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Donald Trump, le Tsar et le Sultan
©Reuters

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De la vraie-fausse entente américano-turque à la chasse aux sorcières de l’Establishment américain russophobe.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Recep Tayyip Erdogan, reçu mardi 16 mai à la Maison Blanche, a sans surprise critiqué dans des termes très fermes le soutien américain aux milices kurdes qui combattent en Syrie. Donald Trump a bien sûr assuré son homologue turc de son soutien dans sa lutte contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK séparatiste en guerre contre l’Etat turc depuis 1984), mais les Etats-Unis continueront de plus belle à soutenir les milices kurdes syriennes YPG liées idéologiquement et stratégiquement à ce même PKK que l’armée turque pilonne en Turquie et poursuit jusque dans ses bases-arrières supposées de Syrie et d’Irak. Très offensif comme à son habitude et soucieux de donner à ses électeurs turcs l’impression qu’il ne cède pas sur cette question, Erdogan a averti que son pays n'accepterait jamais le soutien américain et occidental au PKK et à ses alliés syriens.

Certes, les deux présidents se sont engagés à apaiser les tensions entre leurs pays depuis 2003 (émergence d’un Kurdistan en Irak) et surtout depuis la guerre civile syrienne avec le soutien croissant de Washington aux PYG kurdes qui demeurent le meilleur atout militaire au sol pour combattre les jihadistes, notamment à travers les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui unit le noyau-dur kurde YPG à des groupes rebelles arabes anti-Da’esh. Erdogan redoute notamment que les armes livrées par les Américains ne puissent un jour finir par être utilisées contre la Turquie par les Kurdes. Et alors même qu’Ankara se rapproche stratégiquement de l’Organisation de Shanghai (OCS), sorte d’anti-OTAN créée par la Russie et la Chine dans les années 2000 pour contrer la puissance américaine en Eurasie, le président turc a assorti son ferme avertissement sur le casus belli kurde d’un éloge des relations entre les États-Unis et la Turquie. De son côté, Donald Trump sait comment traiter l’irascible néo-sultan Erdogan. Aussi, bien qu’il ait décidé de renforcer l’aide militaire et logistique aux combattants kurdes syriens, il n’a cessé depuis son élection de ménager le président turc qu’il fut l'un des premiers (et l’un des seuls Occidentaux) à féliciter pour sa victoire au référendum du 16 avril qui lui a donné les quasi pleins pouvoirs. 

Outre les Kurdes, le président-sultan turc a tenté sans succès durant son voyage américain d’avoir la peau de Fethullah Gülen, le chef de la très puissante confrérie musulmane accusé d’avoir fomenté le coup d’Etat manqué de juillet 2016 contre Erdogan et qui vit en exil aux Etats-Unis depuis 1999. Erdogan aurait tout au plus obtenu de la part de son homologue américain - en échange d’une approbation tacite à l’imminente offensive arabo-kurde sur Raqqa pilotée par Washington - la perspective d’un examen de la procédure d’extradition de Gülen, sachant toutefois que ceci est presque impossible tant le leader religieux en exil est menacé en Turquie des foudres d’Erdogan qui veut régler des comptes personnels (accusations de corruption d’Erdogan et coup d’Etat manqué). Dans cette perspective de négociations pragmatiques qui visent essentiellement pour Recep Taiyyp Erdogan à sauver la face vis-à-vis de ses électeurs et surtout à faire croire qu’il peut interpeller le pays le plus puissant du monde, il n’est pas impossible que l’agression très violente des opposants d’Erdogan  par des gardes du corps du président turc devant cameras et non loin de la résidence de l'ambassadeur de Turquie, à Washington, ait eut pour but de montrer que les nationalistes turcs ne faiblissent pas, y compris sur le sol américain. Les agents de sécurité d’Erdogan ont d’ailleurs frappé des opposants turcs qui avaient brandi le drapeau du PYD kurde syrien lié au PKK. Message subliminal qui risque de plaire à nombre d’islamistes radicaux syriens et autres jihadistes anti-infidèles, la fondatrice du Fonds de secours Yézidi, Lucy Usoyan, connue pour soutenir la minorité yézidie hérétique et kurdophobe, figurait parmi les victimes des gardes du corps d’Erdogan.

Relents de guerre froide : La chasse aux sorcières « pro-russes » continue

Concernant le front intérieur, Donald Trump doit faire faire à une résistance autrement plus redoutable que le président turc, puisque depuis le début de son arrivée au pouvoir suprême, le président le plus controversé de l’histoire américaine n’a cessé d’être attaqué, accusé et délégitimé non seulement par les démocrates et les républicains interventionnistes les plus atlantistes mais aussi par les milieux du renseignement et les médias politiquement corrects tout aussi russophobes qui lui reprochent tous d’être acquis à Vladimir Poutine et d’être « coupable de haute trahison » envers son propre pays. Ainsi, quelques jours à peine après qu’il ait limogé James Comey, l’ex-directeur du FBI, Trump est accusé d’avoir exigé de ce dernier - avant son départ - qu’il mette fin à une importante enquête sur son éphémère conseiller à la sécurité Michael Flynn, soupçonné de liens avec Moscou. Il est également accusé d’avoir divulgué aux dirigeants russes des informations secret défense, elles-mêmes transmises par les renseignements israéliens à leurs homologues américains.

En fait, toutes ces affaires rentrent dans le cadre d’un paradigme géostratégique très puissamment installé au sein de l’establishment américain et du complexe militaro-industriel et atlantiste : tout doit être mis en œuvre pour compromettre, discréditer, empêcher et même renverser la stratégie de rapprochement russo-américaine voulue par Trump, Flynn ou Steve Bannon, l’influent idéologue nationaliste, lui aussi rétrogradé ces dernières semaines (il ne peut plus participer aux conseils de sécurité). En toute logique de néo-containment, les mêmes qui ne se sont jamais indignés de l’extrême complaisance des services de sécurité et des dirigeants américains envers le « partenaire stratégique saoudien » (qui ne fut même pas inquiété après le 11 septembre) ; les mêmes qui ont soutenu une collaboration depuis des décennies avec des puissances ou organisations islamistes sunnites pour affaiblir la Russie post-soviétique et ses alliés arabes nationalistes ; les mêmes qui sont les intimes des princes du Golfe, ont exigé et obtenu le départ de Flynn, « coupable » d’avoir échangé avec l’ambassadeur russe aux Etats-Unis. Ils voudraient aujourd’hui provoquer une procédure de destitution de Donald Trump pour « intelligence » avec l’ennemi russe, en fait pour avoir lui aussi échangé avec le ministre des affaires étrangères russe sur des questions vitales anti-terroristes.

Dans ce type de processus de diabolisation et de « guerre des représentations », dans ce type de lynchage médiatico-politique, il n’est plus de mise de raisonner calmement et même de respecter l’équilibre du débat ou la défense de l’accusé : toute tentative de défendre le diable Trump pro-russe apparaît comme une « complicité ». Et si le Diable russe lui-même tente de disculper le nouveau Nixon soi-disant russophile que semble être Trump pour certains, alors cela condamne de façon encore plus flagrante et imparable l’accusé : « Si l'administration américaine l'autorise, nous sommes prêts à fournir l'enregistrement de la conversation entre Lavrov et Trump au Congrès et au Sénat américains », a déclaré Vladimir Poutine en déplorant ce qu’il a nommé une « schizophrénie politique » aux Etats-Unis. Pour beaucoup, ceci est le baiser de la compromission-complicité plus qu’un secours ou un démenti. Rien n’y fera donc. Pas même les sages appels à la prudence de certains qui rappellent que l’actuel procès en sorcellerie russophile intenté à Trump ne s’appuie pour l’heure sur aucune preuve ni enquête, ni sentence.

Même si les experts pensent qu’elle est loin d’être acquise, la perspective d'une destitution du président américain devient de moins en moins impossible. Pourtant, Donald Trump n'a pas violé la loi américaine car le président des Etats-Unis a le droit de déclassifier des informations reçues, mais ses détracteurs affirment que ses indiscrétions pourraient fragiliser le processus de partage de renseignement avec des alliés, notamment israéliens, puisque Trump aurait transmis une information de souche israélienne aux Russes. D’évidence, ce point légal ne suffira pas pour autant à éteindre le feu médiatique. La Maison Blanche a beau avoir opposé un démenti officiel, le républicain Jason Chaffetz, en charge de la commission parlementaire chargée du contrôle de l'action gouvernementale, a demandé avec l’appui du président de la Chambre des représentants Paul Ryan, dans une lettre officielle au FBI, de fournir avant le 24 mai 2017, les comptes rendus, notes, résumés et enregistrements ayant trait à des communications entre Comey et le président, informations qui pourraient « prouver » que Trump aurait limogé Comey pour le punir d’avoir refusé de stopper l’enquête contre le « russo-compromis » Flynn. 

En guise de conclusion

Quand on sait que l’on reproche à Trump et au ministre russe des affaires étrangères Lavrov d’avoir examiné ensemble les menaces communes pour leurs pays respectifs en provenance des groupes islamistes terroristes, il y a de quoi se faire du souci pour la sécurité de nos pays occidentaux. On constate en effet que depuis la chute du Mur de Berlin, les pays de l’Alliance n’ont jamais accepté la proposition russe de créer un vaste front stratégique face à l’islamisme radical et au terrorisme. Face à Al-Qaïda ou aux Talibans en zone « Afpak », face à Al-Qaïda ou à l’Etat islamique en Irak, en Libye ou en Syrie, les Etats-Unis et les Occidentaux n’ont cessé de refuser de mettre en œuvre cette grande alliance anti-islamiste que souhaitait ardemment Vladimir Poutine au début des années 2000. Cette perspective de coopération « pan-occidentale » ou « alter-occidentale », dont les préalables seraient la réforme de l’OTAN, la fin de son extension néo-impériale au détriment de l’étranger proche russe, la fin de la désignation de la Russie comme ennemie puis le démantèlement du nouveau rideau de fer qui sépare toujours - certes plus à l’Est - l’espace euro-atlantiste et la Russie post-soviétique, est en réalité un cauchemar géopolitique pour les stratèges américains et atlantistes. Pour eux en effet, la condition de la domination des Etats-Unis sur le Vieux-Continent est en premier lieu l’affaiblissement-diabolisation de la Russie puis la pérennisation de la fracture est-ouest qui permet d’empêcher un rapprochement russo-européen qui scellerait la fin de la vassalité stratégique de l’Europe de l’Ouest vis-à-vis des Etats-Unis. S’il est vrai que Donald Trump, au nom d’un nouvel isolationnisme-nationaliste, voulait mettre fin lui-même à ce paradigme et normaliser les relations entre l’Occident et la Russie, donc respectabiliser le diable Poutine, l’ennemi-épouvantail utile, alors il a du souci à se faire. En revanche, si cela n’était que pure propagande « identitaire » et s’il continue à limoger les derniers pro-russes de son équipe et de son entourage, alors l’impeachment n’aura pas lieu. Le controversé et imprévisible président américain est en train de choisir en ce moment même entre ces deux options, même s’il veut faire croire qu’en homme libre rebelle, il saura imposer une troisième voie. Kennedy et Nixon ont appris à leurs dépens et à leurs manière différente qu’un président américain ne peut défier « l’Etat Profond ».

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