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Volte face sur les Philippines : Donald Trump change de pied dans sa politique avec les dictateurs
©Erik de Castro / Reuters

Pacific Rim

Après deux feuilletons sur les tensions en mer de Chine et le déploiement du dispositif anti-missiles américain face à la menace nord-coréenne, Alexandre del Valle revient sur la méthode Trump et les orientations de la diplomatie de la nouvelle Administration américaine qui oscille entre multipolarisme, néo-isolationnisme et interventionnisme ad hoc…

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Dans le contexte du déploiement en Corée du sud du système anti-missiles Thaad (puis d’un sous-marin nucléaire et d’un porte-avions en Mer de Chine), le régime totalitaire de Pyong Yang a effectué un nouveau tir balistique raté qui a incité le président américain à mettre une nouvelle fois en garde Kim Jong-un, dont l’objectif est de fabriquer de meilleurs missiles puis de pouvoir projeter à terme des ogives nucléaires sur le sol américain, ce que Trump s’est promis d’empêcher "à tout prix". Fidèle à ses annonces de campagne selon lesquelles "il ne faut pas compter sur lui pour annoncer ses plans" tactiques et stratégiques, le président américain a rappelé que la Corée du Nord et d’autres Etats problématiques jouent une partie d'échecs et qu’il allait "lui aussi jouer", déclarant que si la Corée du Nord effectuait un nouvel essai nucléaire, il "ne serait pas content»… Habilement, Trump a ajouté que le président chinois Xi Jimping, premier embarrassé par l’allié incontrôlable Kim Jong-Un - qui donne un prétexte à la présence militaire en mer de Chine - ne serait pas du tout content lui non plus» ! Une allusion à sa rencontre d’homme à homme en Floride avec l’Oncle Xi, durant laquelle les deux hommes semblent s’être mis d’accord sur un "deal" visant à réduire la menace nord-coréenne. Imprévisible mais stratégiquement pas si infidèle que cela envers ses alliés asiatiques, Donald Trump a précisé que la "résolution" du problème nord-coréen est tellement primordiale que cette cause devait être défendue y compris au "détriment du bras de fer commercial" annoncé avec la Chine : «Le commerce est très important, a-t-il déclaré, mais comparé à une guerre totale avec potentiellement des millions de morts, je dirais que le commerce passe après". Trump estime ainsi qu’en échange d’une relative renonciation à la guerre commerciale qu’il voulait déclarer à Pékin, le président chinois Xi Jinping pourrait exercer des pressions croissantes sur la Corée du Nord afin que Kim Jong-un renonce à son programme balistique et nucléaire militaire.

De la carotte au bâton ou du bâton à la carotte…

Malgré cela, l’auteur de L’art du Deal n’en manie pas moins non seulement le poker mais aussi le jeu du chaud et du froid, essayant tantôt de courtiser le président philippin Duterte, qu’il a invité aux Etats-Unis afin de "parler drogues" (mais en vérité afin d’essayer de remettre son pays jadis si pro-Us dans le camp occidental et de l’empêcher d’être embrigadé par Pékin), et essayant tantôt de séduire Kim Jong-un. Ce dernier a d’ailleurs été qualifié par lui de «petit malin» qui a le mérite d’avoir "réussi à s'imposer au sommet du pouvoir si jeune". 

Rappelons que l’Asie, zone la plus sismique et la plus nucléarisée du monde, est la priorité stratégique majeure des Etats-Unis depuis l’Administration de Bill Clinton. Bien qu’il n’ait pas encore quitté son pays pendant les cent premiers jours de sa présidence insolite, Trump a non seulement reçu à cet effet son homologue chinois dans sa résidence privée, mais il a dépêché son vice-président Mike Pence en Corée du Sud et au Japon, deux alliés majeurs des États-Unis dans la région et dans le monde. Ceci pourrait confirme qu’il ne compte pas du tout les abandonner, comme trop de commentateurs qui analysent plus les paroles que les faits l’ont dit lorsque l’Oncle Donald avait menacé d’abandonner les alliés européens ou asiatiques qui ne paieraient pas assez pour leur défense. Il ne s’agissait en fait là que d’une façon rude mais efficace de convaincre les dits alliés d’accepter un "deal donnant donnant" que ces derniers semblent d’ailleurs avoir parfaitement compris et accepté. 

Concernant le cas du très turbulent président philippin, Rodrigo Duterte, qui s’est spectaculairement rapproché de Pékin (sur des bases d’intérêts économiques et en réaction aux accusations de violation des droits de l’homme portées par Barak Obama qui dénonçait l’impitoyable guerre contre la drogue qui a fait 6000 morts aux Philippines), Trump joue pleinement la carte du "reset" pour contrer Pékin, qui tente de retourner en sa faveur les vieux alliés des Etats-Unis. Après avoir eu un échange très cordial avec Duterte au téléphone, le président américain a donc invité son homologue philippin à se rendre à Washington, lui envoyant un message anti-moraliste visant à rassurer Rodrigo Duterte quant à la terrible répression contre les trafiquants qu’Obama qualifiait de crimes contre l’humanité et que Trump semble soutenir. Un message qui ne peut que plaire à celui qui avait un peu rapidement annoncé avec véhémence «une séparation historique avec les Etats-Unis» après 70 ans d’alliance stratégique. Certes, le président philippin ne va pas du jour au lendemain interrompre son rapprochement "multipolaire" avec la Chine et la Russie, mais il a également déclaré qu’il n’était plus question non plus de «rompre les relations diplomatiques» avec Washington. Entre pragmatiques, on peut se comprendre, et c’est là la force de Donald Trump qu’il faudra juger sur pièce avec le temps sur la base des faits et non sur ses paroles qui ont assez peu de signification puisque sa méthode est fondée sur la surprise, le pragmatisme et les deals cyniques. Rompant ainsi totalement avec l’irritant moralisme obamien, Trump s’est ainsi félicité du fait que "le gouvernement philippin lutte très fortement pour débarrasser son pays de la drogue, un fléau qui affecte de nombreux pays à travers le monde». Le président américain, qui risque peut être de récupérer cet allié fidèle qu’Obama avait réussi à perdre, s’est même "réjouit d'assister bientôt au sommet Etats-Unis-Asean et au sommet de l'Asie orientale qui se tiendront aux Philippines en novembre 2017. Il s’agit en fait ici d’une autre occasion de démentir l’accusation de "lâchage" américain de ses alliés traditionnels, la Maison Blanche ayant annoncé qu’il s’agit au contraire de confirmer l'«engagement inébranlable» des Etats-Unis dans la région".

Big stick versus pragmatisme multipolarisme

S’il est resté cloitré dans son pays et dans son bureau durant les 100 premiers jours, les cent suivant seront plus mobiles. Pour son premier voyage à l'étranger en tant que président des Etats-Unis, Donald Trump a d’ailleurs décidé non pas de visiter les pays les plus stratégiques comme la Russie, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Japon ou l’Allemagne, mais les zones les plus symboliques idéologiquement et religieusement, comme le Vatican, l’Arabie saoudite ou Israël. Visité fin mai 2017, Israël est certes un pays cher au cœur de son gendre et stratège préféré, Jared Kushner, qu’il a déjà envoyé en mission aux quatre coins du monde. Mais en terre sainte, l’objectif symbolique du "dealer" Trump n’est pas de courtiser son électorat "sioniste" ou faire plaisir à Jared, mais plutôt de tenter de relancer le règlement d'un des conflits les plus émotionnellement chargés de sens et compliqués du monde. Son but, assez prétentieux, il faut le dire, est même de réussir une paix entre Etat hébreu et Palestiniens qu’aucun de ses prédécesseurs n’est parvenu à instaurer avant. D’où l’accueil récent à la Maison Blanche, du président palestinien Mahmoud Abbas, et d’où également le prochain voyage de Trump en Arabie saoudite, pays stratégique pour exercer des pressions sur la partie islamique sunnite face au parrain du Hamas et du Hezbollah qu’est l’Iran chiite, que Trump veut à tout prix contenir et empêcher d’obtenir un arsenal nucléaire militaire. D’où également le voyage, dans la foulée, au Vatican, où Trump sera reçu personnellement par le pape François le 24 mai, afin de redorer son blason auprès d’une institution qui l’avait vivement critiqué en raison de la "politique des murs". Trump n’en a pas tenu rigueur au Saint Père, car dans sa stratégie civilisationnelle "judéo-chrétienne", Trump tient beaucoup à ce que son pays demeure plus que jamais celui de la civilisation chrétienne face à une Europe qu’il juge en voie d’islamisation et de décadence. En ce sens, Trump est plus adepte de Samuel Huntington que de Spykman et Foster Dulles. En Israël, Trump sera bien entendu reçu par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui aurait tort de croire pouvoir le manipuler à sa guise, d’autant que Donald rencontrera à nouveau M. Abbas en Cisjordanie et qu’il entend jouer un rôle plus modérateur qu’on le croit. Très sûr de lui, Trump a même assuré qu'un traité de paix israélo-palestinien serait "honnêtement, peut-être moins difficile que ce que les gens pensent depuis des années". La teneur du "deal" que concocte l’ultra-pragmatique président américain réside dans la mise à profit d’une double relation privilégiée avec Israël et l'Arabie saoudite, lesquels entretiennent d’ailleurs des rapports officieux de plus en plus étroits dans le contexte de la crise syrienne et de la lutte contre l’Iran chiite-révolutionnaire. Cela correspond en fin de compte à l’idée de Trump selon laquelle seule une solution "régionale" peut régler le conflit israélo-palestinien comme le conflit syrien. 

A ces voyages géo-religieusement symboliques s’ajoute la participation active du président américain aux sommets très stratégiques de l'Otan à Bruxelles (25 mai) et du G7, en Sicile (26 et 27), autre signe que celui qu’on accusait de liquider l’Alliance Atlantique est loin de mettre en oeuvre ce qu’il avait annoncé dans le cadre d’un coup de poker menteur stratégique destiné seulement à "convaincre" efficacement ses partenaires d’Europe de l’Est anti-russes d’augmenter leurs budgets de défense. Objectif en cours d’être atteint, vue la trouille de ces pays de se retrouver seuls face au Tsar Poutine.

Quid de la Russie ? 

Quant à la Russie poutinienne, les russophobes américains et autres atlantistes existentiels ne doivent pas crier victoire trop vite. Ils auraient tort de conclure de la mise à l’écart du très pro-russe Flynn et de la rétrogradation de l’idéologue radical russophile Steve Bannon - également favorable à un reset avec Moscou – que le Trump nouveau aurait définitivement renoncé à s’entendre avec Poutine. Il est vrai que les graves accusations portées à l’encontre de l’équipe pro-russe de Trump relatives aux interférences russes dans la campagne présidentielle américaine n’ont pas permis au Président imprévisible de sceller son alliance "panoccidentale" et multipolariste avec la Russie de Poutine. Mais il s’agit là de conjoncture et de guerre essentiellement médiatico-idéologique. Trump a en conséquence dû consentir à sacrifier quelques collaborateurs et il a dû donner des gages d’orthodoxie atlantiste et républicaine aux démocrates et néo-cons pathologiquement interventionnistes et russophobes. Toutefois, le vent pourraient tourner dès que les risques judiciaires et les graves scandales ou autres spectres d’empeachment s’éloigneront. Et là chose est probable depuis que l’ex-agent du MI6 britannique, Christopher Steele - le fameux auteur du rapport compromettant, fuité par la CIA consacré aux liens de l’équipe Trump avec la Russie (publié par BuzzFeed et reprise par tous les ennemis du président) - a subitement déclaré sur CNN que les données du dossier accablant n'ont en réalité pas été sérieusement examinées... En effet, dans une des 16 notes composant le-dit dossier, Steele avoue que les données transmises aux services de renseignement américains et anglais nécessitaient une "investigation plus profonde et une vérification". Rappelons qu’en janvier, dans le cadre d’une guerre idéologique et psychologique menée par les pires ennemis de Trump, les médias américains ont colporté des rumeurs selon lesquelles des "agents russes" disposaient d'informations compromettantes pour Donald Trump et selon lesquelles Poutine "tiendrait Trump" par des dossiers en dessous de la ceinture. Or le rapport s’appuyait non pas sur des sources fiables de la CIA ou de la NSA, mais sur des infos fournies par Christopher Steele dans le cadre d’une mission à charge commanditée par les anti-Trump, à la société, Orbis Business, spécialisée dans les enquêtes et la sécurité, que Steele créa après avoir quitté les services britanniques. S’il s’avérait qu’une opération de désinformation massive eût été manigancée par les faucons républicains et les médias démocrates américains aux seules fins de détruire, voir même de destituer le Président américain, jugé trop "pro-russe", il se pourrait qu’une contre-offensive en sens inverse pourrait donner à Trump l’opportunité de renouer avec sa stratégie d’alliance pragmatique avec la Russie de Poutine. Mais ceux qui idéalisent cette optique alternative se trompent tout autant, car Trump n’est ni anti-russe ni pro-russe. Il est pour les Etats-Unis d’abord. Il est cyniquement américain nationaliste. Il demeure fondamentalement imprévisible et il assume son hyper-pragmatique. Il peut donc aussi bien s’entendre avec le néo-Tsar Poutine, l’Oncle Xi, le premier ministre indien hindouïste radical Modi, le roi saoudien, le Premier ministre faucon israélien Netanyahou ou encore l’insulteur président philippin Dutarte que les défier, les menacer et leur résister, suivant que des convergences d’intérêts et des deals pragmatiques soient possibles ou non… 

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