemin à chaque nouvel attentat djihadiste est que « pour que ces gens puissent commettre des choses si horribles, nous devons leur avoir fait beaucoup de mal et avoir une part de responsabilité. Il est clair que cette croyance, car c’en est une, est recherchée par les djihadistes qui savent très bien que la culpabilité et la volonté de trouver une excuse aux bourreaux pour expliquer et rationnaliser ce qu’il nous inflige, est justement le principe du fameux syndrome de Stockholm. Nous donc par la suite que la culpabilisation, pratiquée à merveille par tous les propagandistes islamistes obsédés par « l’islamophobie » - y compris Daesh qui fait tuer ses otages occidentaux après leur avoir fait réciter un texte dénonçant la persécution des musulmans par les Etats occidentaux – est une véritable arme de guerre psychologique et idéologique[2].

Les terroristes sont experts en manipulation des âmes via les mythes (Al-Andalus, Califat, combats épiques, etc), les images-forces (vidéo de guerriers menaçants les mécréants ou montrant des égorgements), les symboles (World Trade Center, costumes orange des ex-prisonniers islamistes de Guantanamo endossés par les mécréants chrétiens exécutés, etc) et leurs slogans, qui véhiculent à la fois du sens (être élus de Dieu) et des archéytypes (Oumma). Dans ce contexte de guerre asymétrique, presque impossible à appréhender et à accepter pour un public occidental habitué à des armées disciplinées, le terrorisme jihadiste a recours à une catégorisation radicalisante extrêmement efficace. Celle-ci véhicule une vision manichéenne du monde fondée sur des couples antinomiques du genre : mécréants-croyants, héros–traître, martyr–apostat. Les termes positifs sont intériorisés facilement par des publics victimisés en voie de réislamisation, car ils sont associés à des notions très fortement chargées de sens comme celles de « pureté », de rédemption ou de justice. Les termes diabolisants et hautement négatifs, synonymes d’impureté, d’injustice, de Diable et de « mécréance » sont rejetés et finissent par être associés aux non-croyants même par des personnes non-adeptes de la violence jihadiste. Le but est de polariser la société en opposant les musulmans aux non-musulmans, d’où le fait que les pays les plus souvent et massivement frappés par les jihadistes sont, premièrement les pays musulmans, et deuxièmement les pays multiculturels abritant de fortes communautés musulmanes (Chine, Russie, Inde, et bien sûr Europe de l’Ouest et Etats-Unis.

Les mass media agissent comme des propagateurs irremplaçables de cette vision manichéenne radicale, très simple, mais extrêmement percutante, à l’instar des slogans publicitaires répétés sans fins et savamment étudiés. De même que les spots publicitaires fonctionnent par répétition et par dissémination, les messages terroristes sidèrent et influencent tout le monde (même ceux qui les combattent et surtout ceux qui sont horrifiés) à force de récurrence, d’où la nécessité d’en commettre régulièrement, même de faible portée. L’acte terroriste ultra-médiatisé fascine certes de façon plus consciente les psychopathes « dormants » et les ressentimentaux-revanchards qui existent dans toute société et qui cherchent des prétextes pour défouler leur haine. Mais les djihadistes ne «séduisent » et n’influence pas qu’eux, comme nous le verrons plus loin.



[1] Dans son ouvrage La propagande dans tous ses états (Flammarion, 1981, p. 1981, p. 8, Jean-Paul Gourévitch explique ainsi que « Ces frontières naturelles que l'étymologie a fixées entre propagande et publicité peuvent-elles aujourd'hui servir de ligne de démarcation entre ces deux domaines ? La réponse est non. »

[2] Le complexe occidental ????

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