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Baselworld 2017 : sale temps pour les montres...
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Baselworld, le grand salon de l’horlogerie mondiale, ouvre ses portes aujourd’hui, dans une ambiance plombée par vingt consécutifs de décroissance des exportations de montres suisses. Sur fond de crises internationales et de mutations sociétales, la bulle horlogère des années 2010 se dégonfle…

Grégory Pons

Grégory Pons

Journaliste, éditeur français de Business Montres et Joaillerie, « médiafacture d’informations horlogères depuis 2004 » (site d’informations basé à Genève : 0 % publicité-100 % liberté), spécialiste du marketing horloger et de l’analyse des marchés de la montre.

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Atlantico : Sous l’effet d’une « crise horlogère » qui n’a jamais été avouée comme telle, les exportations de montres suisses sont revenues à leur niveau de 2012, mais on parle de signes très nets de reprise…

Grégory Pons : Ça, pour parler, on parle ! Depuis deux ans, les états-majors horlogers n’ont pas cessé de nier une « crise-horlogère-qui-n’existe-pas », mais qui a déjà fait perdre près d’un milliard de profits aux grands groupes de luxe (la moitié de leurs bénéfices en 2016), tout en ramenant les exportations à ce qu’elles étaient au début des années 2010. On a effacé tous les gains de la fabuleuse explosion de la demande chinoise et la décroissance érode sans discontinuer de 10 % à 12 % par an le volume d’affaires de la branche. Des milliers d’emplois ont été perdus et de nombreuses marques sont au bord de la faillite : près de quatre-vingt exposants horlogers manquent à l’appel du salon Baselworld 2017, qui s’ouvre aujourd’hui. Les exportations ont baissé de 6 % en janvier et de 10 % en février (13 % par rapport à février 2015), mais « tout va très bien, Madame la Marquise » ! Cependant, s’il est vrai qu’il y a des « signes de reprise », notamment en Asie, mais il s’agit essentiellement de transferts partiels vers la Chine intérieure d’achats de montres qui ne sont plus effectués ailleurs dans le monde par les touristes chinois qui tiraient la demande. Une hirondelle pékinoise ne fait pas le printemps… S’il y a ici ou là de menus signes de reprise, ils ne sont pas là où l’imaginent les horlogers suisses, qui refusent de se remettre en question…

Quels sont les principaux facteurs qui plombent l’ambiance à la veille de cette édition de Baselworld ?

Il faut bien distinguer les causes endogènes et les causes exogènes de cette « crise ». Ce n’est pas le génial marketing des marques de montres qui a emballé la demande asiatique (principal moteur du quasi-doublement des ventes suisses en dix ans), mais les miraculeuses facilités de crédit accordées par une banque centrale chinoise qui débordait de liquidités. Les horlogers suisses ont subi cette explosion de la demande sans pouvoir ajuster leur production (aujourd’hui en surcapacité tellement ils ont accéléré brutalement), ni leur communication, aussi vieillie que leurs clients traditionnels. La seule réaction des marques a été d’augmenter les prix jusqu’à les rendre insupportables à présent que la conjoncture s’est retournée. Les nouveaux riches chinois sont capricieux, mais pas idiots au point de supporter plus longtemps l’extorsion de fonds pratiquée par les marques suisses…

Les causes exogènes sont plus faciles à repérer. Nous y rangerons l’instabilité géopolitique internationale : guerres civiles dans l’arc de crise arabo-islamique, terrorisme sur fond de crise économique dans des pays développés trop endettés, désordres monétaires, incertitudes électorales, paupérisation de la classe moyenne, ambiance de dé-globalisation, etc. N’oublions pas les mutations sociétales qui ont reformaté les paradigmes du luxe. Génération de l’être plus que de l’avoir, les post-baby-boomers ne veulent plus porter les mêmes montres que leurs parents : ils ont perdu l’instinct de propriété et le goût de l’ostentation statutaire. Dans la Silicon Valley californienne, il est autrement plus chic de s’acheter un vélo à 50 000 dollars qu’une Rolex à 20 000 dollars. Adulées par cette génération Y, les montres connectées tendent à évincer les montres suisses du poignet : sur ce marché en croissance de 25 % l’année dernière, c’est désormais le Chinois Xiaomi qui est le « premier-horloger-du-monde » (15 millions de smartwatches vendues), devant Apple (11,5 millions) et loin devant Swatch (4 millions de montres classiques) ou Rolex (650 000).

Ce sont précisément les réflexes de consommateurs avertis de cette nouvelle génération post-moderne qui expliquent le « grand remplacement en cours » : les riches amateurs – ceux qui tirent traditionnellement la demande – ne veulent plus acheter les montres d’aujourd’hui des marques d’hier, parce qu’ils préfèrent acheter les montres d’hier des marques d’aujourd’hui. Comprenez qu’ils ne font plus confiance au marketing contemporain des marques institutionnelles et historiques, mais qu’ils préfèrent investir dans les icônes passées de la légende horlogère. Ce qui explique les records aux enchères atteints par les montres de collection et la mévente qui frappe la production actuelle des marques qui faisaient référence (Rolex, Patek Philippe, Breguet, etc.). L’offre suisse n’est plus en phase avec la demande des marchés…

Quelques marques semblent cependant mieux tirer leur épingle du jeu, à tous les niveaux de prix…

GP : C’est indéniable, et heureusement qu’une ou deux poignées de maisons animent encore le marché. C’est parce qu’elles ont compris les attentes des nouveaux amateurs de montres. Le Français Richard Mille affiche une insolente croissance de 20 % par an en apaisant, avec ses coûteux fétiches (comptez 200 000 euros), les pressantes angoisses statutaires des néo-milliardaires émergents. À l’autre extrémité du spectre, avec ses montres « reposantes » à 200 euros, Daniel Wellington est le best-seller chez les jeunes consommateurs, auxquels il vend deux millions de montres par an. Pour avoir opté pour la montre connectée (virage socio-technologique raté par toutes les marques suisses), TAG Heuer a vu son chiffre d’affaires croître de plus de 10 % par an (prix moyen : 2 000 euros) et la marque souffler des parts de marché à ses concurrents. Il faudrait également citer Longines, qui se contente de rééditer des montres vintage (plus de 2,5 millions de montres par an, au prix moyen de 1 800 euros) ou Omega, qui exploite l’inépuisable filon de sa Speedmaster portée sur la Lune. Il faudrait encore noter la réussite de maisons comme Bulgari, Hublot ou Audemars Piguet dans le haut de gamme, mais c’est à peu près tout…

Quelles seraient les urgences pour « remettre les pendules à l’heure » et redonner ses lettres de noblesse aux montres suisses ?

Le chantier de rénovation est d’autant plus immense que tout est repenser, du premier au dernier maillon de la chaîne, mais, heureusement, le prestige même de la place suisse n’a pas été entamé. Tout reste donc possible et je suis très optimisme sur la survie de cette industrie si elle sait se réformer à temps. Ce n’est pas une question de technologie (connectée ou mécanique), mais d’imagination et de créativité. La supply chain horlogère est à revoir, à la fois pour abaisser les coûts, accélérer le time to market et permettre la personnalisation de séries courtes de plus en plus exclusives [nous sortons de la société de consommation de masse]. Il faut reformater l’approche des consommateurs, qui ne passe plus par des réseaux multimarques obsolètes, mais par une infinité de canaux de distribution intégrant le e-commerce aussi bien que les boutiques éphémères ou les réunions « Tupperware ». Il faut réinitialiser la communication en parlant aux nouvelles classes motrices des sociétés occidentales plus qu’aux retraités cossus du baby-boom ou aux prédateurs néo-milliardaires de la globalisation asiatique. L’horlogerie suisse a pu survivre à toutes les crises systématiques affrontées depuis deux siècles : elle s’en sortira une fois de plus, mais ce ne seront plus les mêmes marques, ni les mêmes montres, ni les mêmes prix, ni les mêmes clients, ni les mêmes motivations d’achat…

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