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Islamique, Islamiste, Terroriste, Djihadiste : comment s’y retrouver ?
©Reuters

En quête de sens

Pour qualifier "l'Etat islamique", en évitant à la fois les amalgames et le politiquement correct, un mot devrait s'imposer : le totalitarisme.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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La substitution terminologique n’a pas échappé aux médias : depuis une semaine il n’est plus question dans la bouche de nos dirigeants de "l’Etat islamique" mais de "Daesh". Substitution phonétiquement malaisée comme l’ont montré les hésitations de François Hollande, qui semblait parler d’une vieille marque de lessive... Mais substitution bien expliquée (comme toujours) par Laurent Fabius devant les députés : reprendre l’expression "d’Etat Islamique", en effet, c’est concéder une victoire symbolique, donc politique à l’adversaire en reprenant son propre vocabulaire ; c’est du même coup accepter sa double autolégitimation, en tant qu’Etat et en tant qu’islamique. D’où le recours à "Daesh". Seul petit problème : Daesh n’est que l’acronyme arabe… "d’Etat islamique en Irak et en Syrie" ! Autrement dit le changement de terme ne vaut que par l’ignorance de l’arabe chez (la plupart de) nos compatriotes…

Il reste que ce vocabulaire s’inscrit dans la ligne rhétorique constante du gouvernement : une ligne qui évite soigneusement les mots "d’islamique" et même "d’islamiste", nuance trop subtile pour une communication de masse : on ne trouvera ni l’un ni l’autre par exemple dans la longue interview au JDD de Bernard Cazeneuve ou dans la conférence de presse présidentielle de cette semaine. Si, très rarement, "djihadiste" est utilisé, c’est le mot de "terroriste" qui de loin l’emporte et devient un vrai leitmotiv.

Mais l’ennui avec ce mot de "terroriste" est qu’il peut être retourné par l’adversaire, qui allèguera, (en jouant sur les mots ), que l’on est toujours le terroriste de l’autre : "terroristes", les Tchétchènes pour les Russes, les Russes pour les Ukrainiens, le Hamas pour les Israéliens, les Israéliens pour le Hamas, et les révoltés syriens pour Bachar El Assad ; pour ne rien dire des Résistants français, qualifiés de "terroristes" par Vichy et l’occupant nazi… Les sites djihadistes ne cessent d’ailleurs avec une malignité perverse, de rappeler cet exemple glorieux, si porteur de légitimité dans l’histoire de France.

Alors pourquoi ce choix de communication gouvernementale? Il a évidemment pour but d’éviter toute "stigmatisation" de la population musulmane et tout "amalgame" entre islamisme et islam ; stigmatisation et amalgame qui sont les deux signaux immanquables du tabou contemporain. Mais ne crions pas trop vite à la political correctness. Car la tentation existe bel et bien – et pas seulement à l’extrême droite - de confondre Islam et islamisme.

Ce n’est pas le lieu ici de disserter sur la question complexe du statut de la violence dans le Coran et d’arbitrer entre les deux assertions "l’Islam, religion violente" et "l’Islam, religion de paix". Encore moins d’opposer les traditions musulmane et chrétienne sur le sujet. Laissons cela aux théologiens et autres experts en religion(s), car ce qui est en jeu ici est un phénomène purement politique et contemporain.

Tel est en effet la réalité de l’islamisme, même s’il cherche à mobiliser des ressources religieuses anciennes : on le mesure à sa quête éperdue et meurtrière d’un "âge d’or", à sa dénonciation d’un complot ("judéo-chrétien"), à sa recherche d’un "chef" (le calife) et d’une "unité" perdue (la communauté, "Umma", musulmane) : autrement dit les quatre mythologies centrales de la modernité politique répertoriées par Raoul Girardet. Pour ne rien dire de la sociologie de l’islamisme, qui ne se comprend que par les déchirures actuelles du Moyen-Orient et de l’immigration arabo-musulmane ; ni de son recours aux technologies les plus modernes, militaires comme médiatiques (dont on aurait bien du mal, au passage, à retrouver la trace dans le Coran, dont les mêmes islamistes revendiquent pourtant l’application "littérale" !)

La solution, pour éviter les pièges savamment entretenus de la confusion sémantique, pourrait consister à placer entre Islam et islamisme une différence analogue à celle qui existe entre nationalisme et nazisme   si ce dernier a repris et exacerbé les thèmes du premier, il en a changé la nature, en en faisant un phénomène radicalement nouveau : le totalitarisme. C’est-à-dire un système politique où, pour reprendre l’analyse lumineuse d’Hannah Arendt, l’idéologie devient le principe de toute action (publique et privée), et la terreur, l’essence même du régime. "Idée" obsessionnelle et terreur systémique : telles sont justement les caractéristiques de Daesh, qui en signent immanquablement la nature totalitaire.

Ce constat entraîne deux conséquences qui vont aux rebours des deux discours (antithétiques) actuellement dominants

1/ Confondre Islam et islamisme, musulmans et djihadistes, revient à confondre de Gaulle ou Churchill, nationalistes s’il en fut, avec Hitler; ce qui serait pour le moins anti-historique…

2/ Passer son temps à traquer dans l’extrême droite actuelle, comme on adore le faire en France, à force d’enquêtes, d’associations subventionnées et d’esprit de "Résistance" à retardement, les relents de "la bête immonde", c’est se tromper et de cible et d’époque : Marine Le Pen n’est qu’une populiste, ce qui ne retire rien à la nécessité de la combattre politiquement.

"La bête immonde" de notre temps est ailleurs (mais se rapproche !), le poil plus dru et plus hérissé que jamais, et elle porte un nom : certes pas l’Islam, même "radical", mais ce qu’il faut donc appeler le totalitarisme islamiste. Or, même si, dans ses circonvolutions rhétoriques, le gouvernement français donne l’impression de marcher sur des œufs, il faut reconnaître sans hésitation que, du Mali à l’Irak, il a parfaitement compris la véritable urgence de notre temps. Et l’affronte, non sans courage.

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