Délinquance, pauvreté… Comment les défis auxquels doivent répondre les maires ont évolué depuis 30 ans <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
80% des maires français estiment que le nombre de personnes en situation de pauvreté dans leur commune a augmenté.
80% des maires français estiment que le nombre de personnes en situation de pauvreté dans leur commune a augmenté.
©Reuters

Société en mutation

Selon un sondage TNS-Sofres pour le Secours catholique, 80% des maires français estiment que le nombre de personnes en situation de pauvreté dans leur commune a augmenté. Les préoccupations des maires ont-elles évolué depuis 30 ans ?

Atalntico : Selon un sondage TNS-Sofres diffusé lundi pour le Secours catholique, les maires estiment dans une large majorité (80%) que le nombre de personnes en situation de pauvreté dans leur commune a augmenté. De quels moyens disposent aujourd'hui les maires pour combattre la pauvreté ? L’échelon local est-il adapté ?

Philippe Laurent : Les maires disposent essentiellement de moyens destinés à combattre les effets de la pauvreté, mais pas les causes. Celles-ci dépendent des choix économiques et politiques en matière de croissance et de redistribution des revenus effectués au plan national. La France est resté un pays excessivement centralisé dans ce domaine notamment. Les évolutions en cours poussent d’ailleurs vers une centralisation encore plus grande, car la haute administration considère – dramatiquement à tort selon moi – que c’est la seule façon de contrôler les finances publiques.

S’agissant de tenter d’atténuer les effets de la pauvreté, l’échelon local est pertinent. C’est évidemment le cas pour le logement où, malgré la pénurie criante dans quelques régions dont l’Ile-de-France, les maires parviennent à trouver des réponses avec les bailleurs sociaux. En outre, la tarification des services publics de base (restauration scolaire par exemple) en fonction des revenus est très développée. Certaines communes délivrent des « coupons enfants » destinés à permettre aux enfants de familles modestes de payer partiellement l’inscription à des activités sportives ou culturelles. A côté des aides publiques en matière d’urgence, il faut souligner le travail très important des associations, généralement appuyées par les moyens logistiques municipaux. La collaboration entre services municipaux et associations est généralement de bonne qualité afin que chaque famille en difficulté trouve une réponse appropriée en matière d’aide d’urgence.

Les préoccupations sur ce thème ont-elles toujours été si importantes? En quoi, les thèmes de préoccupations ont-ils évolué en 30 ans ? Quelles sont ces nouvelles préoccupations ?

Naturellement, la pauvreté a toujours existé dans notre pays. Mais il est parfaitement clair que le recul de la pauvreté a été spectaculaire jusque dans les années 80, avec notamment la croissance et la résorption des bidonvilles. Depuis, elle s’est progressivement réinstallée et fait désormais partie du panorama habituel de tout élu local, avec parfois des personnes en situation administrative inextricable, dont on ne peut pas dire que l’administration d’Etat, si éloignée du terrain à part les quelques services qui restent auprès du préfet, soit toujours consciente. C’est par exemple le cas de personnes étrangères en situation irrégulière, bien que vivant depuis des décennies en France. Ou encore de mères de famille séparées dont le divorce tarde à être prononcé et qui ne peuvent donc pas prétendre à un logement. La complexité administrative croissante – y compris pour accéder aux aides, comme le montre la forte proportion de personnes ayant droit au RSA, mais ne le percevant pas faute d’avoir pu accomplir les démarches adéquates – est un des facteurs principaux de cette inquiétante progression de la pauvreté. D’un autre côté, il est possible que cette complexité soit voulue, car elle permet à l’Etat d’afficher de bonnes intentions tout en en limitant les effets budgétaires …

Pendant ce temps, ce sont les élus locaux et les administrations locales qui tentent de colmater comme ils le peuvent les brèches de plus en plus béantes du système. Relevons d’ailleurs que les communes sont le dernier échelon, qui doit donc assumer les renoncements des autres : par exemple, certains départements, eux-mêmes étranglés financièrement, ont réduit leurs prestations facultatives ou « redimensionné » les services sociaux … Moins de personnel formé pour suivre les dossiers, c’est aussi moins de prestations servies, des files d’attente qui s’allongent et des aides d’urgence qui se multiplient.

Relevons enfin la progression, y compris pour des familles à revenus réguliers, des impayés de loyers ou de prestations. Cette pauvreté-là n’est pas absolue, mais elle se construit à partir d’une part de revenus stagnants, voire en régression, et d’autre part de nouvelles habitudes de consommation (le téléphone portable en est un exemple, comme les crédits revolving) et donc d’une mauvaise gestion du budget familial. Elle est tout aussi préoccupante.

Quels sont les nouveaux moyens mis en place pour combattre ces nouveaux thèmes de préoccupations ?

La solution de fond, je l’ai dit, appartient d’abord à l’Etat et aux décideurs nationaux. Les maires ne peuvent qu’agir, et encore à la marge, sur les effets. Il est cependant possible de développer une démarche de prévention, par exemple en analysant les impayés de prestations pour déceler des familles dont la situation se dégrade et les inciter à prendre des mesures appropriées. C’est ce que nous faisons à Sceaux avec des résultats reconnus depuis plusieurs années. Le développement d’actions de formation sur la gestion des budgets familiaux est également utile, notamment auprès des mères de famille. Et, j’y insiste, une bonne collaboration avec les acteurs associatifs du territoire permet de mieux cibler les aides et de mieux accompagner les familles en difficulté.

Dans le même temps, les chiffres sur la délinquance alimentent la polémique, quelles sont les attentes des administrés sur ce sujet ? Quels sont les moyens mis en place sur le terrain pour combattre la délinquance ? 

La question de l’insécurité et de la tranquillité publique est souvent au centre du débat local, souvent dans une confusion totale dans laquelle la démagogie et le populisme s’en donnent à cœur joie. Relevons d’abord qu’en France, la responsabilité première dans ce domaine est du ressort de l’Etat, depuis la nationalisation de la police dans les années 1940. C’est à l’Etat de mettre les moyens nécessaires pour combattre la délinquance, en terme de prévention, d’identification des mis en cause, d’organisation de leur jugement et de répression.

Le maire, quant à lui, peut prendre en charge la « prévention situationnelle », c’est-à-dire mettre en œuvre des mesures techniques qui permettent de limiter les actes de délinquance et/ou leurs effets. L’installation de systèmes de vidéo-protection en fait par exemple partie, comme la diminution des « recoins » dans les opérations d’aménagement, la modernisation de l’éclairage public ou l’enfouissement des containers d’ordures ménagères … La commune peut aussi, en collaboration avec les forces de police nationale, développer des actions d’information et de prévention. Ainsi, un grand nombre de cambriolages sont opérés par « fausse qualité », ou encore ont été rendus possibles par l’imprudence des habitants ou par l’inexistence de systèmes privés de protection (alarme par exemple). Les rackets dont sont victimes beaucoup d’adolescents autour des collèges et lycées sont en partie évitables en prenant la précaution d’être en groupe et de ne pas exhiber de matériels de prix, etc. La sécurité au quotidien est aussi l’affaire de tous.

Autant le maire et la commune peuvent donc jouer un rôle dans la prévention et l’aménagement, autant parler, comme aime à le faire l’Etat, de la « co-production de sécurité » par le maire et l’Etat relève de l’abus de langage pur et simple. Aujourd’hui, la création de polices municipales s’accompagnent trop souvent d’un recul des effectifs d’Etat. Si le pays souhaite que les maires soient véritablement les responsables de la sécurité de proximité, il faut qu’une loi de transfert de compétence pleine et entière soit votée. Et que les transferts financiers inhérents l’accompagnent.


En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !